Faits divers

« Vous imaginez, monsieur, si toutes les déceptions amoureuses se finissaient comme ça ? »

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 09 Novembre 2022 à 07h13

« Vous imaginez, monsieur, si toutes les déceptions amoureuses se finissaient comme ça ? »

« Tout le monde fait des conneries sous le coup de la colère. » « Non ! lui oppose la substitut du procureur. Non monsieur, tout le monde ne fait pas de ‘conneries’ sous le coup de la colère. »

La présidente Catala résume le contexte : « Vous imaginez, monsieur, si toutes les déceptions amoureuses se finissaient comme ça, avec ce genre de messages (obscènes et orduriers, ndla), à venir au domicile de l’autre sans en avoir convenu, etc. Dans quelle société on vivrait ? »

C’est donc l’histoire d’une rupture qui se fait alors que madame a déjà trouvé nouvelle chaussure à son pied. Du coup, ça devient l’histoire d’un ex qui se découvre cocu et qui prend la rage, harcèle son ex, au point que la victime a 15 jours d’ITT. Il ne l’a pas ratée. C’était en juin dernier à Louhans. Non content de se pointer à son domicile - où ça dégénère parce qu’il voit « le nouveau », celui qu’il désigne comme « ton chien d’appartement » -, il revient le lendemain soir. Elle n’ouvre pas, il balance et dégrade ce qui lui tombe sous la main.

Messages dégradants (pour leur auteur)

Et puis les messages… Ils se veulent dégradants, mais comme toujours le sont pour celui qui les a écrits, par pour celle qui les reçoit. Tous en dessous de la ceinture, là où l’auteur des messages voudrait détruire ce qui lui a échappé. On ne les cite pas, ils sont répugnants et en disent un bout sur celui qui se tient à la barre, bien habillé, mais très remonté, quatre mois après. Il s’est pointé deux fois sur le lieu de travail de la victime. Une fois, il la bloquait avec sa voiture, elle a prévenu les gendarmes lesquels ont pu constater et donc témoignent de l’attitude violente du prévenu.

Mots et gestes violents = empathie ? 

Sa position n’est guère discrète : « La contrôleuse judiciaire dit que vous avez une mauvaise gestion de vos émotions. Qu’en pensez-vous ? » Réponse du prévenu : « Ben y a plein de gens qui sont empathiques, et ça ne dérange pas. » Tout est à l’avenant, et si spontanément qu’on en infère qu’il ne calcule pas, c’est juste qu’instantanément, il nie, il oublie, il efface, il relativise, il parle des autres. De l’autre : c’est elle qui est malhonnête, qui ne lui rend pas ses affaires, qui a abîmé la plaque de cuisson au gaz, et surtout, qui l’a trompé.

« On pouvait attendre des excuses… » Lui : « Aaaaah… d’accord. Fallait préciser »

Il n’a rien du ‘bon accusé’, celui en qui la lumière s’est levée, et qui regrette, qui est bien conscient du tort qu’il a causé, qui n’y reviendra plus, etc. Dit comme ça, on pense à ces séances d’humiliation publique en Chine, où l’on fait défiler les mauvais éléments pancarte au cou. Ce qu’on exige d’un accusé en en France serait comme un parent lointain de cette pratique qui pourtant nous hérisse. Ici, pas d’humiliation publique de cette sorte, mais les magistrats attendent des paroles de contrition, fussent-elles feintes et Dieu sait (s’il existe, comme disait Desproges) qu’elles le sont souvent.
Lui, nada. Il plante même son avocat qui lui tend The perche : « Monsieur, avez-vous un message à faire passer à la victime ? » Et son client, franc comme le bon pain : « Personnellement, non. Qu’elle me rende mes affaires ! » La présidente : « On pouvait attendre des excuses… » Lui : « Aaaaah… d’accord. Fallait préciser. » Sourires partout, visage fermé de l’avocat.

« Madame n’a aucun compte à vous rendre »

La présidente rappelle qu’il a 7 condamnations à son casier. Égal à lui-même, il s’étonne, « Ah bon ? » Cyrielle Girard-Berthet, substitut du procureur, prend soin de faire passer le message au prévenu : « Madame avait le droit de sortir avec un autre et n’avait aucun compte à vous rendre. » Maître Bibard intervient pour la victime, « une femme terrorisée, désireuse que ça cesse, je ne suis pas certain que le prévenu soit dans une dynamique de trouver la paix ».

« C’est quoi l’utilité sociale de cette peine ? Je ne la comprends pas »

Arthur Gautherin, du barreau de Mâcon, plaide l’histoire du verre à moitié vide ou à moitié plein (« Il a cheminé un peu. En GAV il niait tout, aujourd’hui il reconnaît »), puis sur la peine requise et le meilleur est là. La procureur a requis une peine de 18 mois dont 6 mois seraient assortis d’un sursis probatoire. Elle demande l’aménagement ab initio de la partie ferme en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), car le prévenu élève seul ses deux enfants mineurs. 
« Quel est le sens et l’utilité juridique d’un DDSE ? interroge maître Gautherin. Monsieur pourrait suivre un stage pour apprendre qu’il n’est pas acceptable qu’un homme se comporte de la sorte. » L’avocat propose une peine de sursis probatoire, « quitte à lui mettre un quantum plus élevé (que les mois de prison ferme requis) au-dessus de la tête », « la prise de conscience doit avoir lieu », « il faudrait un contrat qui le marque à la culotte et que le juge de l’application des peines révoque si monsieur en enfreint le cadre ». « Mais cette peine aménagée alors qu’il a deux enfants à sa charge ? C’est quoi l’utilité sociale de cette peine ? Je ne la comprends pas. »

La défense emporte le morceau…

… après un bon temps de délibéré. Le tribunal déclare le prévenu coupable et le condamne à la peine de 14 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de travailler, de suivre des soins psychologiques, d’indemniser la victime, de suivre un stage VIF à ses frais. Interdiction de tout contact avec madame ainsi que de paraître à son domicile. Ces mesures sont actives immédiatement : il fera récupérer ses affaires par un tiers. S’il enfreint le cadre ou s’il commet une autre infraction, alors les 14 mois sont révocables en tout ou partie, et il serait alors incarcéré.