Chalon sur Saône

La sagesse, ses tenants et aboutissants, triturés dans tous les sens par les trois amis à Chalon

La sagesse, ses tenants et aboutissants, triturés dans tous les sens par les trois amis à Chalon

D’ordinaire le Parc des Expositions de Chalon-sur-Saône est le théâtre de Salons, de la Foire, de spectacles au sens large du terme. Ce mardi soir le contenant arborait un contenu n’ayant absolument rien à voir, puisque c’est une conférence haut de gamme qui avait lieu dans l’arène, articulée autour de l’ouvrage « Trois amis en quête de sagesse ». Ce type de rendez-vous est de plus en plus prisé, au point d’avoir fait le plein : 2.300 auditeurs. Et encore, cinq cents demandes ont-elles dû être refusées en amont !

Avec l’objectif d’un rendu optimal

Les VIP et non-donneurs de leçon que sont le psychiatre-psychothérapeute Christophe André, le philosophe Alexandre Jollien, et Matthieu  Ricard, moine bouddhiste-interprète du Dalaï-lama, par ailleurs docteur en génétique cellulaire, auront fait bénéficier l’assistance d’une exclusivité : en 2017 Chalon est la seule ville à proposer ce plateau. Pas folles les guêpes ! Comment refuser cet honneur pour le citoyen lambda qui éprouve le besoin vital de suivre un chemin de vie en adéquation avec son moi profond ? Impensable ! Le grand jeu a été sorti du côté de l’organisation, histoire de faire preuve de monumentalité en invitant les équipements high-tech. Ainsi deux écrans géants, chacun placé de part et d’autre de la scène, permettaient de suivre dans les meilleures conditions les exposés conduits dans une conversation à bâtons rompus, puis les questions-réponses, alors que les traits d’humour ont accordé une plus-value aux échanges (à l’applaudimètre Alexandre Jollien devait décrocher la timbale).

La vision d’Alexandre Jollien

Alexandre a été le premier à se jeter à l’eau. Et de mettre les pieds dans le plat des questions existentielles. « L’aspiration au bonheur est comme tronquée, on s’égare. Il faut débloquer le regard de tous les préjugés, toutes les hiérarchies qu’on peut mettre entre tous les êtres humains.  Qu’est-ce que je peux faire ici et maintenant pour approcher  cette paix intérieure ? De quoi je puis me décharger aujourd’hui pour aller mieux ? Savoir où est notre vraie voie, notre vrai bonheur ? On ne peut pas être heureux dans son coin. L’individualisme est une erreur de perspective. Les enfants sont à mon sens bien plus sages que les parents. Chez les Grecs la sagesse avait deux dimensions : la tempérance et la prudence. Il y a un thème qui me passionne : l’impuissance à changer. L’addiction est un thème qui m’est cher, on peut être addict à la souffrance. Ce qui libère de ça, c’est l’amour inconditionnel de l’autre. Un premier pas vers la sagesse, c’est voir notre esclavage sans jugement. La sagesse, c’est de voir l’être humain tel qu’il est au quotidien. Il ne faut jamais être dans une volonté de puissance, de prédation, instrumentaliser l’autre. » Une formulation est revenue de temps à autre : « C’est le bordel, mais il n’y a pas de problèmes ! » Alexandre a également cité les bienfaits de la méditation. « La méditation c’est vraiment l’art d’être là. C’est déjà se débarrasser de l’illusion que le monde tourne autour de soi. La rencontre avec l’autre c’est vraiment un exercice de décentrement, c’est se débarrasser de notre brume mentale. La responsabilité de chacun, c’est vraiment de vivre au quotidien un autre rapport au monde.»

Lorsque  s’exprime Christophe André

« Nous ne prétendons en aucun cas être des sages. Nous avons juste nos réflexions, nos efforts à vous donner. Quand nous avons écrit notre livre, nous n’avons jamais imaginé parler de sagesse.  La sagesse n’a pas très bonne presse, elle a une image surannée, ou un peu prétentieuse.  Lorsque l’on parle de sagesse, on a l’image d’un vieux sage, barbu. Elle n’est pas une exclusivité masculine, au contraire même, les femmes ont beaucoup plus les capacités de discernement. La sagesse ne peut conduire qu’à une chose : aimer son prochain, vouloir l’aider. Beaucoup d’humains que j’ai rencontrés m’ont donné des leçons de sagesse. On peut observer des comportements de sagesse chez des personnes ; certaines m’émeuvent, m’apprennent des choses. Le chemin de la sagesse est un chemin sur lequel il n’y a pas de raccourcis. Il y a tout un tas d’étapes à franchir. L’adversité malheureusement nous ouvre parfois les yeux sur des évidences que nous avons parfois tendance à oublier.  Cette sagesse, c’est une façon de construire notre chemin sans attendre que l’adversité vienne nous ouvrir les yeux. Il me semble que la sagesse existe, même si les spécialistes de la sagesse s’en détournent. Apprendre à observer le fonctionnement de son esprit ne va absolument pas de soi. On est très attachés aux pratiques méditatives. Le discernement est très important, c’est juste faire la différence entre la réaction impulsive et la réponse. »

Et Matthieu Ricard, dans tout ça ?

« La sagesse, on pourrait mieux comprendre par contrastes ce qu’elle n’est pas. Ce n’est pas superficiel de se comporter en tête brûlée. Il faut partir de choses extrêmement simples. La première, et la plus évidente, c’est qu’aucun être sensible ne souhaite souffrir.  Il faut comprendre également quels vont être les pensées, les paroles, les actes, qui vont contribuer à ça. Le discernement est au cœur de la sagesse.  J’ai passé près de quinze ans près d’un grand maître spirituel. Je n’ai jamais entendu une parole, être témoin d’une action, où il y avait la moindre trace de malveillance. Le génie de la sagesse, c’est d’avoir une cohérence parfaite. Une des choses qui me frappent  le plus avec le Dalaï-lama, c’est la façon absolument égale avec laquelle il va se comporter avec tous les êtres humains. C’est une leçon extraordinaire de vie, c’est le vrai discernement. En fait on a d’autant plus besoin de sagesse qu’il y a des choses qui ne tournent pas rond dans le monde. Comment se préoccuper des gens pour qu’ils ne pètent pas les plombs ? La sagesse, c’est aussi voir les choses sur du très long terme. C’est ce défi dont nous avons tant besoin dans ce monde d’aujourd’hui. On est écrasé par l’acrasie. Qu’est-ce que c’est que la vraie liberté ? Si on fait tout ce qui nous passe par la tête, on est le jouet de toutes nos pensées. Ca revient à cette notion de dépendance, d’asservissement.»

                                                                                    Michel Poiriault

                                                                                   [email protected]