Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON  : « Alors j’y ai mis un coup de marteau » - A 64 ans, il en prend pour 9 ans 

TRIBUNAL DE CHALON  : « Alors j’y ai mis un coup de marteau » - A 64 ans, il en prend pour 9 ans 

Le tribunal réunit en chambre des comparutions immédiates a ordonné la destruction du scellé n°1. Le maillet sera détruit. Celui qui en tenait le manche et qui a frappé sa dame à la tête (« écrasement sous cutané laissant voir la substance osseuse » a écrit le médecin légiste), et aux côtes (« elle ne pouvait pas s’assoir, elle avait trop mal », a témoigné le voisin), le soir du 1er décembre, est dans le box ce jeudi 21, flanqué de trois gendarmes. « Si ça avait été un marteau, elle ne serait peut-être pas là aujourd’hui », relève maître Peleija pour la dame. 

Le prévenu n’a pas l’air de grand-chose, on veut dire par là que c’est un grand-père de taille moyenne, corpulence normale. Il porte un gilet crème sur un pull jacquard, il a des lunettes et l’air un peu ahuri, mais ce n’est parfois rien d’autre qu’un effet du tsunami garde à vue/placement en détention provisoire/comparution immédiate, rien de significatif à ce stade. Ernest X est également poursuivi pour menaces de mort, « c’est pas vrai, j’ai jamais parlé de ça ». Il ne lui aurait pas dit qu’il allait lui trancher la gorge. C’est possible, après tout, quand il a menacé d’aller « découper la porte avec une tronçonneuse », qu’aurait-il pu faire ensuite, de quoi est-on capable quand on attaque une porte à la tronçonneuse ? Elle a eu les jetons. Le tribunal le relaxera sur les menaces de mort. 

Sa dame et lui sont en ménage depuis 18 mois, ça fait 1 an qu’elle vit chez lui, à Louhans. Elle a raconté aux gendarmes des violences fréquentes quand elle a porté plainte le 4 décembre. La présidente Catherine Grosjean demande à Ernest X de dire ce qui s’est passé le vendredi 1er décembre : « Sa copine l’appelait tout le temps, et j’en avais marre qu’elle appelle, on a mangé et on s’est disputé. Elle m’a griffé à la figure, alors j’y ai mis un coup de marteau. – Vous buvez beaucoup ? – Oui, moi, 3 litres ½ de vin blanc et de vin rouge par jour. » Il commence à boire vers 10 heures le matin, il boit depuis qu’il a 16-17 ans, il en a 64, et il est en manque, il en tremble. Sa dame boit aussi, et c’est d’ailleurs au nom de la vertu qu’il lui a fait perdre un travail. Elle est à la retraite mais ne perçoit que 780 euros, qui viennent sceller une vie entière de labeur payé au lance pierre, alors elle complète en faisant des heures ici ou là, et lui, il a téléphoné à l’employeur pour dire « faut pas l’envoyer à tel et tel endroit, parce qu’elle picole ». Il est jaloux, il est terrible, il est d’autant plus terrifiant qu’il ne fait pas peur à voir, il fait peine.

Il a tout de même gardé quelque chose du jeune homme qu’il fut, un garagna dont nous ne saurons pas grand-chose si ce n’est qu’il fut porcher, puis qu’il a travaillé « dans les poulets », « j’ai été conducteur d’engin aussi ». Il a eu 7 enfants, il perçoit le RSA en attendant sa retraite, en juillet prochain. Tout ce temps-là, tout au long de cette déjà longue vie, il buvait, il était violent avec ses compagnes, ou ex-compagnes, et c’est un bagarreur, un nerveux, vu sa morphologie. Ses deux filles s’en sont ouvertes aux gendarmes, « violent avec les femmes ». Ernest se défend avec un ton catégorique. Il ne peut nier « le coup de marteau » du 1er décembre mais il oublie le second. Le reste (menaces de mort, violences sexuelles, etc.) « c’est faux ! », « c’est pas vrai ! », « jamais ! ». Le témoignage du voisin ? « Il était bourré ! » Possible aussi, mais enfin sa dame a eu 15 jours d’ITT, ce crâne ouvert, les côtes défoncées, et la peur, la peur d’en mourir un jour. 

Une vie entière à boire et à frapper/menacer, et Ernest ne se serait jamais cogné aux forces de l’ordre ? Si, si. La présidente décline son casier judiciaire comme une biographie. La période « jeunesse », entre 1973 et 1988, 4 vols, et déjà un peu de prison. Puis de 1889 à 1997, vols avec violence et menace d’une arme, des conduites sous l’empire de l’alcool, des agressions sexuelles, violence sur ascendant, sur conjointe. Le casier va crescendo, à l’image de la situation avec sa dame, celle qui tremblote dans la salle d’audience, bien plus marquée que lui par la vie passée, la vie sans trop de confort, tapissée d’alcool pour finir, parce que la dureté en forme de cul-de-sac, faut bien la rendre supportable. En 2004, Ernest est condamné à 12 ans de réclusion criminelle pour viol sur mineur de 15 ans, « c’était une fille qui était venue chez moi ». Donc il n’aurait pas fallu qu’elle vienne chez lui. Ernest est inscrit au FIJAIS, deux fois il néglige de signaler son adresse, deux fois on le sanctionne pour cela. En juin 2015, il casse les boîtes aux lettres « de mon propriétaire », une mention de plus. Au cours de sa vie déjà longue, Ernest a été incarcéré 6 fois, il a vécu 14 ans en prison. 

Le parquet requiert 5 ans de prison dont 1 an de SME de 3 ans, avec la si fréquente « obligation de soins » pour sa « 20ème condamnation ». Maître Mirek remarque : « Il a beaucoup été incarcéré, est-ce que ça a empêché la récidive ? Non. Il faut privilégier les soins. » Ernest a rougi et refoule son émotion : être violent comme il l’est ça n’empêche pas de souffrir, mais cette souffrance est restée lettre morte tout au long de sa déjà longue vie, allant s’écraser sur les visages et les corps des autres, à coups de poing, de pied, et, ce 1er décembre, de maillet, souffrance diluée à grand peine dans presque 4 litres de vin quotidiennement, faut-il qu’elle soit mordante, mais  « dans son discours, on entend qu’il ne peut pas prendre conscience de la gravité de son geste », disait la procureur. Les jeux sont faits, et rien décidément n’ira jamais. 

Le tribunal condamne Ernest X. à 5 ans de prison, ordonne son maintien en détention, lui interdit de porter une arme pendant 5 ans. A sa sortie, il sera pendant 4 ans sous suivi socio-judiciaire. La victime verra ses indemnités examinées en mars prochain. L’objet du crime, le maillet, sera détruit, même si Ernest semble inaccessible à la portée du symbole, « moi, j’ai vu un docteur tous les 15 jours, mais il ne m’a jamais donné de cachets contre l’alcool ». 

Florence Saint-Arroman