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Sur la piste du loup avec l’une de ses plus fidèles alliées

Sur la piste du loup avec l’une de ses plus fidèles alliées

Originaire des Alpes de Haute-Provence, Nicole Pellegrino voue un culte à la profondeur insondable au loup, dont elle se fait l’avocat, car il y a de quoi faire au regard des allégations le victimisant. Le parc à loups du Gévaudan (Lozère) l’aimante à souhait. Au point de l’avoir tutoyé à six reprises. Elle s’y ressource et vivifie son cheval de bataille.

Qu’y trouvez-vous là-bas ?

« Les meutes de loups, d’année en année je vois grandir les louveteaux, je connais certains loups par leur nom, surtout ceux du Canada, la rencontre avec des gens qui comme moi aiment les loups, les discussions avec Sylvain, sa femme, soigneurs au Parc. Lors des visites guidées j’apprends chaque fois quelque chose ».

 

Quel a été l’effet déclencheur de votre passion ?

« Toute petite déjà, je n’aimais pas les histoires où le loup était toujours grand et méchant…Plus tard, j’ai vu dans un zoo un loup dans un enclos de béton. Il marchait de long en large et à un moment, il s’est arrêté et m’a regardée. Dans ses yeux j’ai vu tellement de détresse…Et puis il y a eu ce reportage sur M. Ménatory, la façon dont il parlait des loups m’a donné envie d’en savoir encore plus. J’ai dévoré tous les livres que j’ai trouvé, ce qui m’a emmenée aux légendes des Amérindiens, qui eux respectaient les loups. Plus tard encore je suis venue au parc du Gévaudan, rencontrer mes frères loups».

 

Quelle valeur le mammifère a-t-il à vos yeux ?

« Le loup fait partie de la biodiversité. C’est un animal superbe, libre, il vit en meute qui, bien souvent est sa famille. Lorsqu’il s’accouple, c’est pour la vie. Ce qui compte pour lui, c’est le respect pour le chef de meute. Quand l’on parle de son impact sur les ongulés sauvages, il faut savoir que le loup, contrairement à l’homme, a toujours régulé sa meute en fonction du nombre potentiel de proies. Lorsque je lis dans un communiqué du 15 octobre des différentes fédérations de l’agriculture (FNSEA, JA, ACPA, FNO) adressé aux ministres de l’agriculture et de l’écologie, disant que le loup n’apporte aucune plus-value à la biodiversité, je suis outrée. Les loups font partie intégrante de la biodiversité, mais il faut croire que pour les éleveurs la biodiversité se limite à des troupeaux de moutons ».

 

Qu’est-ce qui vous chagrine, et quels arguments constructifs opposer aux anti-loups ?

« C’est que dans les écoles, les histoires de grand méchant loup continuent à être lues aux petits enfants. C’est pour cette raison que depuis deux ans, je viens avec mes petits-enfants au Parc, pour leur expliquer qui est vraiment le loup. Je sais que les loups attaquent les troupeaux, c’est évidemment une catastrophe parmi beaucoup d’autres, bien plus importantes. Chaque année en France, de 400.000 à 500.000 brebis de réforme sont envoyées à l’équarrissage, mais la brebis égorgée est émotionnelle, et ça, ça plaît dans le journal télévisé et dans les journaux. Dommage que les images de loups abattus ne circulent pas aussi facilement, car sans doute le réflexe des téléspectateurs ou des lecteurs s’en trouverait-il fortement modifié. Certains éleveurs habitués depuis des décennies à laisser leurs troupeaux seuls dans la montagne ont du mal à se faire à l’idée qu’il leur faudra désormais protéger mieux leurs bêtes. Ils ont des aides pour cela, pour installer des clôtures, acheter les chiens de protection (le patou), les nourrir s’il est prouvé que les chiens montent à l’estive, et même des aides pour payer des bergers. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en cas de prédation par le loup confirmée –mais peut-on parler de certitude lorsque le texte dit « cause de mortalité liée à la prédation, responsabilité du loup non exclue », c’est peut-être le loup ou pas ? – les compensations varient de 84 euros pour un agneau, à 480 euros pour un bélier à forte valeur génétique, plus 0,70 euro par brebis (plafond à 300 bêtes et si des systèmes de protection sont organisés) pour dédommager le stress et le dérangement causés par l’attaque des troupeaux. On peut encore rappeler que 85% du cheptel ovin français bénéficient de l’indemnité compensatrice de handicap naturel, que les éleveurs touchent des primes à la bête avec des subventions françaises et européennes, donc avec l’argent des contribuables. Mais ce que je remarque à la lecture du plan loup 2013, et je l’ai indiqué à la ministre de l’écologie de l’époque, Mme Batho, c’est l’article 14. Les tirs de défense réalisés avec un fusil de chasse à canon lisse peuvent intervenir dès lors que « des mesures de protection ont été mises en œuvre, ou que le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé », mais qui vérifie cela ? Avec les gens de la FNCFS (Fédération Nationale de la Chasse et de la Faune Sauvage), et là le mot chasse me gêne car sur 21 administrateurs, il y a 13 sièges occupés par des chasseurs, dont 2 à la chambre agricole, et seule association écologiste, est-ce une éthique et équitable ? Le conflit d’intérêt est une réalité. Il faudrait que cette fédération soit un organisme indépendant regroupant avant tout des biologistes, des éthologues et des scientifiques dont les études ne seraient pas systématiquement détournées de leur objectif par le lobby chasse, qui s’est approprié en toute légalité la « gérance » de notre biodiversité. Que des tirs d’effarouchement doivent être effectués, pendant 7 jours auparavant, mais qui va vérifier si ces tirs ont bien eu lieu, que, pour ces tirs non létaux l’éleveur peut utiliser des balles à grenaille métallique d’un diamètre inférieur ou égal à 2,25 mm ? Or, avec ce genre de munition, on tue, mais connaissez-vous une arme qui ne tue pas ? Quant aux tirs de prélèvement, effectués avec une arme de catégorie 5, vous ne pouvez la posséder que si vous avez un permis de chasse, et elle peut être équipée d’une lunette. Il n’est écrit nulle part que les loups peuvent être abattus lors de chasses organisées en battue aux sangliers, c’est hélas ce qui s’est passé, et ce qui a conduit à la mort de deux loups, et un blessé non retrouvé. Pour l’ASPAS (ASsociation de Protection des Animaux Sauvages), M. Pierre Athanase écrit : « Les loups tués ne sont pas des loups pris sur le fait, l’important est donc de réduire la pression et de satisfaire les lobbies du pastoralisme et de la chasse, véritable traque déléguée aux chasseurs ». Avant la création du parc du Mercantour, il y avait très peu de brebis et essentiellement des vaches ; le pastoralisme n’est donc pas une forte tradition dans la région des loups. Il ne rapporte rien localement, car qui peut avoir envie d’aller voir des troupeaux de moutons, gardés par des patous toujours dangereux ? La filière ovine va mal, avec ou sans loup, l’importation de viande de mouton néo-zélandais, beaucoup moins chère que la française y est certainement pour beaucoup. En 2012, 55% de la viande consommée en France était de la viande importée. Depuis 1990 l’élevage s’est effondré de 50% en Poitou-Charentes, où il n’y a pas de loup, contre 26% en PACA, où le prédateur est installé depuis 1992. Le mouton n’est en aucun cas bon pour la biodiversité montagnarde, le biologiste Gilbert Cochet le compare à « un chalut dévastant tout », et rappelle que le surpâturage appauvrit la flore et la faune, en faisant disparaître notamment des orchidées et des papillons. Des études ont été réalisées dans le parc national du Yellowstone, démontrant que le loup a un impact bénéfique sur la faune, et dès lors sur la flore,  les études de N. Espunole, Mech ou Boitani, de la Fuente et tant d’autres allant dans le même sens.  Une autre étude publiée dans «Le Journal de Québec » en 2010, effectuée dans les forêts du Séminaire de Québec, en collaboration avec les gens de la forêt de Montmorency et l’université de Laval, avec la participation du grand spécialiste en la matière Pierre Vaillancourt, du régisseur du territoire Jacques La Liberté, apporte la preuve de l’effet bénéfique de la présence du loup dans ces territoires. Luigi Boitani, professeur à l’université de Rome, spécialiste européen des loups, écrit : »La France, en autorisant l’abattage de loups devrait être poursuivie en justice pour violation pure et simple des textes internationaux, et une nouvelle fois en ce qui concerne l’environnement, être mise à l’amende. Mais ni le parlement européen, ni les associations de protection de l’environnement ne s’élèvent contre cette violation malgré des amendes payées avec l’argent des contribuables se chiffrant à des millions d’euros et afin de satisfaire des corporations vindicatives, est coutumière du fait, si ce n’est être une multirécidiviste en cette matière ». J’en conclus que le plan loup n’est qu’une permission à peine déguisée de tuer les loups, et cela par les chasseurs, car les armes préconisées pour cette chasse ne peuvent être qu’entre les mains de personnes ayant le permis de chasse, louvetiers, éleveurs, membres de la FNCFS, tout-puissants dans notre pays. Savez-vous que le ministre de l’écologie est un chasseur ?...Lorsque le Parc du Mercantour a été créé le 18 août 1979, et en 1980 le Parc naturel dans le Piémont, il était indiqué que c’étaient des sites communautaires SIC pour la conservation de la biodiversité. En 1993 un diplôme européen pour la sauvegarde de l’environnement a été décerné par le Conseil de l’Europe pour distinguer l’action conjuguée des Parcs du Mercantour et Alpi Marittime. Que l’importance du loup comme partie intégrante d’un écosystème naturel a été reconnue, et qu’il a finalement été protégé en Europe de l’ouest et dans de nombreux autres pays à partir de 1970. Depuis 1985 où la première meute a été notée à proximité de Gênes au nord des Apennins, la colonisation en direction des Alpes occidentales puis vers le nord des Alpes et le Massif central n’a cessé de se poursuivre, le loup est revenu dans les Alpes-Maritimes début 1990, première observation le 5 novembre 1992. Je ne sais pas quels arguments constructifs pourraient faire changer d’avis les anti-loups, ils sont vraiment déterminés à éradiquer le loup de France, n’écoutent aucun argument. De temps en temps nous gagnons une bataille, mais je crois que la guerre ne finira jamais. Il faut rester vigilant. Je crois fermement que le loup a sa place chez nous, comme il a sa place en Espagne, en Italie, où il y a beaucoup de troupeaux, et où vivre avec les loups est possible, pas facile, mais possible.

 

Comment vous définissez-vous ?

 « Comme une grand-mère qui ne voudrait pas laisser à ses petits-enfants une terre où l’homme seul aura le droit de vivre. Où la montagne n’appartiendra pas seulement aux troupeaux de moutons. Il y a de la place pour tout le monde : animal, végétal…La survie de la terre se fera seulement à la condition que la biodiversité soit quelque chose de concret, et non pas une utopie ».

 

De quelle façon menez-vous le combat ?

« Vous avez raison de parler de combat, car en face, ils ont les fusils et sont souvent menaçants lors des manifestations pro-loups. Moi, j’ai les mots pour me battre. Un rappeur amérindien « Algonquin » Samian chante «… les mots n’ont peur de rien, car les mots sont une arme ». Voilà mes armes. Je signe les pétitions, n’ai pas peur de protester auprès des ministres de l’agriculture et de l’écologie, biens souvent trop frileux. Il faut savoir qu’un récent sondage IFOP, fait ressortir que 80% des sondés sont farouchement opposés à son éradication. Peut-être que les politiques devraient y réfléchir ».

 

Avec quelles associations de protection de la nature êtes-vous en phase ?

« L’ASPAS, le WWF, FERUS, la LPO ».

 

Selon vous, les autres super prédateurs méritent-ils un soutien sans faille ?

« Le mot super prédateur est exagéré, le super prédateur c’est l’homme, et lui je ne le soutiens pas. Oui, mais il n’y en a pas beaucoup en France, des ours, des lynx, réintroduits. Les loups, par contre, sont revenus seuls, traversant les frontières ».

                                                                                                Michel Poiriault