Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Il a grandi comme une herbe folle »

TRIBUNAL DE CHALON - « Il a grandi comme une herbe folle »

Ses mains, jointes dans son dos. Il les triture nerveusement depuis le début de l’audience correctionnelle. Il est convoqué pour des faits de 2015, il a un casier lourd et porte à sa cheville, ce vendredi 21 septembre, un bracelet électronique. Il s’est habillé, chemise blanche impeccable sur un pantalon noir, mais ses mains… Subitement elles se délient, subitement sa gorge aussi se dénoue, sa voix prend de la tessiture : la présidente Therme trouve qu’il a changé, que peut-il en dire ?

Le jeune homme de 26 ans aux 25 mentions sur son casier, essentiellement des vols, beaucoup de vols, des délits routiers, des dégradations, un outrage, etc., le jeune homme risque gros à cause de tout ça. Il avait en août 2015 retiré de l’argent avec la carte bleue de sa sœur, 600 euros en tout alors que sans revenus il vivait dans une caravane avec sa compagne et son fils, et puis sa sœur était restée en dette à son égard, alors il s’est payé lui-même. En audition il avait commencé par nier, pourquoi ? « Une crainte. Mon casier est assez chargé, j’ai déjà été incarcéré longtemps, et là je porte un bracelet. »

« Il a grandi comme une herbe folle », raconte maître Grenier-Guignard. Abandonné, délaissé par sa mère alors qu’il a 12 ans, il se débrouille. La mère filait le guilledou avec un chéri à l’étranger, les gosses ne sont pas restés longtemps avec l’homme auquel elle les a laissés. « Livré à lui-même, poursuit l’avocate. Mais il rencontre sa compagne, début 2015. Elle l’a dénoncé et elle l’a soutenu sans faillir. Ils ont trois jeunes enfants aujourd’hui, elle est stable. Il a été incarcéré 3 ans, c’est long. Il a su résister à toutes les pressions, et chaque maillon du centre pénitentiaire l’a soutenu. »

« On vous a souvent vu », dit la présidente au prévenu qui affiche côté face une allure de représentant de commerce, et côté pile des mains tourmentées par l’enjeu de l’audience. La juge poursuit : « Je trouve que vous vous présentez différemment aujourd’hui, que pouvez-vous nous en dire ? » Les murs s’écartent, l’air pénètre dans la salle en même temps que dans la cage thoracique du jeune homme. Sa main droite libère sa main gauche, son bras prend de l’ampleur, sa voix, de l’assurance, et une pointe de joie.

« Mon grand, il a 5 ans. Mes enfants, c’est toute ma vie. Quand j’ai eu la chance de voir ma peine aménagée, de porter un bracelet, je ne suis pas resté les bras croisés, j’ai cherché et trouvé des missions en intérim, mais mes enfants avaient une crainte quand je partais bosser : est-ce que papa va rentrer ? Et je leur disais : papa va rentrer. La plus grosse valeur au monde pour moi, c’est mes enfants. Souvent, j’ai discuté de ça avec l’aumônier, quand j’étais en prison. Il me demandait : ‘qu’est-ce qui rend tes enfants heureux. – Les cadeaux ? – Non. Tu es où ? – En prison. – Réfléchis !’ Ça m’a ouvert les yeux. L’amour que je leur donne, l’amour qu’ils me donnent : c’est ça. « 

Caroline Locks, substitut du procureur, avait envisagé de demander de la prison ferme. Somme toute, le bracelet est une mesure de probation. « J’ai pensé : encore un dossier de monsieur X ! Mais il donne en effet une impression d’évolution. Si ce n’est qu’une impression, eh bien vous reviendrez ici, monsieur, mais si ce n’est pas qu’une impression, on ne vous reverra plus, vous retrouverez du travail, vous construirez quelque chose. » Elle requiert 60 à 80 jours amendes à 10 euros.

Le jeune homme a les bras ouverts : le tribunal, le parquet et son avocate ont acté le chemin parcouru, le chemin accompli. Son méfait de 2015 ne le rattrapera pas, il est derrière. Il veut, dans un large sourire, « montrer au tribunal qu’il n’y a pas que des causes perdues. Donnez-moi une chance de vous prouver ce que je vaux réellement. » Le tribunal le condamne à 30 jours amendes à 10 euros.

La mère volage était à l’audience, à nouveau présente pour assister à la renaissance de ce fils, de cette herbe folle, de cet ancien fugueur, gamin abîmé par l’abandon, gamin privé de ses droits qui a su se saisir de toutes les mains tendues au centre pénitentiaire, soutenu par une femme incroyable qui a eu la force de tenir bon à la fois sur les lois et sur le cœur (comme ferait une mère, une mère pleinement présente et aimante), et qui a décidé que chaque soir, il embrasserait ses petits avant la nuit.

Florence Saint-Arroman