Champforgeuil

Retour sur l'Atelier législatif citoyen sur les Etats généraux de la Justice organisé par la députée Cécile Untermaier

Retour sur l'Atelier législatif citoyen sur les Etats généraux de la Justice organisé par la députée Cécile Untermaier

Plusieurs constats et axes d’amélioration ont été dégagés par les justiciables et les professionnels.

1/ Le manque de moyens attribués à l’institution judiciaire constitue le point de départ de nombreux problèmes soulevés. Malgré la hausse du budget de 8 % en 2021 et 2022, les besoins de la justice sont encore immenses et les 2000 contractuels, dit « sucres rapides », qui devront être formés alors qu’ils ne resteront pas plus de trois ans, ne feront pas la différence sur le long terme. Au niveau européen, la France est à la peine vis-à-vis de ses voisins à PIB équivalent en termes de nombre de procureurs, de juges professionnels ou encore d’avocats. Au surplus, les justiciables renoncent à une action en justice, en raison de son coût d’abord, du délai ensuite. L’aide juridictionnelle ne suffit pas à résoudre le premier obstacle.

Ce budget carencé ne permet pas à la justice de répondre de manière satisfaisante aux attentes des justiciables, lesquels la qualifient de « lente » et « d’injuste ». Les délais en matière civile et pénale en pâtissent : en 2019 en justice civile, 14 mois de délais en première instance, soit une augmentation de 50,5% depuis 2010, et 17 mois en appel ; neuf mois de délais en moyenne en justice pénale en 2018, pouvant atteindre 44 mois pour les affaires les plus graves ; quatre ans en appel pour une affaire prudhommale !

Au-delà des problèmes de délais, il convient de garantir l’exécution des jugements en matière civile. Le juge de l’application des peines l’assure en matière pénale, mais aucun dispositif n’est prévu pour la justice civile. La création d’un délit de non-exécution de la justice civile pourrait être mise à l’étude.

2/ Les professionnels souffrent de travailler dans des conditions ne respectant pas leur éthique, à raison d’une approche « gestionnaire de la justice ». Le constat sur le terrain est le même que celui dressé dans la tribune publiée le 23 novembre 2021 dans Le Monde, avec des magistrats qui, soumis à une logique de rationalisation, se trouvent face au « dilemme de juger vite mais mal ou bien mais dans des délais inacceptables ». La demande de doubler les effectifs des magistrats et des greffiers a été formulée. Ce sont trois procureurs et 10,9 juges pour 100 000 habitants. Chez les greffiers, notre intervenante a rappelé qu’il manquait actuellement 7% de personnels, soit 1500 greffiers au niveau national, quand la loi de Finances ne prévoit que 47 postes supplémentaires en 2022. Ces personnels sont pourtant en première ligne de la souffrance des usagers et essentiels au bon fonctionnement de la justice.

Ces conditions engendrent des multiplications d’arrêts maladie, voire des départs de l’institution judiciaire. Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation n’échappent pas non plus au risque de burn-out. Ces derniers doivent suivre en moyenne chaque mois, 130 personnes placées sous main de justice, qu'elles soient en milieu ouvert ou en milieu fermé.

A ce mal-être, s’ajoutent les réformes permanentes qui ne permettent pas d'avoir le recul nécessaire. Cette évolution constante du droit implique de s’adapter rapidement, induisant régulièrement un décalage entre le temps de la réforme et celui de la mise en œuvre sur le terrain.

Qui plus est, l’obsolescence des outils informatiques et des logiciels ne sont pas de nature à optimiser le travail des professionnels. Une pause législative s’impose.

3/ Les justiciables ont fait valoir leur besoin de pédagogie, de simplification des procédures et de proximité de la justice. La difficulté de compréhension du langage juridique et le manque de connaissance des procédures sont un obstacle majeur d’accès à la justice. L’enregistrement et la diffusion de certains procès devraient aider à un rapprochement du citoyen et de l’institution mais nous devons continuer les efforts à ce sujet.Pourquoi ne pas développer un modulespécifiquement dédié au collège, aux côtés de l’enseignement civique ?

Dans cet objectif, l’association ATD Quart Monde a renouvelé son souhait de voir créé un statut pour les « tiers-taisants », ces personnes souvent issues du milieu associatif, qui font office d’intermédiaire entre les institutions et les personnes précarisées ou marginalisées.

Les nombreux témoignages font toujours état de la lourdeur des procédures, en particulier s’agissant de la justice civile. La médiation est un outil d’autant plus apprécié s’il est le moyen de régler un litige plus rapidement. Là encore un encadrement strict par des délais s’opposant aux médiateurs, est attendu. La demande récurrente de rétablir les tribunaux de proximité, a été faite pour tous les intervenants, dans une logique de territorialité de la justice.

4/ Sur le volet de la justice pénale : il a été rappelé la demande récurrente des avocats d’instaurer un contrôle a priori de légalité et de proportionnalité des actes attentatoires à la liberté individuelle (garde à vue, perquisition) par un juge, d’ouvrir des voies de recours dès l’enquête, mais aussi la possibilité d’exercer des droits qui ne sont reconnus qu’au cours d’une instruction : avoir accès au contenu de la procédure, favoriser la dématérialisation de la procédure pénale avec une plateforme sécurisée dédiée accessible à toutes les parties en temps réel, cette dématérialisation pouvant s’inspirer de télé recours en matière administrative.

Concernant l’exécution des peines légères, les aménagements de peine doivent être favorisés, dans un objectif de réinsertion. Les voies expérimentées par l’association «Tremplin Homme et Patrimoine» à Martailly-les-Brancion (71700), qui mène des projets de sauvegarde et de restauration du patrimoine, impliquant des détenus, méritent d'être approfondies et déployées plus largement, sans pouvoir être remises en question par un juge d’application des peines qui ne serait pas favorable à ce type d’action. Cela est arrivé par le passé, mettant en danger cette association reconnue sur le territoire. Cette mission ambitieuse et difficile exige le recrutement d’encadrants compétents sur le plan des travaux comme de l’accompagnement de détenus. Il est essentiel que ces associations qui travaillent pour la réinsertion, contre l’addiction, l’aide aux victimes, etc, soient dans leurs moyens financiers et qu’un « éco-système » autour de l’œuvre de Justice soit ainsi mis en place.

Par ailleurs, la création d’un statut des victimes a été demandée par l’association Christelle, laquelle aide les familles victimes d’agression criminelle, afin que l’accompagnement qui leur est dû, soit apporté et facilité. La requête porte également sur l’obligation du juge d'instruction à recevoir une fois par an les familles de victimes, et la notification automatique à ces dernières de la libération des détenus antérieurement à leur sortie. Ce sont des demandes récurrentes qui devraient être examinées sérieusement tant la permanence et l’acuité de la douleur ne doivent pas être ignorées par la société.

5/ La justice est un écosystème, et, pour redonner du sens aux juridictions, il convient de la décloisonner en associant tous les acteurs concourant au prononcé d’une justice plus juste.

Le tribunal de Clermont-Ferrand a créé à l’automne 2019, la chambre pénale de la famille, utilisant un dispositif très intéressant associant tous les acteurs de la chaîne, des médecins du CHU aux policiers, en passant par les associations d’aide aux victimes. Cette initiative permet une collaboration efficace du juge aux affaires familiales, du juge des enfants, mais aussi des acteurs extérieurs à la justice. La pérennité de ce système nécessite pour les associations de disposer d'un budget stabilisé sur le long terme, alors que celui-ci évolue chaque année avec les projets de loi de Finances. Il s’agit ici de porter la justice collectivement sous la responsabilité du juge.

6/ Enfin, au-delà de leur expérience avec la justice, les citoyens présents ont fait valoir la nécessité de réviser la Constitution pour une égalité de nomination par le Conseil national de la magistrature, des magistrats du siège et du parquet. La nomination et la gestion de carrière des magistrats du parquet ne doit plus dépendre du ministère de la Justice. C’est une disposition qui, pour complexe qu’elle soit pour le citoyen, est de nature à recréer le lien de confiance avec les Français dont 69%, considèrent que la justice est « opaque », selon l’étude de l’institut Consumer Science and Analytics et du Sénat en septembre 2021.

Cette réforme n’implique évidemment pas que la politique pénale ne soit plus définie par le Gouvernement. C’est une politique publique majeure qu’il appartient au Gouvernement de présenter, de suivre et de défendre. Une journée de débat pourrait lui être d’ailleurs consacrée au parlement, comme dans les territoires. Il importe que le garde des Sceaux communique de manière transparente et contradictoire sur les enjeux et la mise en œuvre.

Tels sont les éléments recueillis sur le terrain que je souhaitais porter à votre connaissance dans le cadre des Etats généraux de la justice, pour transmission au comité indépendant, lequel est actuellement dans la phase de synthèse et a décidé de poursuivre les travaux. Le processus ainsi engagé, dans lequel je m’inscris par le présent courrier, est indispensable à l’amélioration des conditions de travail des professionnels et de la qualité du service public rendu aux justiciables.