Faits divers

Agression à l’accueil de jour de Chalon sur Saône - le clochard a été jugé

Par Florence Saint-Arroman 

Publié le 18 Décembre 2021 à 11h19

Agression à l’accueil de jour de Chalon sur Saône - le clochard a été jugé

Pas d’avocat, pas de prévenu, le côté des accusés est désert à l’audience du 16 décembre. Un homme âgé de 35 ans, un homme sans domicile fixe, un clochard, celui-là même qui avait vrillé le 5 novembre dernier à l’accueil de jour, sera donc jugé, sans lui et sans défense.

Il a voulu faire le vide, il l’a fait. On peut lire ici l’audience de renvoi https://www.info-chalon.com/articles/2021/11/08/65044/a-chalon-sur-saone-un-sdf-agresse-des-membres-de-l-accueil-de-jour-puis-plusieurs-policiers-puis/ . Il a fait le vide et personne ne prendra la parole pour lui. Il a fait le vide, il a jeté l’expert psychiatre qui s’est déplacé au centre pénitentiaire. Il l’a insulté, « enc… ». Comme dit maître Ronfard qui intervient pour la police nationale : « Il parvient même à être outrageant avec le docteur Alloy, il faut le faire. »

« Il (le prévenu) avait su se contrôler lors des différents incidents antérieurs »

Deux salariées de la Sauvegarde 71 sont victimes au dossier, elles ne sont ni présentes (c’est dommage, elles auraient pu témoigner à la fois de qui est cet homme qui venait régulièrement depuis 2 mois, et aussi de ce qu’elles ont vécu, maintenant ainsi un lien à l’endroit que cet homme déserte) ni représentées. L’une d’elle avait déclaré : « Il (le prévenu) avait su se contrôler lors des différents incidents antérieurs. » Il avait su se contrôler… Vu l’état dans lequel il était et dans lequel il semble être resté, on peut penser qu’il se contrôle encore, car il a fait peur (de « un peu » à « très ») à tout le monde avec ses menaces. Sur sa dangerosité subite, aucun doute, puisqu’il est allé au contact, il a agressé une femme qui est là pour l’aider comme pour aider tous ceux qui se présentent à l’accueil de jour, il l’a agressée en réclamant ses chaussures ou des chaussures, on n’a pas bien compris. Mais ça aurait pu être un passage à l’acte radical, irréversible, or ce ne fut pas le cas. Que lui arrive-t-il ?

« Des menaces de mort appuyées par un regard fixe »

Six policiers sont victimes au dossier, 2 municipaux, 4 nationaux, victimes de crachats et de menaces de mort. « Des menaces de mort appuyées par un regard fixe », précise maître Bourg. « Mon collègue et moi on a eu un peu peur parce que quand il nous menaçait, il nous regardait d’une manière insistante », rapporte maître Ronfard. Ce regard nous ne le voyons pas, le malheureux a fait le vide autour de lui, et si le président Madignier dit qu’il a refusé une visio lors de la première audience (ce n’est pas le cas : les surveillants de la prison avaient proposé au tribunal de faire une visio, pour éviter une extraction dans de trop mauvaises conditions, mais la visio n’était pas possible dans l’instant, donc pas de visio, ndla), il ne dit pas ce qu’il est advenu de celle que la présidente Catala avait fait prévoir pour cette audience du 16 décembre.

« Heureusement qu’à cet instant précis, les policiers municipaux se trouvent sur place »

A tout seigneur tout honneur : ce matin du 5 novembre, une patrouille de la police municipale s’arrête à l’accueil de jour, pour s’assurer que tout va bien. Alors que les policiers discutent avec la directrice, ils entendent des cris. Une employée est physiquement agressée. Ni une ni deux ils foncent. L’agresseur file vers la directrice et l’insulte, les policiers s’interposent, la femme est protégée de l’agression physique. Entretemps on a appelé la nationale en renfort, elle interpelle le SDF qui est hors de ses pompes et crache sur tout le monde, entre insultes et menaces de mort, et insultes sexistes aussi. Maître Ronfard le rappelle : le crachat se généralise, et s’il a toujours été une marque de mépris, quelque chose qui se veut salissant, il devient anxiogène en période de pandémie. « Les fonctionnaires rentrent chez eux le soir, et ne savent pas s’ils sont porteurs d’un virus qui exposerait les membres de leurs familles à une maladie. »

Personne ne vit dans la rue par plaisir, ni par choix

On l’aura compris, comme l’a dit Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, « heureusement qu’à cet instant précis, les policiers municipaux se trouvent sur place ». Elle reprend le casier judiciaire du prévenu, « dès l’âge de 16 ans il a des problèmes avec l’autorité ». Elle se dit « inquiète ». Inquiète pour les autres, mais on peut aussi être inquiet pour lui, qui a refusé l’expertise alors qu’il a manifestement passé un cap dans la pathologie qui sans doute l’a menée à vivre dehors. Personne ne vit dans la rue par plaisir, ni par choix, contrairement à ce que disent certains qui croient justifier ainsi leurs situations aux yeux de ceux qui pourraient, à bien y regarder, y voir leurs désastres intimes. La procureur demande une peine de 18 mois de prison avec maintien en détention, et une interdiction du département, « à tout le moins, de la commune, il n’a pas d’attache ici ».

14 mois de prison ferme

Pas de plaidoirie en défense, pas de mots pour décrire ce dans quoi se débat cet homme qui par son comportement se coupe du monde, sans s’en couper vraiment parce que ça n’est pas possible. Le tribunal le déclare coupable et le condamne à une peine de 14 mois de prison, ordonne son maintien en détention. En peines complémentaires, il a l’interdiction de détenir et de porter une arme, ainsi que de paraître à Chalon-sur-Saône pendant 5 ans.

Ils échappent, à leur corps défendant, à la volonté sociale de vouloir normaliser

Les clochards sont des personnes tragiques mais aussi des gens endurants car il faut de l’endurance pour survivre dans des conditions de vie aussi dures. Ils portent souvent des couteaux pour se défendre des agressions. Ils recherchent désespérément des coins un peu tièdes l’hiver pour y dormir, ils savent que les chaufferies sont le plus souvent fermées à clé, ils savent qu’ils peuvent se faire démolir à tout moment. Ils sont costauds. Costauds mais très fragiles car très abimés et ils échappent, à leur corps défendant, à la volonté sociale de vouloir normaliser, y compris ce qui n’est pas normalisable. D’où cette intolérance à l’égard de nos damnés.

Les clochards vivent avec leur maison dans un ou plusieurs sacs

Bien sûr qu’on aurait voulu comprendre quel était le problème avec ses chaussures, bien sûr qu’on aurait voulu savoir ce que le médecin psychiatre pouvait penser de ses passages à l’acte, de la perte du contrôle de lui-même. Les clochards vivent avec leur maison dans un ou plusieurs sacs. Il y a plusieurs années, on a vu juger ici un homme sans domicile fixe qui avait fait quelque chose de cool : il s’était introduit dans une salle de fitness et s’était laissé enfermer dedans pour la nuit. Il avait vidé les échantillons de savon et de shampoing, utilisé un sèche-cheveux et, alors qu’il était tout propre, avait enfilé un joli tee-shirt tout neuf, floqué au nom de la salle en question. C’est dans cette tenue (et à cause d’elle) que la police lui est tombée dessus le lendemain alors qu’il dormait sur un banc dans un parc public. « Cool » parce que dans les meilleurs films, cette scène serait aimée de tous. Le marginal qui subitement trouve un peu de confort et qui le dilapide en une nuit, ça fait rire les spectateurs, on lui dit « profite, oui ! ».

Une cruauté, une méchanceté 

Dans la vraie vie, il a été jugé sous la bannière de l’indignation bruyante du ministère public, la cruauté arriva en toute fin. Cet homme avait un vélo auquel il tenait par-dessus tout. Outre le soupçon que la représentante du parquet avait porté sur l’origine de ce vélo : ne l’aurait-il pas volé, des fois, vu qu’il n’a pas de sous, hein ? Outre ce soupçon sur un point étranger aux poursuites, le tribunal a estimé nécessaire de faire mal, oui, de faire mal, gratuitement, car si le malheureux savait devoir rester en prison un moment, il ne s’attendait pas, non, pas, que la justice le priverait de son bien le plus précieux : son vélo. « Le tribunal ordonne la confiscation du vélo. » Était-ce utile ? Nécessaire ? Nous pensons que non. Quelqu’un le lui aurait piqué, de toute façon. L’homme en fut dévasté. La prison, soit, mais son vélo ! Cette présidente a depuis quitté le tribunal de Chalon, non sans avoir fait la démonstration que l’institution judiciaire sait être une machine qui a les moyens d’écraser, les moyens d’être injuste, oui. Et c’est ainsi que d’un auteur d’infraction, elle fait une victime. Ce fut une audience dont personne ne peut être fier, mais une audience instructive.

Ceux qui, par la force des choses, vivent en marge, vivent dans la violence, la faim, le froid

Celui-ci que nous n’aurons jamais vu, qui s’isole en crachant et en menaçant, le regard « fixe » et « insistant », et que dans ces conditions nul n’a envie de croiser, quel sera son sort ? Trois fois pendant sa garde à vue la police a voulu l’entendre, trois fois on a renoncé, il se tenait là, toutes griffes dehors. « Tu me fais pas peur », « tu crois que c’est toi qui commandes, ici ? », lançait-il aux représentants de l’autorité publique. Depuis ses 16 ans il a eu pas mal de condamnations, des « petites » condamnations, pour vols, pour violence, pour outrages et menaces. Le 5 novembre il a agressé physiquement une femme dont le travail est d’accueillir ceux qui, par la force des choses, vivent en marge, vivent dans la violence, la faim, le froid ou la chaleur*. Quel sera son sort ? « Il a eu 3 mandats de dépôts », observait le président. Quand on n’a pas de domicile, les mandats de dépôt tombent comme à Gravelotte.

Florence Saint-Arroman 

*pour les femmes c’est pire, elles connaissent les viols, les agressions sexuelles