Chalon sur Saône

L'adjudant-chef Gabriel Flagey, ce Chalonnais tombé au Champ d'Honneur pendant la guerre de Corée

L'adjudant-chef Gabriel Flagey, ce Chalonnais tombé au Champ d'Honneur pendant la guerre de Corée

Ce vendredi, c'est devant la tombe de l'adjudant-chef Gabriel Flagey, natif de Chalon-sur-Saône et inhumé au Cimetière de l'Est, qu'on commémorait le souvenir des 268 membres du Bataillon français de l'ONU morts pendant la guerre de Corée. Info Chalon vous invite à découvrir l'histoire du Chalonnais qui se confond avec celle du Bataillon.

Né le 18 juin 1916, à Chalon-sur-Saône, le jeune Gabriel Flagey faisait partie des 1017 hommes du Bataillon français de l'ONU, créé en septembre 1950 et envoyé par le gouvernement, dirigé par René Pléven, pendant la présidence de Vincent Auriol, pour représenter la France dans les forces terrestres multinationales mandatées par le Conseil de sécurité des Nations unies dans sa résolution 83 du 27 juin 1950.


Débarqué à Fusan (l'actuelle Pusan), le plus important port de Corée du Sud, le 29 novembre 1950, le Bataillon français de l'ONU, organisé en une compagnie de commandement, trois compagnies de combat et une compagnie de blindés, est intégré, au même titre que les bataillons néerlandais et thaïlandais, au 23rd Infantry Regiment de la Second Infantry Division des États-Unis (la fameuse Indian Head), une des premières unités à intervenir dans le conflit coréen.

Le BF de l'ONU y formera le 4ème bataillon.


Les Français rejoignent leurs cantonnements à Daegu pour une période d'entraînement et d'instruction d'un mois et recevoir leurs équipements.


L'adjudant-chef sera engagé dans les violents combats en cours dans cette guerre de mouvement, dès le 25 décembre 1950.


Le 7 janvier 1951, le Bataillon français de l'ONU recevait pour mission de couvrir le flanc de l'Indian Head, à Wonju, une localité située au centre de la péninsule coréenne, dans la province du Gangwon. L'objectif de la 23rd Infantry Regiment de la Second Infantry Division était de ontenir l'offensive chinoise de l'hiver. Le 2 janvier, les Français se regroupaient à Chungju pour ensuite gagner la région de Wonju, dont la position centrale en faisait un carrefour stratégique. L'Indian Head s'installa défensivement au nord-ouest de la ville, près des villages de Huchon et Majong-Ni. Les Chinois, de leur côté, concentrèrent leurs troupes autour de Wonju qu’ils avaient enlevé. Le lendemain, à l'aube, l’ordre tombe : Wonju doit être reprise. L'attaque américaine fut un échec. Il faut attendre le 10 janvier, après cinq jours de combats ininterrompus allant jusqu'au corps-à-corps, les armes étant gelées. pour qu'elle aboutisse enfin.


Ce fut le baptême du feu pour nos Français qui se sont illustrés notamment par une charge à la baïonnette, par -30° C, restée célèbre depuis, même si l'origine de celle-ci est sujette à polémique.


Le Bataillon français de l'ONU y déplorera ses premières pertes : 13 morts, 10 blessés. La valeur des combattants français à Wonju, lèvera le doute, du côté américain, sur la combativité des Français.


Toutefois, malgré cette victoire, Wonju doit être abandonnée pour des questions de réajustement du front.


Poursuivant la contre-offensive commencée à Wonju, les unités des Nations-Unies progressent en territoire ennemi vers le Nord, en direction de Chipyong-Ni, utilisant notamment la tactique chinoise de progression par les crêtes.


Au cours de la remontée alliée, une colonne de plusieurs dizaines de combattants de l'Indian Head tomba dans une embuscade, le 30 janvier. L'US Air Force riposta à cette attaque chinoise en bombardant toute la zone au napalm. Le lendemain, le contingent français, qui avait reçu l'ordre de se poster à 4 km au sud de Chipyong-Ni, au lieu-dit Twin-Tunnels — deux tunnels traversent les collines occupées par les hommes du 23rd Infantry Regiment —, passa devant les restes du détachement américain.


Regroupées en point d'appui fermé à Twin-Tunnels, au soir du 30 janvier 1951, les compagnies du BF/ONU subirent l'assaut chinois très tôt dans la matinée du 1er février. Le combat reste incertain et à 11 heures, les pertes s'accumulèrent, le problème de l'évacuation des blessés et de morts soulèvant de grosses difficultés, , mais l'ordre du chef de bataillon Olivier Le Mire est de «tenir coûte que coûte».


Le message fut bien compris : les hommes tiennent la position grâce au soutien logistique et à l'appui de l’aviation américaine qui intervient en début d’après-midi.


Le Bataillon repris alors le terrain mètre par mètre, en fin d'après-midi. Il y perdit 32 hommes et une centaine de blessés dans ce terrible engagement. Ce fait d'armes lui vaut sa première citation française à l'ordre de l'Armée et sa première citation présidentielle américaine.


Après le combat de Twin-Tunnels, le commandement américain donna l'ordre, le 3 février 1951, à l'Indian Head, d'occuper la position-clé de Chipyong-Ni, située à un carrefour de routes. En effet, le village constituait un important nœud de communication aux débouchés de plusieurs vallées.


Le 6 février, le Bataillon s'empara, comme convenu de Chipyong-Ni, à plus de 35 km en avant des points de résistance de la 8ème Armée et, après trois jours d'encerclement, du 13 au 16 février, la victoire est acquise : les Chinois ont renoncé à enlever la position et cessèrent leur attaque, laissant derrière eux des «monticules de cadavres».


Les Français, mis au repos à Wonju, dénombrent une dizaine de morts et 80 blessés.


La victoire de de Chipyong-Ni permet la relance d'une contre-offensive. Ce nouveau fait d'armes vaut au bataillon français sa première citation à l'Ordre de l'armée française et sa deuxième Citation présidentielle américaine (Presidential Unit Citation).


Le 3 mars 1951, deux compagnies du Bataillon français de l'ONU, assurant la relève d'une unité américaine sur la côte 1021, reçurent l'ordre de s'emparer de la côte 1037, un piton escarpé fortifié par les Chinois, situé à environ 200 km au Nord de Wonju et à environ 15 km au Nord-Ouest de la localité de Pyeongchang*, dans une zone montagneuse à l'Est de Séoul.


Pour l'unique fois au cours de la guerre de Corée, les volontaires français, seuls, vont y combattre les Chinois.


Les premières tentatives du 4 mars contraignent le Bataillon à s'installer défensivement pour la nuit sur les hauteurs (côte 1080) face à la côte 1037 alors qu'«une neige épaisse [recouvre] un terrain rocheux et profondément gelé … [et que] l'interdiction formelle de faire du feu et le manque de boîtes d'alcool solidifiées rendent pénible et pratiquement impossible l'absorption de tout aliment ou boissons chaudes»**.


L'assaut général est mené, le 5 mars, à 8 heures, après une préparation d'artillerie. À 10 heures 30, les premiers éléments prennent pied sur la côte.


La progression est lente et «l'ennemi commence à pilonner nos positions avec des mortiers et de l'artillerie et semble vouloir passer à la contre-attaque»***, «aucune manœuvre n'était possible parce que la côte 1037 n'était reliée à la base de départ que par une crête en lance de couteau», notera le lieutenant-colonel Paul Dumoncel****.


Les deux unités françaises enlèvent aux Chinois la position vers 16 heures, à la suite d'âpres combats et d'une progression comparée à un «chemin de croix».


L'évacuation des blessés, rendue difficile par le terrain et les contre-attaques chinoises, se poursuivra jusque dans la matinée du 6 mars. On dénombre à l'issue de cette terrible bataille 31 morts, 104 blessés (dont la majorité devra être évacuée) sur les 414 soldats français engagés, soit plus de 30 % de pertes!


Les conditions climatiques extrêmes, les pertes élevées subies par le Bataillon, et la redescente des corps des tués et blessés dans un terrain très escarpé, feront du combat de la côte 1037, un combat «à part» dans l'histoire du BF de l'ONU.


Cette bataille marquera la reprise de la progression des troupes onusiennes et ouvrira la route Hongchon-Chunchon, vers le 38ème parallèle, à la 2ème Division d'infanterie US, dont fait partie l'Indian Head, dans le cadre de l'offensive alliée d'hiver.


Ces trois jours de violents combats par -30° C assoient définitivement la réputation du Bataillon de volontaires français qui reçut, en trois mois de combat, deux citations à l'ordre de l'Armée et deux citations présidentielles américaines.


Le 6 avril, les Français 6 franchissent à leur tour le 38ème parallèle et, le 8, arrivèrent les premiers aux réservoirs de Hwachon.


Le 16 au 23 mai, la 2ème Division d'infanterie US parvient à briser l'offensive chinoise de printemps grâce en partie au sacrifice de la Section "Pionniers" du BF de l'ONU, commandée par le Chalonnais Gabriel Flagey. La section y gagnera sa deuxième citation à l'Ordre de l'armée française.


Passant à la contre-attaque, l'Indian Head franchit à nouveau le 38ème parallèle et le Bataillon français de l'ONU entre le premier dans la ville de Inje. Ces actions successives valent aux Français leur troisième citation à l'Ordre de l'armée française et une nouvelle Citation présidentielle américaine.


Au mois de juin 1951, presque un an jour pour jour après le début des hostilités, les opérations se ralentissent en Corée.


En effet, des pourparlers ont été entrepris à Kaesong, ville située à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Ouest de Séoul, en vue d'un éventuel cessez-le-feu.


Cependant, ces discussions paraissent devoir être longues, cela ne signifie en rien la suspension des armes.


Bien que la reprise d'une offensive à grande échelle ne paraît pas souhaitable pour les troupes de la 8ème Armée, des opérations limitées furent toutefois entreprises sur la ligne de contact. L'objectif étant d'empêcher les Nord-Coréens et les Chinois de se constituer une base de ravitaillement à l'abri d'une ligne fortifiée, indispensable pour le déclenchement d'une nouvelle offensive, d'entretenir la combativité des troupes malgré la guerre de position et d'exploiter la baisse du moral dans l'autre camp.


De très durs combats ont ainsi débuté le 13 juillet et ce jusqu'au 13 octobre, dans le secteur du Bol /Punchbowl, tenu par la 2ème Division d'infanterie US.


Excellent sous-officier, faisant preuve d'un sang-froid et d'un courage remarquable, l'adjudant-chef Gabriel Flagey sera cité, le 10 août, pour sa brillante conduite dans le secteur de Soktunje.


Il faudra enlever un à un à l'ennemi toute une série de points fortifiés.


De nouveaux combats, tout aussi durs, eurent lieu sur la côte 983 — la fameuse Bloody Hill —, puis, le dernier piton, Crèvecœur (ou Heartbreak Ridge), sur la côte 931, dans le district de Yanggu, près de Chorwon, à quelques kilomètres au Nord du 38ème parallèle.


La Bataille de Crèvecœur, également connue sous le nom de Bataille de Wendengli, débutera le 13 septembre.


L'adjudant-chef Gabriel Flagey tombera au Champ d'Honneur, le lendemain, 14 septembre 1951, dans le secteur de la vallée de Pia-ri, au Sud-Ouest du piton, en allant reconnaître une position, pour la Section des Pionniers, sous un violent tir de mortiers ennemis.


Lors de cette bataille, le Bataillon déplorera la perte de 40 tués, 192 blessés et 3 disparus.


Les côtes 894-931-851 qui forment Crèvecœur resteront connus comme les des combats les plus meurtriers auxquels ont participé les Français.


Le 23rd Infantry Regiment de la Second Infantry Division, auquel est rattaché le Bataillon français de l'ONU, y a subi des pertes très sévères, à peu près la moitié de son effectif.


Sur les 268 Français morts lors de la guerre de Corée, Gabriel faisait partie des 3 hommes de Saône-et-Loire, les deux autres étant du Bassin Minier. Il sera inhumé dans sa ville natale, au Cimetière de l'Est (Montée des Capucins).


C'est devant sa tombe, que l'Association Nationale des Anciens et Amis des Forces Francaises de l'ONU et du Bataillon et Régiment de Corée, qui dira du Chalonnais qu'il «restera pour tous un très bel exemple d'entraîneur d'hommes», et le Souvenir Français honoreront, ce vendredi 16 octobre, à 17 heures, les volontaires français morts en Corée.

* La petite ville est connue pour avoir abritée les 23ème Jeux olympiques d'hiver, en 2018.
** (Journal de marche et opération (JMO) de la 3ème compagnie du Bataillon Français de l'ONU).
*** Idem.
**** Compte-rendu des opérations du 5 mars 1951 du Lieutenant-colonel Dumoncel.

 


Karim Bouakline-Venegas Al Gharnati