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La laïcité, un combat d’actualité pour Gilles Kounowski

La laïcité, un combat d’actualité pour Gilles Kounowski

Il était chalonnais à une époque déterminante de sa vie : son adolescence. Son parcours brillant le mènera à de hautes fonctions dans la Cnaf et la franc-maçonnerie. Gilles Kounowski est, plus que tout, un ardent défenseur de la laïcité.

Chalonnais et jeune militant socialiste auprès de Pierre Joxe, le parcours professionnel et maçonnique de Gilles Kounowski le mènera à de hautes fonctions à l’international au sein de la Cnaf (Caisse nationale des Allocations familiales) et au titre de Vénérable Maître dans l’obédience du Grand Orient de France. Le cœur de ses combats a toujours été les valeurs de la République, en particulier la laïcité, qu’il promeut sur les plans professionnel et personnel. Autant dire : une vie dédiée à la recherche du progrès social.

Parisien de naissance – La Bastille l’a vu naitre – aujourd’hui orléanais, Gilles Kounowski a traversé bien des frontières : celles de pays, de la politique locale, celle, enfin, de la franc-maçonnerie. La vie comme terrain d’exploration géographique, politique, sociale et philosophique.

Gilles Kounowski termine sa carrière professionnelle avec la double casquette de directeur des Relations internationales de la Caisse Nationale des Allocations familiales (Cnaf) et directeur de la mission sur les Valeurs de la République de la branche famille. L’autre engagement, personnel celui-là, perdure au sein de la loge Étienne Delay du Grand Orient de France, dont il est Vénérable maître. Un parcours cohérent dont le moteur est l’idéal républicain.

 

Chalon : l’insouciance et le militantisme

C’est dans notre ville que Marcel Kounowski et « Zette », les parents de Gilles, se sont rencontrés, que s’est nouée l’idylle et qu’ils reviendront poser valises et enfants. « J’avais 13 ou 14 ans, période marquante d’une vie. C’est d’ailleurs de Chalon que je garde le souvenir le plus fort » confie Gilles.  

Nous sommes dans les années 70. Les études au lycée de Pontus (l’actuel collège Camille Chevalier) se passent dans l’insouciance et le dilettantisme : « J’étais un peu fumiste, les profs disaient que j’avais du potentiel, je me reposais sur mes lauriers. Je me suis entiché de faire de la politique. On était très politisés à l’époque – il faut préciser que l’offre politique était plus structurée en partis qu’elle ne l’est aujourd’hui. Et le parti socialiste, c’était Pierre Joxe, un jeune député, conseiller auprès du maire, Roger Lagrange. »

Pierre Joxe lui propose de l’accompagner par quelques fonctions de secrétariat et, surtout, le guidera dans ses choix d’études supérieures.

 

De science Po à la Sécurité sociale

Ce sera sciences politiques, à l’IEP de Grenoble. Parallèlement, Gilles suit des études en droit et en économie. Ce qui ne l’empêchera pas de goûter aux joies du ski, de passer un examen pour l’enseigner, ni de faire de l’animation dans un club de plage. Incidemment, il développe de multiples aptitudes : « J’étais touche-à-tout, sans rien approfondir. C’était pareil en politique : j’étais un militant, pas un élu, je n’ai même jamais brigué une fonction. Je me souviens davantage des discussions informelles avec d’autres colleurs d’affiches qui m’ont appris une multitude de choses. »

Mais Pierre Joxe veille au grain et dispense ses conseils : direction Paris. De 1977 à 1981, les poches de Gilles se gonflent de diplômes : celui de l’IEP de Grenoble (section Service public, bien sûr), une maîtrise de droit, un DEA en droit public, enfin celui du Cness (Centre national d’étude supérieure de la Sécurité sociale, l’actuelle EN3S), qui forme les cadres dirigeants de la Sécurité sociale. Le voici fin prêt à affronter le monde professionnel.

Bien sûr, un parcours n’est jamais rectiligne, même dans un CV brillant. La parenthèse qui entrecoupera cette course aux diplômes s’appelle – on l’aurait presque oublié aujourd’hui – le service militaire. Et c’est pendant cette période que Gilles fera une rencontre qui aurait pu l’attirer vers d’autres sirènes.

 

La rencontre de Fabius

Gilles fait son service national à l’école des officiers de réserve à Évreux, dans l’armée de l’air. « L’attrait de l’uniforme blanc, sans doute » plaisante-t-il. Il est affecté à Villacoublay, ce qui lui convient d’autant plus que celle qui deviendra sa femme, Guilaine, poursuit ses études à la faculté de pharmacie, à deux pas de là. Pierre Joxe le convainc de rencontrer un jeune député. Quelques jours plus tard, Gilles reçoit deux nouvelles : il est reçu au concours du Cness et l’autre, sous la forme d’un télégramme, affiche ces mots : « Rendez-vous (tel jour, telle heure) pour le poste d’assistant parlementaire » et c’est signé « Fabius ». Deux voies s’ouvrent concomitamment : « D’un côté, analyse Gilles, je peux intégrer le service public, avec la sérénité de la sécurité ; de l’autre, la promesse d’un poste au Palais Bourbon. Je me suis rendu au rendez-vous, j’ai expliqué que j’étais séduit par l’offre, mais que j’allais jouer la sécurité. Il faut préciser qu’à l’époque, être assistant parlementaire n’offrait aucune perspective de carrière politique, on ne pouvait pas être un élu populaire et un professionnel de la politique. Et c’était très bien ainsi. Aujourd’hui, malheureusement, tous les élus sont d’anciens assistants. Ce qui conduit des élus comme Myriam El Khomri à devenir ministre du Travail, sans jamais avoir travaillé de sa vie en dehors de la sphère politique. Une grande absurdité ! »

L’histoire en a décidé autrement : en mai 1981, Fabius devient ministre du Budget et Joxe, ministre de l’Industrie sous le premier mandat de François Mitterand. Pour autant, Gilles Kounowski ne nourrit aucun regret : « Si j’avais accepté, j’aurais sans doute vécu une autre vie, trépidante, exaltante, avec des hauts et bas de grande déprime. Mais parmi mes connaissances, peu s’en sont bien sortis. »

La parenthèse peut se refermer et Gilles est, donc, fin prêt à affronter le monde professionnel.

Parcours professionnel ascensionnel

Il serait trop long d’énumérer ici les échelons gravis dans la carrière de Gilles, ce qu’on regrette, tant les anecdotes badines affluent à chacune de ces étapes. Lorsqu’il est directeur de Caf à Orléans, il se passionne pour le système d’information, qui permet de gérer l’ensemble des prestations familiales (25 à 30 produits de nature différente) : « C’est l’un des plus riches (plus de la moitié de la population française y est enregistrée), des plus sophistiqués (17 000 règles de gestion pour traiter les prestations légales) et des plus fréquentés (jusqu’à 1 million de connexions par jour sur le site caf.fr). (…) »

Si bien que cette richesse, unique à la France, intéresse beaucoup à l’étranger. Notamment en Roumanie, qui, à la veille de rentrer dans l’UE en 2006, avait un système social totalement déstructuré. L’UE consacre alors d’énormes moyens pour rétablir les services sociaux. Gilles contribuera à mettre en place CRISTAL, le logiciel de gestion français, qui deviendra SAPHIR en Roumanie, grâce au savoir-faire technologique français. D’autres projets de coopération technique internationale suivront en Azerbaïjan, Croatie, Jordanie, Tanzanie, Russie, Amérique du Sud… « Ces missions m’ont redonné le gout du large, commente Gilles, et surtout montré tout ce que nos institutions sociales avaient à gagner de ces coopérations et ce qu’on pouvait apporter à nos partenaires étrangers. »

Après 15 années passées comme patron du système d’information, le Directeur général de la CNAF lui propose de prendre la direction des Relations internationales en 2010. « Je travaille alors entre Paris, Bruxelles et Genève. »

Des attentats de 2015 à la Charte de la Laïcité

Arrêtons-nous sur l’année 2015 : les attentats successifs – Charlie Hebdo le 7 janvier, le magasin Hyper Cacher le 9 janvier, le Bataclan le 13 novembre, entre autres – provoquent une déflagration qui ébranle tous les esprits. « Le directeur de la Cnaf, mon ami Pierre Lenoir, fait ce terrible constat : les assassins sont passés par les centres sociaux financés par les Caf (crèches, colonie, centres aérés…). Aurait-on pu avoir une attention particulière ? Il décide d’édicter une « Charte de la laïcité » de la branche famille, destinée à tous les partenaires qui bénéficient des subsides des Caf. Cette charte est annexée à toutes les conventions de subvention, et on se donne le droit de contrôler qu’ils l’appliquent. » explique Gilles K, qui écrira la circulaire d’application de cette charte pour garantir son efficacité. Ainsi, toutes les structures qui bénéficient des aides des Caf devront respecter les conditions du respect des valeurs de la République : l’ouverture à tous, égalité entre les sexes, mixité… 

Le combat pour maintenir les valeurs de la République – et, parmi elles, l’actualité cruciale de la laïcité – est au cœur de ses engagements professionnel et personnel : à cette époque, il est déjà franc-maçon et président de la Commission nationale permanente de la laïcité du Grand Orient de France (GODF).

Parenthèse familiale : la figure paternelle

Marcel Kounowski, on s’en souvient, est devenu Chalonnais lorsqu’il rencontre sa femme. Ils le restent tous deux à ce jour. Gilles ne découvre l’histoire édifiante de son père que dans les années 95, lorsque ses propres enfants ont une dizaine d’années, l’âge d’accueillir les récits de leur grand-père : Marcel est un enfant juif, caché par des Justes ! Il a 9 ans et doit fuir, avec son frère, la police française, complice de l’occupant. Son père, Georges, a été interné à Drancy, puis Auschwitz en juin 1942 et mourra 6 semaines après. Sa mère et lui n’apprendront sa mort qu’au sortir de la guerre, en 1946. Il a alors 13 ans, abandonne l’école et file un mauvais coton, jusqu’à ce qu’un oncle le fasse entrer dans une compagnie d’assurance. Archiviste au sous-sol, il voit souvent les cadres aller manger dans les restaurants du coin, dont Le Petit Riche. Pour lui, c’est le summum de la réussite sociale : « Moi aussi, se promet-il, un jour, j’irai manger au Petit Riche ». Il prend des cours du soir, gravit les échelons à la force du poignet et finit bras droit de la présidente de l’UAP Prévention. « Mon père ne m’avait jamais parlé de ça, confie Gilles, j’ai une grande admiration pour son parcours. » Saluons aussi l’engagement de Marcel Kounovski qui a donné des conférences dans des collèges de la région chalonnaise : « J’essaie d’être un militant de la mémoire. » expliquait-il devant les jeunes générations.

Entrée en franc-maçonnerie : « Marier la réflexion et l’action »

« J’ai toujours eu l’envie de faire des choses, explique Gilles, être impliqué dans la société ; en d’autres termes, marier la réflexion et l’action. J’ai œuvré dans le monde associatif, j’ai fait du militantisme politique, dont je suis revenu, comme beaucoup, avec des déceptions parfois, et sans avoir d’ambition électorale. Mon expérience m’a amené à constater que beaucoup de gens entrent en politique frustrés de leur situation sociale ou professionnelle et animés par des intérêts personnels. Je finis donc par me détacher complètement de la chose politique, mais j’éprouve toujours ce besoin de réfléchir à la façon dont on peut faire avancer concrètement la société pour davantage de justice, d’égalité, d’émancipation, de perspectives de développement... »

« Je trouve en maçonnerie, en plus de mon attachement à la laïcité, un cadre et des gens de toutes origines, sans sectarisme, qui ont la même quête. Finalement, le ressort de la franc-maçonnerie, c’est réunir ce qui est épars. Elle est à l’opposé des extrémistes, persuadés de détenir la vérité ; au contraire, elle sait qu’on ne détient que le doute et s’appuie sur l’intérêt de ce doute. Le seul dénominateur commun des francs-maçons du Grand-Orient de France – obédience dans laquelle je suis –, ce sont les valeurs républicaines, la philosophie des Lumières, des droits de l’homme. C’est un partage de réflexions au-delà de tout clivage social, politique ou idéologique. »

« La laïcité n’est pas une opinion, c’est le droit d’en avoir une. »

Comment comprend-on la laïcité, comment la fait-on vivre ? L’article 1er du GODF rappelle l’intérêt fondamental de la laïcité, socle des valeurs républicaines. Gilles revient sur un constat de son parcours professionnel : « La branche Famille est toujours présidée par un représentant CFTC, un syndicat à tendance religieuse. Il est intéressant de voir que c’est sous cette responsabilité qu’on édicte une charte de laïcité ! On peut donc être catholique ou protestant, juif, musulman ou athée (comme 60 % de la population française) et défendre la Laïcité. Ce qui montre combien elle est adogmatique. La laïcité n’est pas une opinion, c’est le droit d’en avoir une. C’est la possibilité pour les uns de ne pas croire, pour les autres de croire, mais avec le respect de toutes les croyances et de toutes les incroyances. »

Gilles Kounowski préside le Laboratoire Loiret de la Laïcité, association loi 1901 créée en 2012. Elle permet à ses membres de prendre des positions sur ce sujet et promouvoir l’idéal laïque dans le département.

 

Quelle est l’évolution du regard de Gilles Kounowski tout au long de son parcours ? La réponse, là encore, montre combien la pensée, la réflexion partagée, renverse les idées extrémistes : « Mon regard a évolué. C’est un regard infiniment moins manichéen. En politique, tu as des adversaires, c’est systématique, voire caricatural parfois. En même temps, c’est une position bien confortable : tout est bon ou tout est à bannir. En franc-maçonnerie, tu te rends compte combien la vie est faite de nuances. La recherche de la vérité et le recours à la raison mènent aux nuances, qui méritent toutes d’être pesées. Le temps maçonnique est en dehors du temps : les choses vont très vite à l’extérieur ; nous, on est dans une réflexion plus profonde. »

Par Nathalie DUNAND
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Laboratoire Loiret de la Laïcité : Site
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