Bourgogne

Aimer son chien, c’est chercher à le comprendre et l’éduquer : Gilles Delaye, éducateur et comportementaliste canin, déjoue certaines idées reçues

Aimer son chien, c’est chercher à le comprendre et l’éduquer : Gilles Delaye, éducateur et comportementaliste canin, déjoue certaines idées reçues

Comment être heureux en couple ? Non, pas celui auquel vous pensez, mais celui que vous formez avec votre chien.
À la quarantaine, Gilles Delaye fait le choix de la reconversion. Pas n’importe laquelle : il renoue avec ses premières amours, l’éducation des chiens. Vous vous préparez à adopter un chien ? Vous aimeriez qu’il vous obéisse ? Tisser un lien de confiance, de complicité et de sérénité ? Vous souhaitez entretenir sa santé (et la vôtre) par des activités physiques ou sportives ? L’éducateur canin répond aux questions qu’Info-chalon pose pour vous. Et vous allez voir, quelques mauvaises habitudes des maitres sont à bannir…

On peut parler d’une reconversion réussie : pourquoi le choix d’éducateur canin ?

Mon expérience d’éducateur commence bien avant ma formation. Elle remonte même à mon enfance. Quand mes parents se sont séparés, j’ai dû m’occuper du berger allemand de la famille. Je l’ai dressé en tâtonnant et grâce à des livres de l’époque, en particulier celui de Jean-Pierre Hutin, le créateur de l’émission 30 Millions d’amis. Des conseils que j’ai fait évoluer dans ma pratique. C’est comme les formations que j'ai reçues, il y a du bon et du moins bon, il faut savoir trier et ne pas hésiter à le faire.

Quelle a été votre formation ?

En 2008, j’ai préparé ma reconversion par une première formation d’éducateur canin, avant de m’installer le 1er janvier 2009. Il y avait beaucoup de pratique, peu de théorie, et l’examen final était trop peu exigeant. Comme je pratiquais avec mon chien, j’ai vite éliminé certaines choses. Le matériel en particulier : il était archaïque ! C’était collier en métal et « coup de sonnette » (tirer de grands coups sur la laisse). Des manières que je jugeais trop rudes.

Puis en 2012, j’ai fait une deuxième formation qualifiante de 6 mois en e-learning : éthologie et comportementalisme. L’éthologie est l’étude du comportement animal dans son environnement naturel. J’étais passionné par les loups depuis longtemps, ça m’a parlé. Là, c’était l’inverse : beaucoup de théorie, pas de pratique. Mais j’étais installé depuis 4 ans et j’avais déjà une clientèle importante. J’avais eu le temps de tester des pratiques et de constater les résultats. Pour résumer, cette formation-là m’a appris beaucoup de choses sur l’anatomie du chien, son système cognitif et les troubles du comportement. Mais leurs conseils sur la pratique étaient très contestables. Si je les avais appliqués, je n’aurais plus de clients à l’heure actuelle.

Quelles aptitudes faut-il pour devenir un bon éducateur canin ?

En premier lieu, il faut être adaptable : les gens qui viennent me voir ont parfois une demande précise, c’est le point de départ. Ensuite, il y a le chien, il faut s’adapter à son caractère : peureux, névrosé, agressif… Il faut donc l’observer, le comprendre et l’éduquer en conséquence.

Mais avant tout, il faut « penser loup-penser chien », c’est-à-dire ne jamais oublier les origines du chien. Ses ancêtres sont les loups et, comme eux, ils vivent en meute, avec une hiérarchie : il y a le couple alpha — les dominants — et les 2 sous-groupes bêta et oméga. Donc, quand vous êtes leur maitre, n’oubliez pas que vous êtes le membre alpha du groupe, et qu’à ce titre vous devez le dominer, et lui, obéir. Attention au malentendu courant ! Dominer n’est pas abuser de son pouvoir, ce n’est pas tyranniser son chien ! Bien au contraire. Chez les loups, le couple alpha assure la survie de la meute : sa nourriture et sa préservation. De la même manière, vous, le maitre, vous devez offrir le cadre sécurisant dont votre chien a besoin pour s’épanouir. C’est pour ça que je préfère le mot « éducateur » à celui de « dresseur ». Dresser un chien, ça peut venir dans un deuxième temps. Ce sont deux choses distinctes et je pratique les deux.

Selon vous, le dressage est-il une nécessité ?

Le dressage, non. L’éducation, absolument ! Il faut différencier les deux. Quand un chiot est près de sa mère, il est sevré à 2 mois sur le plan alimentaire, mais pas affectivement. Et je ne parle pas de câlins, mais de l’éducation. La mère ne cesse de le remettre en place : il mordille trop fort, il fait ses besoins près de la niche… Elle le corrige, et donc l’éduque ! C’est pour ça que je conseille fortement de le laisser auprès d’elle jusqu’à 2 mois et demi à 3 mois. Et c’est cette éducation que je poursuis ou reprends à l’École des chiots, des cours collectifs de chiots âgés de 3 à 7 mois, à jour de vaccins. Je conseille 4 séances au minimum.  

Est-il parfois trop tard pour éduquer son chien ?

Non, et heureusement. Je suis en train d’éduquer deux chiens de 10 ans. On reprend tout à zéro : l’éducation et l’obéissance. Le chien n’est pas un humain, et c’est aux maitres à « penser chien ». Lorsque les gens viennent me voir avec une demande précise, je les reçois d’abord dans ce petit chalet d’accueil et je les écoute attentivement. Puis je traduis leurs descriptions des comportements du chien en symptômes et troubles, si c’est le cas. Je leur expose les particularités et les causes du trouble. Soit il est endogène (causes physiologiques) et c’est au vétérinaire de poser le diagnostic, soit il est exogène (dû à son environnement) et je dois expliquer aux maitres comment ils peuvent agir pour le guérir. Je vous avoue que dans ce chalet, les larmes coulent… Parce que les clients qui viennent me voir adorent leur chien, mais, par manque de connaissances, ils font parfois des erreurs d’éducation qui conduisent aux troubles du comportement de leur fidèle compagnon. Ce qu’il faut comprendre, c’est que votre chien agira en conséquence de vos actes. Si son cadre n’est pas sécurisant ou si votre chien n’est pas suffisamment sollicité, il pourra développer des troubles du comportement. C’est donc aux maitres à apprendre à poser quelques règles élémentaires.

Pouvez-vous nous rappeler quelques erreurs à éviter pour bien éduquer son chien ?

Je reviens à cette idée essentielle de hiérarchie et de cadre sécure. Trop souvent, les gens ne savent pas le mettre en place à la maison. Ils n’ont pas les connaissances dont je parlais, le fameux « penser loup-penser chien ». Du coup, ils imaginent que c’est bien de les laisser monter sur le canapé, être dans la cuisine quand on prépare le repas, et y assister. Ce sont des erreurs rédhibitoires ; quand je cuisine, c’est chacun sa place, celle du chien n’est pas dans la cuisine. Et quand je vais me coucher, le chien doit rester dans son espace à lui, pas dans ma chambre. Ça peut paraitre des détails pour les gens, mais c’est important dans l’esprit du chien. Si tout lui est autorisé, il se dit OK, j’ai le droit de tout faire et il devient ingérable. 

Pouvez-vous citer quelques-uns des troubles de comportement du chien ?

Parmi les causes exogènes – celles, je le rappelle, qui sont dues à son environnement et donc aux maitres, je vais vous en présenter quatre. Il y a le syndrome de privation : un chien qui n’est pas stimulé (on lui donne à manger, on ferme la cage et c’est tout) développera des phobies dès qu’il se trouvera dans un milieu qui bouge, il aura peur de tout. Le syndrome d’hyperattachement : le chien est toujours collé à son maitre, il n’a aucune restriction. Quand celui-ci s’absente, même brièvement, le chien a des angoisses de séparation : il détruit tout. Attention, il ne le fait ni par vengeance ni par jeu : c’est une souffrance qui s’exprime, comparable à celle d’un drogué en situation de manque. Le syndrome du grillage : c’est le chien qui est détenu dans un jardin, de 1000 m2 ou plus, et qui n’en sort jamais : il sera névrosé. Il fait des va-et-vient incessants (comme les animaux dans les zoos) qui creusent même un sillon. Il devient agressif vis-à-vis de ce qui vient de l’extérieur. Le syndrome du comportement autocentré : par exemple un chien qui tourne en rond et se mord la queue, ou qui se gratte jusqu’au sang… Le chien est délaissé, il s’ennuie, ne sait pas pourquoi il est là. Encore un comportement névrotique.

Que faut-il pour accueillir un chien chez soi dans de bonnes conditions ?

Pas besoin d’un grand jardin : un chien en appartement, qui est bien éduqué — donc qui passe du temps à marcher avec son maitre (très important, la marche) et jouer avec lui — sera plus heureux qu’un chien délaissé dans un immense jardin. N’oublions pas que le chien est, comme nous, un animal social. Il a besoin d’activités, de jeux, de renifler de nouvelles odeurs, de découvrir de nouveaux coins. Un chien bien éduqué fera tout pour plaire à son maitre, c’est sa plus grande motivation. En résumé, il faut lui consacrer du temps et savoir un minimum “penser chien” si vous voulez que votre chien s’épanouisse.

Et en matière de matériel ? Vous avez évoqué du matériel archaïque : lequel préconisez-vous ?

Oui, encore aujourd’hui, il existe du matériel proposé à la vente qui est catastrophique pour le chien ! pour un chien qui a tendance à tirer, les colliers en métal dont je parlais ou les colliers classiques sont à éviter : quand vous tirez sur la laisse, le collier comprime sa trachée, d’où une toux d’irritation. Et puis il y a le problème de certains harnais. Le harnais est recommandé pour le sport, mais pas n’importe quel harnais : il faut proscrire le harnais à sangles, qui vient couper latéralement les pattes avant du chien. En cas de forte traction, la sangle peut occasionner de gros problèmes, surtout sur les chiots : luxation de la clavicule, des épaules, autant de problématiques d’ordre osseux. Les ostéopathes animaliers avec lesquels je travaille constatent les dégâts. Les meilleurs modèles sont les harnais en Y, ils respectent l’anatomie du chien : ils n’ont pas de sangle latérale, mais un empiècement en forme d’Y (le berceau) qui soutient bien le chien au niveau du poitrail.

En ce qui concerne la laisse, je travaille depuis 11 ans avec la laisse lasso, appelée aussi laisse d’éducation. La laisse classique, outre le problème de son collier étrangleur, ne permet pas au chien de ressentir la pression pour tourner à droite ou à gauche. En 2008, je suis tombé sur un vieux documentaire télévisé où l’on voit des chiens qui marchent impeccablement aux pieds de leurs maitres : c’est là que j’ai découvert le principe de la laisse lasso. J’ai tâtonné avec mon chien, appris à la placer, à l’utiliser correctement et aujourd’hui, je travaille toujours avec ce matériel. Mais bien sûr, comme le chien n’y est pas habitué, il faut faire un travail de débourrage qui dure de 5 à 15 minutes. Depuis que je suis installé, j’ai dû voir 2000 chiens et je n’ai jamais eu d’accident ni de blessure, bien au contraire, il y en a moins qu’avant. C’est pour cela que je la vends aux clients qui viennent me voir et les résultats sont probants. Ceux dont le chien les tirait à plat ventre jusqu’à mon terrain sont éberlués de l’efficacité si rapide. Je vends également du matériel de jeu, parce que je fonctionne essentiellement par le jeu pour apprendre aux chiens, c’est ma spécificité.

Et le dressage, alors ?

Si vous rêvez de faire des activités avec votre chien, tous les dressages sont possibles après que le chien a été éduqué. J’enseigne 3 sortes de dressage : le parcours Agility (avec des obstacles homologués), la recherche de véritables truffes de Bourgogne et le chien de troupeau. Ça, c’est mon dada ! Je pratique cette discipline depuis 20 ans avec mes borders collies. C’est la race par excellence pour conduire et diriger un troupeau. Je dispose de 2 ha et d’un troupeau de brebis pour entrainer les chiens… et mes clients.

Transmettez-vous votre savoir-faire à d’autres éducateurs ?

Oui, bien sûr. Quand je vous parlais des formations qui laissent à désirer, le point le plus négatif, c’est que beaucoup d’éducateurs qui en sont issus s’installent et ne parviennent pas à gagner leur vie par manque de clients. Je suis donc devenu coach d’éducateurs canins pour les aider à booster leur entreprise. Je leur apprends tout ce que je sais : méthodes, matériel et démarches pour se faire connaitre. Pour ma part, je n’ai jamais fait de publicité directe : ma clientèle se constitue par le bouche-à-oreille. Souvent, ce sont les vétérinaires et autres professionnels du chien qui me recommandent. C’est même 80 % de ma clientèle.

Par ailleurs, j’interviens auprès de divers organismes pour former à la prévention des morsures.

Enfin, je fais des visioconférences pour des clients qui habiteraient trop loin de chez moi pour leur donner des conseils.

Dernièrement, j’ai été agréablement surpris d’être contacté par une équipe de cinéma pour une scène de film qui se tournait en Bourgogne : il s’agissait de diriger des chiens dans une scène avec les acteurs. C’était une super expérience, d’ailleurs.

 

Pour conclure cet entretien, citons un passage d’un vieux manuel datant de 1959 qui, loin d’être obsolète, fait écho aux propos de Gilles Delaye.

« Le chien est-il capable de perfectibilité ? Ce serait nier le dressage, qui est au développement des qualités naturelles du chien ce que l’instruction est à l’homme (…). Avec une différence cependant : un chien n’est pas un humain. S’il pense, c’est ‘en chien’ qu’il pense, et c’est à l’homme, à l’éducateur, qu’il appartient de ‘penser chien’. On évitera ainsi bien des malentendus, des injustices, des corrections imméritées. Ce principe respecté, la perfectibilité s’obtient. Donc, avant tout, l’observation, puis le calme, l’obstination, la patience, le sens égal de la punition et de la récompense sont en définitive les vertus principales qu’on devra chercher… chez l’homme si l’on veut développer le dressage du chien. » Le chien, par Dr Ferdinand Méry, éd. Larousse.

Nathalie DUNAND
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