Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - 34 ans et déjà 21 mentions au casier judiciaire "mais c'est pour des conneries"

TRIBUNAL DE CHALON - 34 ans et déjà 21 mentions au casier judiciaire  "mais c'est pour des conneries"

« Je nie tout en bloc ! C’est pas vrai ! C’est tout des conneries ! » Alleeeez ! Le président n’a pas ouvert la bouche en ce début d’audience de comparution immédiate - sans avocats pour cause de grève totale – ce jeudi 5 décembre que le prévenu est déjà monté au créneau, avec un aplomb et un niveau de décibel à l’avenant qui vont lui causer du tort.

Il porte le prénom d’un célèbre hors-la-loi américain du 19ème siècle qui pendant plus de 15 ans, dit-on, vécu d’attaques de banques et de trains. Le prévenu n’a que 34 ans et son casier compte 21 mentions, mais leur détail indique qu’il n’est pas un criminel : c’est un multirécidiviste d’une quantité de petits délits et de quelques-uns plus importants et plus conséquents, à force.

« C’est tout des conneries !
- Monsieur, l’interrompt le président Dufour, si vous pouviez éviter de dire des gros mots…
- Quels gros mots ???
- Eh bien, si vous voulez, le terme « connerie »…
- Ah ! Des bêtises, alors, si vous préférez ! »

Veut-il un délai pour préparer sa défense ? « Y a rien à défendre ! »

Bêtises ou gros mot, c’est pareil : ce sont des mensonges, de fausses accusations. Il lui est reproché, alors qu’il est détenu au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand, d’avoir, hier mercredi 4 décembre, insulté une femme qui intervient en prison dans le cadre de l’accès au droit. Elle devait faire une demande de logement pour lui et il l’a traitée de « p… », puis l’aurait menacée de mort. « Faut pas me faire lever pour rien le matin, je vais te faire brûler avec ta voiture sur le parking. » Puis c’est un surveillant qui aurait ramassé la queue de la comète : « fils de p… », « negro ».

Etant donné que les avocats du barreau de Chalon ont voté une grève totale, le tribunal va renvoyer tous les dossiers enrôlés ce jeudi, mais il doit statuer sur les mesures de sûreté : détention provisoire ou placement sous contrôle judiciaire en attendant le jour du jugement. Le président demande au prévenu s’il veut un délai pour préparer sa défense. Comment rendre la façon dont le prévenu répond « cut » ? Il ne coupe pas véritablement la parole au juge mais il renvoie la balle sans la moindre respiration. « Mais y a rien à défendre ! (Le président dit trois mots pour reposer sa question) Oui je veux un délai ! Oui je veux mon avocat ! »

« Soit vous vous taisez, monsieur, soit… - Soit quoi ? Vous allez me mettre en prison ? »

Forcément le président doit lui demander de la mettre en veilleuse, de se taire quand les magistrats parlent. « Mais pourquoi ? Vous êtes qui, vous ? Si j’ai pas le droit de parler, pourquoi je viens ? Si y a que vous qui parlez ? » Il se lève, il est très grand. Bien vénère, il ne lâche pas le tribunal du regard, et tape ses mains deux fois, de haut en bas, de ce geste qui signifie « basta », il crie presque : « Bon ! C’est fini ? On peut y aller ? » Le juge lui répond que non, ce n’est pas fini, mais « Je vous dis que c’est pas vrai ! Et vous allez croire le surveillant, bien sûr ! »

Le président, ce coup-ci, estime que monsieur a passé toutes les mesures : « Soit vous vous taisez, monsieur, soit… - Soit quoi ? Vous allez me mettre en prison ? J’y suis déjà ! » Chaud, le gars. Le président lit : « 21 comptes rendus d’incidents pendant sa détention. – Oui ! 21 que j’ai reconnus ! – Vous sortez, monsieur ! – 21 que je reconnais et là, je reconnais pas, et ça vous dit rien ? » L’escorte s’est levée, elle embarque le prévenu, dans les geôles, croit-on, puisque le prévenu doit revenir pour entendre la décision du tribunal. Le président fait noter l’incident d’audience.

Il ne devait pas s’attendre à passer d’un coup 3 ans ½ en prison

Dans le silence d’une salle presque vide, et libérée du prisonnier si vindicatif et révolté, le président termine : « Il conteste tous les faits. Il a refusé de signer quoi que ce soit pendant sa garde à vue. » Lecture du casier judiciaire : des tas de délits routiers, du recel, défaut d’assurance, vols, beaucoup de vols, avec effraction, avec destruction, en réunion, etc., violences sur conjoint, outrages, menaces de mort ou de délit. Tribunaux de Dieppe, Rochefort, Périgueux, Agen, la Rochelle. Point commun avec son homonyme américain : il circule beaucoup. Dernière condamnation en septembre 2019 : vol et violence aggravée par trois circonstances. Il comparaît aujourd’hui en état de récidive légale.

Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, trouve ce prévenu « agressif et vindicatif ». Elle explique qu’il a été incarcéré le 4 juillet 2018, dans le cadre d’une information judiciaire. Le parquet a alors mis des peines antérieures de deux fois 6 mois à exécution et dans la foulée il purge sa condamnation de septembre, de 30 mois. Ses crédits de réduction de peine lui ont été retirés (cela sanctionne son comportement en prison), du coup il n’est libérable qu’en juillet 2021. On croit comprendre alors que cet homme-là cumulait les délits et les petites peines et finalement ne devait pas s’attendre à passer d’un coup 3 ans ½ en prison.

Le tribunal ne rend pas sa décision car le prévenu n’est plus au palais

Nul ne discute les peines qui sont venues sanctionner ses actes mais il faut se représenter ce que peut signifier une si longue incarcération. Et voici que 21 incidents sont venus accrocher la maille des quelques 550 jours passés à l’ombre. L’horizon d’une libération en juillet 2021 se dérobe désormais, car le risque de condamnation pour avoir insulté et menacé de mort une femme qui travaille à accompagner les détenus à leur réinsertion à l’extérieur, puis insulté un surveillant, est assez fort. Il veut son avocat. « Sa détention se passe mal, poursuit la procureur. On a découvert un téléphone dans sa cellule, il a porté des coups à deux reprises sur d’autres détenus pendant la promenade. »

Pas d’avocat, pas de défense. Rapide conciliabule entre magistrats pour savoir si on fait revenir le prévenu-détenu pour qu’il ait la parole, on estime que non, qu’on l’appellera pour rendre la décision. Ce moment n’est jamais arrivé : l’escorte l’avait rembarqué au centre pénitentiaire. Pas de décision, donc. Mais comme il est détenu, on peut logiquement supposer qu’il le reste, il sera jugé le 13 janvier prochain.

Florence Saint-Arroman