Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Un jugement met fin à 10 ans de harcèlement
Par Florence Saint-Arroman
Publié le 28 Janvier 2022 à 15h58
Elle se tient à la barre. « Ça fait des années que ça dure. Nous, on n’en peut plus, en fait. Dès qu’il y a du bruit dehors, elle a peur. J’ai passé 8 mois en arrêt de travail, je n’arrivais plus à tenir. »
« Nous », c’est la mère et sa fille. Le père et ex-époux est dans le box, escorté par la police, il sort de garde à vue pour être jugé selon la procédure de comparution immédiate ce jeudi 27 janvier. L’histoire qui l’a conduit ici est lourde, et longue. Une salariée de l’association France victime parlait avec la femme avant l’audience, elles se connaissent bien. La victime est dotée d’un « téléphone grave danger » (1).
Succession de plaintes pour harcèlement, intimidation, menaces, violences
Ce couple s’était formé puis défait, rapidement. Mariage, bébé, séparation environ 2 ans après, en 2011. Le divorce est prononcé en 2014. Mais monsieur harcèle madame. Elle a fait des mains courantes, dépose des plaintes pour harcèlement, intimidation, menaces, violences. Lui, né en 1982 à Chalon-sur-Saône, ne s’est présenté à aucune des audiences devant le juge aux affaires familiales (JAF). Résultat des courses : elle a l’exercice exclusif de l’autorité parentale, il n’a aucun droit de visite et d’hébergement pour sa fille. Le 23 novembre dernier le JAF prend une ordonnance de protection en faveur de madame. Le prévenu a l’interdiction de tout contact (par tous moyens) avec son ex-épouse et leur fille. L’ordonnance lui est notifiée le 13 janvier dernier.
Le 24 janvier, elle actionne le TGD
Pourtant, le 24 de ce même mois, il passe de Chalon à Saint-Marcel : il va chez elle. Il sonne avec insistance, l’insulte à travers la porte et répète qu’il veut voir sa fille. Madame appuie sur le bouton d’alerte du téléphone grave danger (TGD), la police se déplace mais il est reparti. Les policiers le cherchent, sans succès. Le procureur de la République permet sa mise sur écoute et grâce à une interception téléphonique, les enquêteurs sont informés, le 26, que monsieur est chez lui. Il n’ouvre pas aux forces de l’ordre, on enfonce sa porte. Il est arrêté.
Il dit encore « ma femme », malaise
« Vous savez que vous n’avez pas le droit et vous y allez quand même. – Oui, tout à fait. – Alors, qu’est-ce que vous ne comprenez pas ? » lui demande la présidente Landemaine (qui devra lui poser x fois cette question) Il cause, qu’il avait peur que « ma femme ait pris la fuite avec ma fille ». Alors d’abord, ce n’est pas « ma femme » : « Vous avez divorcé en 2014 ! » Ensuite « on vous notifie l’ordonnance de protection, donc vous savez qu’elle n’a pas fui !
- Sur le fond je suis d’accord, mais sur la forme… Sur la forme, ça nous rassure pas, nous, les pères.
– Mais l’ordonnance de protection n’est pas faite pour vous rassurer ! Elle est faite pour rassurer madame et sa fille. »
Il finit par inquiéter, par « interroger » comme on dit au palais. Est-ce un manipulateur habile qui parvient à vous amener sur son terrain sans en avoir l’air, ou est-ce un homme qui souffre de troubles mentaux, voire d’une maladie psychiatrique ?
Trouble
La femme, qui entend se constituer partie civile, évoque un diagnostic ancien de « psychose ». Diable, il aurait fallu une expertise psychiatrique. D’ailleurs lorsqu’une juge demandera au prévenu s’il a déjà fait des tentatives de suicide, et pendant que celui-ci hésite à répondre, « euh…… », son ex-épouse fait « oui » de la tête. D’un autre côté, comme tout manipulateur, il a réponse à tout. Il n’est venu à aucune audience JAF, pourquoi ? Un coup il était malade, un coup sa demande d’aide juridictionnelle était refusée, « donc à partir de là il était inacceptable d’assister à un jugement ». « Inacceptable » … ? La frontière reste trouble, car on voit parfois des manipulateurs se présenter exprès sans avocat, en particulier devant le JAF, tablant sur le souci éthique des juges pour en tenir compte en leur faveur. Tout existe, tout.
« Être un père, c’est déjà ça : se soucier de ce dont a besoin votre enfant »
La présidente recentre le débat : « Donc, vous n’avez pas de droit de visite et d’hébergement, et une ordonnance de protection vous interdit d’approcher madame et votre fille. » Il blablate. Une des juges le recadre : « Être un père, c’est déjà ça : se soucier de ce dont a besoin votre enfant. Arrêtez un peu de ne penser qu’à vous. » Peine perdue, car à une réponse de la procureur et comme s’il jouait à « qui est le plus malin », il objecte : « Je n’ai pas l’interdiction de m’approcher du collège. » … Si. A ce jeu il devrait perdre car ce qui ressort de cette histoire c’est qu’en 2012, soit après leur séparation, il a été condamné pour des violences contre madame (peut-être commises pendant leur vie commune et qui en auraient sonné le glas), et en 2019, il est condamné pour « dégradations » (même victime) mais refuse d’en parler à l’audience. Malade ? Manipulateur ? Les deux ?
La vie quotidienne des victimes est indexée sur lui. L’horreur
Entre ces deux condamnations, le harcèlement. Par conséquent, du côté des victimes, la dégradation, pour le coup, de leur qualité de vie. Insécurité, peur, anxiété, etc. La vie quotidienne est indexée sur lui. L’horreur. Le téléphone grave danger ne compense pas, car « le temps que la police arrive… », le mal est fait. Clémence Perreau, substitut du procureur, pense à un bracelet anti-rapprochement, un BAR (2), mais le prévenu vit trop près de madame pour fixer une distance de pré-alerte (là aussi il faut du temps aux forces de l’ordre, d’où l’intérêt de périmètres un peu larges, de sorte que si la pré-alerte est lancée et que l’intéressé ne rebrousse pas chemin, on puisse se préparer à la phase d’alerte).
Désinsertion propice aux « fixettes » ou psychose paranoïaque ?
Dans la vie du prévenu tout dégringole : il perçoit l’allocation spécifique de solidarité (ASS), est donc chômeur de longue durée, ses relations familiales se sont dégradées aussi, il semble isolé, il n’a pas de voiture ce qui nécessairement complique la question du travail. C’est pas la joie. « J’en peux plus de rester à rien faire. » Ce cumul signe une désinsertion propice aux « fixettes » comme dit une juge (la fixation sur son ex), ou alors il souffre de psychose paranoïaque, mystère, mais, dans un cas comme dans l’autre, il n’est que trop peu amarré au ponton et cela il ne cesse de le dire, par sa situation, par ses actes, par ses mots. A la limite, l'amarre c'est l'enfant, mais au mépris de ce qu’il lui fait vivre. Il voudrait « suivre son évolution scolaire, parce que c’est mon rôle de père », mais le climat d’insécurité dans lequel il la maintient, ça…
Il « ne sait pas se conformer à un cadre légal »
Maître Lopez joue la carte du père persécuté par une société dans laquelle on n’aime plus les hommes, carte que son client joue aussi, avec son « nous, les pères ». L’avocat constate que son client « ne sait pas se conformer à un cadre légal », ce qui est exactement ce qu’on lui reproche, dit « il se trompe de combat », ce qui est vrai sauf que l’audience, et bien que le tribunal ait pris le temps, n’a pas permis de donner un nom à ce combat. La victime, elle, ne voit qu’une chose : il ne veut rien entendre, rien comprendre, et il lui abîme la vie ainsi que celle de la gosse, les maintenant dans son étau au mépris des décisions de justice qu’il ignore depuis dix ans.
Mandat de dépôt
Le tribunal suit les réquisitions, diminuant le quantum de la peine, de 2 mois. Le prévenu est déclaré coupable et condamné à une peine de 10 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligation de soins, interdiction de contact avec la mère et la fille ainsi que de paraître à leur domicile, obligation de travailler, d’indemniser la victime, et de respecter un suivi AIR (accompagnement individuel renforcé, mené par l’AEM). Enfin, obligation de porter un BAR (distance de pré-alerte de 10 km, distance d’alerte de 5 km). Il va devoir déménager.
Pour les 4 mois ferme, le tribunal décerne mandat de dépôt. L’homme part dans les minutes qui suivront, à la maison d’arrêt de Dijon (il n’y a plus de place à Varennes-le-Grand, explique la présidente aux policiers de l’escorte).
Puis un BAR, « pour protéger la victime »
Madame Delatronchette, qui présidait l’audience de renvoi (3), explique : « Le tribunal pense nécessaire qu’il y ait une prise de conscience en vous, pour que ça ne recommence pas. Cette décision, c’est aussi pour vous aider : vous êtes jeune, vous avez une vie à construire, mais il faut la construire autrement. Vos agissements répétés questionnent sur votre santé mentale. Votre enfant aspire à de la tranquillité. Le BAR c’est aussi pour protéger la victime qui a peur, peur. Il faut donc vous projeter pour vivre ailleurs, donc il faudra préparer un projet, pendant votre incarcération. » Puis elle remplit la fiche que l’escorte donnera à l’accueil de la maison d’arrêt. « Vous avez déjà fait des tentatives de suicide ? » C’est là qu’il hésite, puis répond : « … Grave dépression. »
Florence Saint-Arroman
(1) http://www.justice.gouv.fr/aide-aux-victimes-10044/le-dispositif-telephone-grave-danger-tgd-30752.html
(2) https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14330
(3) https://www.info-chalon.com/articles/2022/01/27/67011/le-tribunal-de-chalon-desorganise-par-le-covid/
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