Saône et Loire économie

Dominique Fayel - "Un langage de vérité"

Dominique Fayel - "Un langage de vérité"

Eleveur allaitant dans l’Aveyron, Dominique Fayel a en charge la commission Montagnes et Zones défavorisées à la FNSEA. Il participera à la prochaine assemblée générale de la FDSEA 71, le 10 mars, à la salle Le Moderne à Montchanin, et revient ici sur les enjeux pour notre profession.

Né sur les terres aveyronnaises de ses ancêtres, Dominique Fayel a été naturellement bercé par les propos de Marcel Bruel, de Raymond Lacombe ou encore de Dominique Barrau… Rencontre avec un homme discret, mais de caractère.

Qui êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter ?

Dominique Fayel : je suis éleveur sur une exploitation individuelle à Sénergues dans le nord-est de l’Aveyron, juste à côté de Conques, à 45 kms de Rodez et près de 60 d’Aurillac. J’ai un troupeau de soixante vaches limousines, dont je commercialise les produits en broutards lourds de 400 à 450 kilos. Toutes mes femelles sont engraissées. J’ai 51 ans.

Votre parcours a commencé à la FNB… Pourriez-vous nous le rappeler ?

mon parcours a débuté en 1991 comme délégué cantonal de la section bovine de la FDSEA de l’Aveyron. En 1995, j’en ai été élu secrétaire général, avant d’en accepter la présidence en 1997. J’ai ainsi rejoint la FNB en 1999 au conseil d’administration, puis au bureau où, jusqu’il y a peu j’avais en charge la section Vaches allaitantes en tant que secrétaire général adjoint. En parallèle, j’ai été élu secrétaire général en 2006 de la FDSEA 12 aux côtés de Dominique Barrau, à qui j’ai succédé à la présidence en 2009. Quant à la FNSEA, j’en suis administrateur depuis 2011 et m’occupe, depuis 2014, de la commission Montagnes et Zones défavorisées.

Le thème de l’AG concerne l’agriculture et l’alimentation, mais aussi l’agriculture au sein des territoires. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

d’abord, j’ai envie de rappeler qu’à l’échelle mondiale, l’alimentation des populations demeure un enjeu fondamental, un enjeu hautement stratégique. A l’heure où l’Europe semble faire des choix dont la tentation est d’accorder moins de moyens, moins de budget à sa politique agricole et alimentaire, tous les autres pays prennent une orientation opposée : Etats-Unis, Chine, Inde, Brésil, Russie… Partout, on parie sur le développement du secteur agricole.

L’alimentation fait partie des sujets stratégiques pour un pays ou un groupe de pays comme l’Union européenne : nourrir un peuple est aussi important que d’en assurer la sécurité ou de battre sa monnaie.

A ce sujet, il ne faut pas négliger le lien entre le produit et la consommation dans le modèle de développement des territoires. Le "modèle territorial" fait en effet partie des attentes des consommateurs et les choix du consommateur influent le modèle de développement.

La seconde chose que m’inspire ce thème, c’est que les consommateurs, français en particulier, ont beaucoup d’attentes et d’exigences vis-à-vis de leur agriculture. La sécurité alimentaire demeure un sujet sensible, mais peu à peu de nouvelles attentes ont émergé en matière de goût, d’identité, mais aussi de bien-être animal ou encore de santé par l’alimentation, sans oublier les impacts sur la qualité de l’environnement ou le climat. Si l’attente de savoir comment c’est fabriqué et d’où ça vient est légitime, la question qui vient juste derrière est "Combien est-on prêt à payer pour cela ?". Et là, nous sommes à un tournant. Dans les années passées, on a donné du pouvoir d’achat en plusieurs étapes, notamment au détriment du budget consacré à l’alimentation. Pour cela, les pouvoirs publics ont fait alliance avec la grande distribution - une alliance objective pour gagner la bataille du pouvoir d’achat - et ils ont donné à cette dernière un poids considérable. Dans le même temps, la PAC a cessé de garantir des prix contre des soutiens directs, lesquels s’érodent réforme après réforme. La question de la valeur de nos produits devient dès lors centrale et la question "Combien vaut ce que je mange tous les jours ?" reprend de fait une place majeure. Il nous faut retisser le lien avec le consommateur et créer une capacité à produire avec des gens qui gagnent leur vie.

Quant à la question sur les territoires… L’Agriculture a cette caractéristique, ici en France, d’être présente sur tous les territoires : dans les zones péri-urbaines ou les plus reculées, en plaine comme en haute montagne. C’est une spécificité unique. L’agriculture irrigue tous les territoires et contribue à les maintenir vivants. Ainsi, nous avons des gens partout parce qu’il y a des agriculteurs partout avec une agriculture partout. C’est d’ailleurs bien ce que veut dire le terme de "paysan".

Paysan… Justement, le prochain congrès de la FNSEA traitera la question du statut de l’agriculteur. En quoi est-elle d’actualité ?

on vient d’une période où l’agriculture était très liée à la famille, à la cellule familiale. Sa première mission était de d’abord nourrir cette dernière, en puisant dans la main-d’œuvre de cette même cellule. Petit à petit, les choses ont évoluées et le lien entre la famille et l’exploitation s’est modifié, distendu. Désormais tous les cas de figure existent jusqu’à ceux qui travaillent sur une exploitation et vivent en ville, dont l’épouse travaille ailleurs… Dans d’autres cas, le capital même de l’exploitation peut ne plus être familial. On en pense ce que l’on veut, ce sont des réalités. Aussi la question de qui est agriculteur se posée de plus en plus, car derrière il y a la question de "Qui est légitime pour percevoir des aides et qui ne le serait pas ?".

Pour moi, l’agriculture familiale est la base du développement agricole partout dans le monde, dans tous les pays, sous tous les climats. Cette même agriculture familiale est la mieux armée pour répondre aux besoins alimentaires. A travers le paysan, c’est le lien entre le sol, le climat et le savoir-faire spécifique. L’agriculture, elle se vit là où je suis et je dois faire avec les contraintes qui sont, ici, présentes. C’est là le lien intime qui unit le paysan à son pays.

Quant à l’agriculture de firme, celle de grandes sociétés avec des salariés, elle existe ailleurs en Amérique latine, en Amérique du Nord, dans l’Europe de l’Est… Mais elle ne permet pas de tirer aussi bien parti du potentiel local que l’agriculture familiale, de taille humaine.

Cette question du statut de l’exploitant, il ne faut pas se la poser pour des motifs nostalgiques, mais dans une vision moderne, tournée vers l’avenir. Et la vraie question est "Qu’est-ce que l’on veut demain pour notre agriculture, pour notre territoire ?". Et derrière, "Quel modèle de développement pour nos territoires ?".

Un mot sur le dossier des Zones défavorisées…

ces exercices de zonage sont, par définition et par nature, compliqués. La réforme des ZDS est ancienne, elle avait été plusieurs fois repoussée, maintenant on y est.

Elle se fait sur la base de huit critères biophysiques, des critères "strictement objectifs". Reste que quand on veut trop bien faire, on s’enferme dans des considérations parfois trop artificielles… L’Union européenne avait conçu une fusée à deux étages : le travail à partir d’une grille avec peu de marges de manœuvre, puis l’ouverture de marges de manœuvre pour tenir compte des réalités que les critères biophysiques n’apprécient pas suffisamment…

Les zonages ainsi définis présentent des incohérences à l’échelle des petites régions agricoles, des anomalies… Dans un sens comme dans un autre, en inclusion ou en exclusion.

Il faudra bien à un moment donné remettre de la cohérence et du sens dans cette "machine" dont l’approche ne peut pas être que technique. Reste que si le ministère a montré des signes d’ouverture il y a quelques mois, on a l’impression - depuis le début de l’année - que la donne a changé et que les marges de manœuvre s’amenuisent… On assiste à un raidissement qui, s’il se confirme, appellera à une nouvelle stratégie syndicale. Il n’est en effet pas acceptable que des zones d’élevages et de polycultures élevage qui étaient hier encore incluses soient exclues du nouveau zonage.

Quelle image avez-vous de la S&L et de son agriculture ?

avec de la bonne viande et du bon vin, c’est un pays où l’on ne peut pas être malheureux !

Plus sérieusement, c’est le pays de la charolaise, le plus gros département et le berceau de naissance de la charolaise. Il y a un bâti ancien qui a son charme…

Sur les autres aspects, je pense que la proximité avec Lyon doit marquer une partie du département. Quant au nouveau périmètre régional, il place la Saône-et-Loire en position centrale, me semble-t-il de là où je suis.

Le sens du métier, c’est aussi la valeur du produit

Vous venez dans un département marqué par la crise, notamment en production de viande bovine. Quel message entendez-vous adresser ?

dans toutes les périodes de crise, quels que soient les systèmes, il y a des diversités de production. D’ailleurs, l’Institut de l’Elevage a réalisé une étude sur les exploitations résilientes, en clair celles qui résistent à la crise. On y parle de bon sens, de choix bien pesés, de choix cohérents par rapport au travail, d’investissements réfléchis, de techniques maîtrisées… mais aussi d’équilibre entre vie professionnelle et personnelle.

Ça, c’est une réalité, mais elle ne doit pas faire oublier que notre ambition collective est d’aller chercher plus de valeur pour nos produits. Notre filière bovine, par exemple, est une mécanique à "écraser" la valeur. Il ne faut pas opposer les progrès et la recherche de marges de manœuvre individuelles à la nécessité de recherche de valeur collective de nos produits. Nous devons ainsi nous réapproprier les systèmes de commercialisation. On le voit bien, en matière de communication, notre image d’éleveurs est utilisée partout, mais la valeur qui y est attachée, elle, elle s’arrête avant, elle s’arrête en chemin et n’arrive que rarement à nous. Cette captation de la valeur positive sans que la valeur monétaire ne soit rendue à la fin, ce n’est pas supportable.

Le sens du métier, c’est aussi la valeur du produit. C’est là le fil rouge de notre action syndicale. Nous devons travailler ce côté Valeur et Rémunération du travail à juste hauteur.

L'Exploitant Agricole de Saône et Loire