Politique

FIASCO DES DEPARTEMENTALES/REGIONALES - La commission des lois du Sénat sort la sulfateuse

FIASCO DES DEPARTEMENTALES/REGIONALES - La commission des lois du Sénat sort la sulfateuse

Communiqué de la commission des lois du Sénat 

À la suite des multiples dysfonctionnements constatés dans l’acheminement de la propagande électorale à l’occasion des élections départementales et régionales de juin 2021, la commission des lois du Sénat a souhaité faire toute la lumière sur l’ampleur de ces défaillances et leurs causes. Le 23 juin, elle a constitué une mission d’information composée d’un membre de chaque groupe politique du Sénat, dont le rapporteur est François-Noël Buffet (Les Républicains – Rhône) et qui a été dotée des pouvoirs de commission d’enquête le 24 juin.

La commission a voulu conduire ses travaux d’enquête dans les meilleurs délais, en procédant, en quatre semaines, à plusieurs auditions publiques et en exploitant les documents dont elle a obtenu communication de la part de l’administration et des opérateurs privés. Elle en tire la conclusion que les dysfonctionnements ont été majeurs, dus à un enchaînement de défaillances à plusieurs étapes du processus d’acheminement de la propagande électorale imputables à l’administration comme aux opérateurs retenus par celle-ci. Elle formule 12 recommandations pour garantir l’indispensable information des électeurs lors des prochains scrutins.

Un fiasco sans précédent

Au terme de ses travaux d’enquête, la mission d’information constate que les chiffres et la variété des incidents dont il a été fait état, dans les jours qui ont suivi le premier comme le second tour des élections de juin 2021, ont été manifestement sous-estimés tant par le ministre de l’intérieur que par les opérateurs chargés de la logistique électorale.

Au premier tour, les chiffres avancés par la société Adrexo (5,3 % de non-distribution aux élections départementales et 7,2 % aux régionales) doivent être confrontés aux remontées des préfectures qui, toutes sans exception, font état de graves difficultés d’acheminement dans les zones couvertes par cette société. Les statistiques fournies par La Poste semblent plus plausibles (9,5 % de non-distribution aux deux catégories d’élections).

Au second tour, de l’aveu même des opérateurs, 26,6 % des électeurs n’ont reçu aucune propagande pour les élections départementales et 40,3 % pour les élections régionales, cette proportion se montant même à plus de 90 % dans plusieurs départements. Encore ces statistiques sont-elles vraisemblablement sous-évaluées, comme en témoignent les discordances relevées par les élus et les préfectures.

Un enchaînement de dysfonctionnements à plusieurs étapes du processus d’acheminement du matériel électoral

Les dysfonctionnements constatés résultent d’une pluralité de facteurs, qui tiennent à la fois à certains choix discutables de l’administration et à l’impossibilité pour certains opérateurs privés d’offrir le niveau et la qualité de service auxquels ils s’étaient contractuellement engagés. La complexité de l’organisation des opérations de propagande électorale ainsi que la spécificité de la tenue d’une double élection simultanée – élections départementales et élections régionales - pourtant décidée par le législateur dès 2013, n’ont manifestement pas été pris suffisamment en considération. Cette attitude a conduit à une multiplication de difficultés à plusieurs stades du déroulement des opérations préélectorales qui, par agrégation, ont abouti à un véritable fiasco, sans commune mesure avec les quelques difficultés récurrentes qui peuvent se rencontrer dans la plupart des scrutins.

Les dysfonctionnements relevés sont, en premier lieu, largement imputables à l’attribution par le ministère de l’intérieur – au niveau central comme au niveau des préfectures – de l’organisation d’une partie des opérations de mise sous pli, de routage et de distribution à des opérateurs qui n’en avaient pas la capacité opérationnelle. La rédaction des cahiers des charges et les modalités d’examen des offres n’ont en effet pas permis de s’assurer pleinement de la capacité réelle des soumissionnaires à exercer les missions qui leur étaient contractuellement assignées.

En second lieu, certaines entreprises choisies pour assurer la distribution, mais aussi la mise sous pli et le routage, n’ont visiblement pas pris la mesure des efforts logistiques à mettre en œuvre pour répondre aux besoins identifiés par l’administration, que ce soit au stade de la formulation de leurs offres ou lors de l’exécution des marchés. À cet égard, il doit être souligné que les prestations concernées relevaient, pour le distributeur Adrexo, d’une activité exercée jusqu’alors de manière très accessoire ; pour Koba Global Services, elles impliquaient un effort logistique particulièrement important eu égard au nombre de marchés locaux qui lui avaient été attribués par les préfectures.

12 recommandations pour garantir l’indispensable information des électeurs lors des prochains scrutins

À quelques mois d’échéances électorales majeures pour la vie démocratique de notre pays, il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour que les défaillances constatées ne se reproduisent pas, sous peine d’entacher la sincérité des scrutins, de détourner plus encore nos concitoyens des urnes et d’affaiblir la légitimité des élus.

Recommandation n° 1 : Inviter le ministère de l’intérieur à poursuivre les investigations sur les manquements des distributeurs, notamment de la société Adrexo, et à envisager le cas échéant la résiliation de l’accord-cadre dès cette année.

Recommandation n° 2 : Ne pas exclure, le cas échéant, l’attribution de tous les lots du marché à un même opérateur postal, sans pour autant lui octroyer un monopole ou le soustraire à toute mise en concurrence, ce qui serait contraire au droit européen.

Recommandation n° 3 : Revoir les critères de sélection des candidats au marché de la distribution des plis électoraux, pour donner la prépondérance aux moyens opérationnels.

Recommandation n° 4 : Mieux associer l’administration centrale du ministère de l’intérieur à la passation des marchés locaux de mise sous pli, et contrôler le volume des prestations confiées à chaque entreprise de routage au niveau national.

Recommandation n° 5 : Exclure toute dématérialisation intégrale de la propagande électorale.

Recommandation n° 6 : Afin de limiter le nombre de plis non distribués, mieux tirer parti des bases d’adresses des opérateurs postaux pour corriger le fichier des électeurs.

Recommandation n° 7 : Préciser et uniformiser les consignes de distribution à donner aux agents.

Recommandation n° 8 : Préciser, dans les clauses du marché public, les exigences minimales de formation des agents chargés de la distribution.

Recommandation n° 9 : Améliorer les systèmes de reporting imposés aux opérateurs, afin de mettre fin aux discordances entre chiffres déclarés et constatés.

Recommandation n° 10 : Informer par tous moyens les électeurs de la publication en ligne des professions de foi des candidats.

Recommandation n° 11 : Permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse de ne recevoir la propagande électorale que sous format numérique.

Recommandation n° 12 : En cas de concomitance de deux élections générales, porter d’une à deux semaines le délai de l’entre-deux-tours.