Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - un conflit de voisinage toxique à Chagny
Par Florence Saint-Arroman
Publié le 21 Avril 2022 à 20h47
Elle vit à Chagny, elle est sans profession. « Pour l’instant », précise-t-elle d’une voix fluette qui tranche avec son air farouche. Visage entièrement dégagé par un chignon strict, tenue noire, col montant, 25 ans.
Les esclandres se suivent et se ressemblent, sur son casier judiciaire. Ceux pour lesquels le parquet a décidé qu’elle serait jugée en comparutions immédiates, ce 21 avril, sont à l’avenant, quoique, pris séparément, peu graves (à l’exception de violence) mais le cumul fait effet. On lui reproche d’avoir, en juillet 2020, à la gare de Chalon, giflé son ex-copine* et avoir menacé de mort. On lui reproche d’avoir, le 27 octobre 2021, fracturé la main de son voisin en lui assenant un coup de manche à balai, d’avoir menacé la compagne du voisin, et dégradé deux pots de fleurs. On lui reproche enfin, d’avoir, le 17 avril dernier, à Chagny, tenté de cracher sur le fils des voisins, âgé de 13 ans, puis de l’avoir coursé. Le gamin l’a distancée.
Ni victime ni famille à l’audience, du vide
Elle conteste à peu près tout, et surtout essaie de dire au tribunal que le voisin n’est pas blanc-blanc. Elle a demandé plusieurs fois une confrontation qui n’a jamais eu lieu. Et puis : « Moi j’ai été agressée sexuellement pendant au moins 10 ans, pourquoi je m’en serais prise à un gamin de 13 ans ? » Les os de la mains fracturés ? Elle dit que c’est sa sœur. Apparemment ce jour-là, c’était de la marave en groupe. Mais, as usual, aucune victime ne se présente à l’audience, et personne n’est là pour elle. Ces désertions pourraient interroger, mais, non.
Un assesseur humanise un peu l’audience
La CI d’avril 2018* était expéditive, celle de 2022 est froide, lapidaire, on ne doit qu’à un juge assesseur de l’avoir humanisée un instant. La CI est la procédure la plus dure, c’est vrai, pour autant il y a de bonnes audiences, tout dépend de ceux qui interviennent au jugement. C’est la vie, sans doute, mais ce n’est pas de chance pour cette jeune femme défensive au dernier degré, qui ne comprend pas tout, qui fait des pieds et des mains pour attirer l’attention sur elle, et dont le rêve, c’est d’« acheter un camping-car et de voyager ». Circuler, librement, sans entrave, sans obstacle. Un rêve compréhensible quand on passe sa vie à se cogner aux autres, en les cognant au besoin, et à prendre des murs.
Point psy et médoc
Son attitude parle. Jeune adulte écorchée, vindicative et agitée. Alors qu’un juge lui conseille de s’assoir pour parler dans le micro, elle demande à pouvoir se tenir à nouveau debout, et elle se balance d’un pied sur l’autre. Dans le cadre d’une obligation de soins, elle a rencontré un psychiatre au Val Dracy, Celui-ci, dès la première consultation, pose un diagnostic de TDAH et dans la foulée donne une réponse chimique à des façons de se comporter qui ne font que poser problèmes dans la vie de cette jeune femme et qui méritent sans aucun doute de l’attention véritable, de bonnes questions et un suivi long. Mais l’heure est à la pénurie, de médecins, de psys, et l’heure est à la gloire des camisoles chimiques, c’est impressionnant tout autant que discutable (certes pas dans tous les cas, mais mais c’est ainsi, c’est l’époque.
La prévenue semble du reste soulagée qu’un scientifique ait mis un nom et une molécule sur son mal être. « J’ai toujours été hyper active, mais je ne le savais pas ! Avec le traitement, j’ai moins la bougeotte », dit-elle au juge assesseur qui s’intéresse à elle, tout en passant d’un pied sur l’autre.
« Une nette amélioration »
Elle tient beaucoup aux progrès qu’elle a faits : son projet de formation de conducteur d’engin dans le domaine viticole, son logement, le travail qu’elle guigne pour début mai. Un rapport la concernant souligne d’ailleurs « une nette amélioration », puisqu’elle a « un comportement respectueux dans les échanges » avec son CPIP, son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation. Le juge de l’application des peines préconise, en cas de condamnation, une révocation seulement partielle de son sursis, pour marquer tout de même que cette écorchée parvient à mettre un pied devant l’autre. Elle est accompagnée par la Sauvegarde dans le cadre d’un dispositif d’insertion jeune majeur, l’ISMJ**, et ça porte quelques fruits.
« Un entourage lui aussi dysfonctionnel »
La représentante du ministère public cercle la vie de la prévenue comme on cercle un tonneau, avec un burin. « En niant les faits, en s’enfermant dans des versions loin de la réalité, et avec un entourage lui aussi dysfonctionnel (…), madame doit prendre conscience de son comportement et de ses conséquences. Il faudrait un travail comportemental (ça aussi, c’est d’époque, ndla) efficace et apprendre les bases de l’écriture et de la lecture… » Et, disposant « d’un faisceau d’indices » qui désignerait la jeune femme comme coupable (« Des indices ? Lesquels ? » répondra maître Bouflija qui aimerait savoir de quoi l’on parle), requiert la peine de 15 mois de prison dont 9 mois seraient assortis d’un sursis probatoire de 2 ans, avec interdiction de paraître à Chagny. « Mais ? J’habite Chagny ! » intervient la prévenue avec un geste du bras qui souligne son incompréhension. Le président Marchand lui dit qu’il la fera évacuer si elle intervient de nouveau. La procureur demande son maintien en détention, et la révocation de 3 mois de sursis. Une relaxe pour les faits de dégradation.
« Parce qu’elle a un casier et que c’est facile »
Maître Bouflija est un peu agacée qu’on aille si vite en besogne, sans autre précaution pour s’assurer de la réelle culpabilité de sa cliente pour chaque fait. Elle rappelle le contexte d’un conflit de voisinage virulent, l’absence de confrontation, la déclaration du voisin : « Dans la cohue, c’est compliqué de savoir qui faisait quoi. » « Dans ce dossier, tous les faits sont rattachés à madame, parce qu’elle a un casier et que c’est facile. » L’avocate trouve que la décision de rassembler tous ces faits pour en faire un seul sac est un choix qui forcément dessert la prévenue.
9 mois ferme en tout
Le délibéré est long, plus de 40 minutes. Le tribunal relaxe la prévenue pour les dégradations, la déclare coupable de tout le reste, la condamne à la peine de 15 mois de prison dont 9 mois sont assortis d’un sursis probatoire de 2 ans avec obligation de travailler, de suivre des soins en psychiatrie, et de rester dans le dispositif ISMJ. Interdiction de contact avec toutes les parties civiles, interdiction de paraître à Chagny, sauf dans les trois mois qui suivront la sortie de prison, « pour organiser votre déménagement ». Maintien en détention pour la partie ferme.
« Ça veut dire quoi ? » demande la fille. « Ne discutez pas, sinon je vous fais évacuer, je vous l’ai déjà dit », répond le président. En outre, le tribunal révoque 3 mois du sursis de 2020, ordonne son incarcération immédiate. Renvoie sur intérêt civil pour les victimes.
« Vous avez compris le sens de votre peine ?
- Pas tout, non. C’est une peine de combien que je vais faire, moi ?
- 9 mois. Il peut y avoir des crédits de réduction de peine, et il faut en profiter pour commencer des soins, quoi. »
Florence Saint-Arroman
**https://www.sauvegarde71.org/ismj/
https://www.univ-rouen.fr/actualites/trouble-de-lattention-tdah-la-dangereuse-explosion-du-traitement-medicamenteux-de-lenfant/
« Or, dans la mesure où il n’existe aucun marqueur ni test biologique susceptible de contribuer au diagnostic, le TDAH est exclusivement défini sur la base de symptômes comportementaux : un déficit d’attention associé ou non à de l’impulsivité excessive et de l’hyperactivité. Pour cette raison, sa prévalence (fréquence de survenue d’un phénomène de santé dans une population pour une période donnée) varie considérablement d’un pays à l’autre : en 2012, il était d’environ 10 % aux États-Unis et inférieur à 1 % en Grande-Bretagne. »
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