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À la recherche de la cité perdue de Zippalanda

Par Karim BOUAKLINE-VENEGAS AL GHARNATI

Publié le 29 Septembre 2021 à 16h00

À la recherche de la cité perdue de Zippalanda

La récente découverte dans le centre de la Turquie d'un pavé vieux de 3500 ans, considéré comme "l'ancêtre" des mosaïques méditerranéennes, relance la piste de la mythique cité hittite de Zippalanda. Plus de détails avec Info Chalon.

C'est une découverte qui affûte nos connaissances sur la vie quotidienne des toujours mystérieux Hittites de l'Âge du Bronze.


Longtemps connu que par quatre mentions elliptiques de la Bible et des documents égyptiens et assyriens, ce peuple indo-européen s'établit au cours du IIIème millénaire av. J.-C en Anatolie appelée alors Pays des Hattis, en référence à leurs prédécesseurs dans la région qu'il dominera par la suite et à qui il empruntera différents dieux, mythes et rites.


Les Hittites se désignaient eux-mêmes comme «le peuple aux mille dieux».


Ces terribles guerriers conduisent des chars légers,  combattent avec des armes en fer plus solides que le bronze utilisé par leurs ennemis, bâtissent des villes sur plan circulaire et édifient de gigantesques murailles qui épousent magistralement le relief autour de leur capitale, Hattusa (à proximité du village actuel de Boğazkale).


Du petit royaume fondé par Hattusili Ier vers 1600 av. J.-C, les Hittites fonderont par la suite un vaste empire qui sera capable de mener un raid meutrier sur Babylone vers 1595 av. J.-C. et rivalisera avec la toute puissante Égypte qu'il affrontera lors de la terrible bataille de Qadesh aux environs de 1274 av. J. -C. où ni l'un ni l’autre ne sortira vainqueur.


Aux environs de 717 av. J.-C.,  la civilisation hittite disparaîtra brutalement avec la chute du dernier royaume néo-hittite de  Karkemish sous les coups des Assyriens.


Parmi les hypothèses de cet effondrement, celle d'un changement du climat accompagné de troubles sociaux.


Cet assemblage de plus de 3147 pierres, aux nuances naturelles de beige, rouge et noir, disposées en triangles et en courbes, a été mis au jour dans les traces d'un temple hittite du XVème siècle av. J.-C., soit 700 ans avant les plus vieilles mosaïques connues de l'Antiquité grecque.


«C'est l'ancêtre des mosaïques antiques, qui sont évidemment plus sophistiquées. Ce que nous avons là c'est sans doute la première tentative d'utiliser cette technique», s'enthousiasme le Dr. Anacleto D'Agostino, conférencier à l'Université de Pise et directeur des fouilles d'Uşaklı Höyük, près de Yozgat.


«Pour la première fois, ces gens ont ressenti le besoin de faire quelque chose de différent, avec des figures géométriques, en assemblant les couleurs, au lieu de faire un pavé simple. Peut-être que le constructeur était un génie? Ou qu'on lui a commandé un revêtement de sol et il a décidé de faire un truc insolite», explique-t-il.


Sur ce chantier à trois heures d'Ankara, la capitale turque, archéologues turcs de la Yozgat Bozok Üniversitesi et italiens de l'Université de Pise manient la pelle et le pinceau pour en apprendre davantage sur les localités hittites.


Situé face au mont Kerkenes, le temple qui abritait cette esquisse de mosaïque était dédié à Teshub, le dieu de l'orage vénéré par les Hittites, l'équivalent de Zeus chez les Grecs.


«C'est probablement ici que les prêtres hittites effectuaient leurs rituels en regardant le sommet du mont Kerkenes», estime l'archéologue.


Outre cette remarquable mosaïque, les archéologues turcs et italiens ont aussi découvert des céramiques provenant d'un palais, confortant l'hypothèse selon laquelle Uşaklı Höyük est bien la cité perdue de Zippalanda.


Lieu de culte majeur dédié à Teshub, régulièrement mentionné dans des tablettes cunéiformes hittites, l'emplacement exact de Zippalanda reste mystérieux à ce jour.


«Les chercheurs s'accordent pour penser qu'Uşaklı Höyük est un des deux sites les plus probables. Avec la découverte des vestiges du palais et de ses céramiques et verreries luxueuses, cette probabilité est renforcée. Il nous manque seulement la preuve ultime : une tablette portant le nom de la cité», affirme le Dr. Anacleto D'Agostino.


Les habitants d'Uşaklı Höyük n'hésitaient pas à faire venir des cèdres du Liban pour bâtir leurs temples et leurs palais.


Près de 3000 ans après leur disparition de la surface de la Terre, les Hittites continuent d'habiter l'imaginaire des Turcs. 


Pour preuve, une figure hittite représentant le Soleil est le symbole d'Ankara et dans les années 1930, le fondateur de la Turquie moderne, Mustafa Kemal Atatürk, présentait les Turcs comme les descendants directs des Hittites  — une thèse fantasque.


«Je ne sais pas si nous pouvons trouver un lien entre les Hittites et les gens qui vivent ici aujourd'hui. Des millénaires ont passé et les populations se sont déplacées. Mais j'aime imaginer qu'il subsiste une sorte de connexion spirituelle», sourit l'archéologue.


Comme pour honorer ce lien, l'équipe des fouilles a reconstitué les traditions culinaires hittites, en essayant des recettes anciennes sur des céramiques fabriquées à l'identique, avec la technique et l'argile utilisées à l'époque.


«On a reconstitué les céramiques hittites avec l'argile trouvée dans le village où se trouve le site : on a cuit des dattes et du pain dessus, comme les Hittites avaient coutume d'en manger», rapporte Valentina Orsi, la co-directrice des fouilles.


«Et c'était très bon», précise-t-elle.

 

(Crédits photos : © Adem Altan)

 

 


Karim Bouakline-Venegas Al Gharnati