Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON : Jugé en son absence, « son espérance de vie est résiduelle »
Publié le 24 Octobre 2017 à 17h13
Comme disait Coluche, mieux vaut être blanc, riche et en bonne santé, que noir, pauvre et malade, or monsieur T. est noir, pauvre, et malade, si malade qu’il a été hospitalisé, mais il est jugé en son absence car suspecté de chercher à embobiner les magistrats.
Le 25 septembre dernier Maître Leray Saint-Arroman demandait un renvoi pour son client, monsieur T., car « car la comparution immédiate n’est pas adaptée du tout à l’état physique et mental de monsieur ». Etat physique : alcoolisme forcené, qui a fabriqué une pancréatite déjà bien avancée, et une tumeur au cerveau. Perte de la vue à l’œil gauche, problèmes auditifs. Etat mental : « il tient parfois des discours incohérents. Par exemple il dit qu’il a pris la voiture pour éviter un acte terroriste, et pense, il l’a dit dans le bureau du procureur, qu’on va le féliciter pour son acte héroïque. Il voit des animaux la nuit, il a des hallucinations. » L’homme a 42 ans, il n’a que 42 ans.
Le 22 juillet dernier il a trouvé une BMW ouverte à côté de l’abbaye de Tournus. Il a craint qu’elle ne serve à perpétrer un attentat, et il a appelé les gendarmes, sauf qu’il dérange souvent les corps de secours et du coup on ne lui répond plus. Alors il a pris la voiture, est venu jusqu’à Chalon y provoquer un accrochage pour qu’enfin la police se déplace. Il avait une alcoolémie record, roulait malgré l’annulation judiciaire de son permis, et avait volé le véhicule. Casier judiciaire, état de récidive légale pour la conduite sans permis.
Le parquet requiert un mandat d’arrêt
L’avocate aurait voulu, en septembre dernier, une expertise psychiatrique, elle le dit clairement aux juges, mais monsieur T. ce jour-là ne le voulait pas. A partir de quel moment un avocat peut-il passer outre la volonté de son client ? La question reste ouverte. Les magistrats placent monsieur T. sous contrôle judiciaire mais hier, sans la salle dite « playmobil » du TGI, ils l’ont jugé en son absence : l’état physique de monsieur T. se dégrade, il a vomi du sang et venait d’être admis à l’hôpital de Chalon. Son état mental se maintient : il fait dire par son conseil qu’il a vomi du sang « à cause du stress » …
Maître Leray Saint-Arroman communique au tribunal des pièces médicales attestant du bien mauvais état de monsieur T. et elle demande un nouveau renvoi, mais le parquet s’y oppose avec une grande virulence, le disant « fort opportunément » hospitalisé, à l’image « des enfants subitement indisposés le jour de la rentrée des classes » (lesquels, fort heureusement, ne vomissent pas de sang en cette occasion, ndla). Puis : « Vous allez entrer en voie de condamnation et ne pas suivre les explications fantaisistes de monsieur. Il a des problèmes sanitaires indéniables mais aussi des problèmes judiciaires. » Madame Saenz-Cobo, substitut du procureur, requiert 8 mois de prison, la révocation d’un sursis, et un mandat d’arrêt.
« Il devrait être placé sous mesure de protection judiciaire »
Maître Leray Saint-Arroman plaide donc assise entre deux chaises : son client n’est pas là, et les magistrats font fi de son tableau clinique. « Monsieur T. maintient ses explications, j’aurais évidemment voulu qu’il soit là, car ses propos auraient eu plus d’impact. Il dit ‘mon métier c’est d’éclairer les gens’. Il dit aussi que s’il va en prison, il y mourra. Il devrait être placé sous mesure de protection judiciaire. J’entends les réquisitions et son passé pénal, mais son médecin dit que son espérance de vie est résiduelle. Il boit encore, avec sa pancréatite, et ça le bousille. Il bloque, et ne comprend pas les enjeux qui le concernent : une contrainte pénale serait adaptée à sa situation. Il a besoin qu’on le prenne par la main. »
11 mois de prison ferme
Dans ce contexte, le « prendre par la main » évoque un accompagnement de fin de vie : le contraindre suffisamment pour qu’il ne conduise plus, et le laisser aller jusqu’au bout de ses jours. Il délire, ce monsieur, et son état général en fait une personne vulnérable au point qu’on ne sait plus qui est victime dans l’histoire, d’autant que cette petite salle d’audience est aussi nue qu’une cellule (neuve) de prison, sa fenêtre est grillagée (on est au rez-de-chaussée), toujours pas le moindre symbole venant l’humaniser, l’absence du prévenu renforce cette impression de « désincarné » que la salle suscite.
Le tribunal condamne monsieur T. à 8 mois de prison, révoque un sursis de 3 mois, le condamne à une amende de 100 euros. Le tribunal ne décerne pas de mandat d’arrêt, mais une peine issue d’une révocation de sursis n’est pas aménageable : le parquet peut la faire exécuter, c’est-à-dire, ordonner l’emprisonnement de monsieur T., celui qui « éclaire les autres » parce qu’il est électricien.
FSA
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