Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Je suis pas un animal, madame »

TRIBUNAL DE CHALON - « Je suis pas un animal, madame »

23 ans. Pas très grand, mais nerveux ? On ne sait pas comment qualifier ce qui chez lui emporte tout. Il pénètre dans la salle d’audience de comparution immédiate, ce lundi 19 mars, encadré de trois policiers. Il a les mains menottées dans le dos et un masque sur la figure.

Les policiers exposés au virus n’en portent pas, y en n’a pas pour eux, mais, par extraordinaire, le jeune homme en est affublé.

23 ans. Enfant, il fut placé, de ses 3 ans jusqu’à sa majorité. Il ne sait ni lire, ni écrire, « mais vous savez compter », précise la présidente Catala. 23 ans, dont 18 mois passés au CHS de Sevrey. « Vous en étiez sorti sans aucun projet mis en place, vous aviez eu de grosses difficultés d’intégration au sein de la structure. » 23 ans, sous curatelle. Personne ne représente le Pont à l’audience. Le jeune homme est logé par l’association dans un immeuble à Chalon. Les voisins protestent, ont fait une pétition demandant son départ : tapage nocturne, jets d’objets (dont une télé), trafics, etc.

Violence avec usage d’une arme (un bâton)

Le jeune prévenu fut condamné 2 fois pour des dégradations, en 2018 et en 2019. Là, il sort de garde à vue parce que le 16 mars, il a frappé un de ses voisins, un homme âgé de 70 ans qui l’aurait à la base insulté et giflé. « Sa réponse fut disproportionnée, il en a conscience », explique maître Ndong Ndong. Le prévenu s’est saisi du bâton de marche du voisin pour l’en rouer de coups. 7 jours d’ITT.
La mesure de protection civile dont le garçon bénéficie impose une expertise psychiatrique avant de le juger. Le parquet s’y oppose, estimant que le tribunal peut s’appuyer sur des documents et des rapports qui figurent au dossier. « Psychorigide », « beaucoup de fluctuations de l’humeur », et il y a 6 mois le tribunal de police avait demandé une expertise à laquelle le prévenu ne s’était pas soumis.

Les juges ont pour consigne depuis une semaine déjà, d’incarcérer moins

Pourquoi ? « Parce que j’en avais pas envie. Je suis pas un animal, madame. » La présidente lui répond qu’on n’envoie pas les animaux à l’expertise, qu’on y envoie les hommes, pour essayer de comprendre ce qui se passe en eux, et « c’est en homme qu’on vous juge ». « Il y a eu des problèmes avec le personnel au CHS, à cause de la manière dont il se sent traité », complète son avocat. Y a du malheur chez ce garçon. Il a eu pris des drogues dures, mais c’est fini, il ne prend que du cannabis, sauf qu’il le prend en lieu et place de son traitement qui l’assommait, explique encore son avocat. Pierre Ndong Ndong insiste : on ne peut pas traiter ce jeune homme comme un justiciable lambda. Il faut une expertise complète.
En ce cas, peut-on le placer sous contrôle judiciaire ou faut-il l’incarcérer ? Les juges ont pour consigne depuis une semaine déjà, d’incarcérer moins, ou de différer des exécutions de peines, à cause d’une situation de risques pour la santé qui peut devenir explosive et ingérable, en prison comme ailleurs, sauf qu’en prison, l’anxiété se ventile moins bien sans doute qu’à l’extérieur, même si on est tous inégaux face à l’angoisse, et puis pour la distanciation sociale, comme on dit, à moins d'être à l'isolement, ça n'est pas vraiment possible.

« Aucune alternative à l’incarcération n’est possible dans son cas »

Le tribunal essaie, même si l’enquêtrice sociale a écrit : « Aucune alternative à l’incarcération n’est possible dans son cas. » Elle écrit aussi qu’il faut au garçon un traitement et un suivi psychiatrique, il pense qu’elle a tort. A-t-il des amis qui pourraient l’héberger ? Non. Son avocat lui explique pourquoi les juges ne veulent pas qu’il retourne à son appartement, puisqu’il a agressé un voisin. « C’est de sa faute si ça a dégénéré », bougonne le prévenu. Peut-il vivre chez sa mère ? « Vous voulez que je vous dise quoi ? On n’a plus de contact. Je suis pas MimieMathy, moi, pour faire des trucs… » Son père, alors ? « Je me tape avec lui. »

Détention provisoire

Le tribunal renvoie son jugement à fin avril, ordonne une expertise psychiatrique, décerne mandat de dépôt. « On va vous emmener au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand maintenant. » Le garçon d’un coup laisse tomber sa tête sur sa poitrine, la secoue doucement de gauche à droite. Les policiers l’entravent. Les autres se passent du gel hydroalcoolique sur les mains, quand ils en ont.

Florence Saint-Arroman