Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - J’ai pas dit ‘trou du cul’, j’ai dit ‘trou de balle’ »

TRIBUNAL DE CHALON -  J’ai pas dit ‘trou du cul’, j’ai dit ‘trou de balle’ »

Ils sont en uniforme, assis sur le premier banc de la salle d’audience. Des gendarmes de la brigade de Verdun, mais aussi de Châtenoy-le-Royal, de la brigade de recherche de Chalon-sur-Saône. Tout au long de l’audience de trois heures, le prévenu ne les désignera jamais qu’ainsi : « les flics ».

Il a ouvert les hostilités sur l’une des places de Verdun-sur-le-Doubs, le 27 juillet en soirée, puis pendant sa garde à vue. Il a tenu tour à tour huit gendarmes sous un feu nourri exclusivement d’insultes : « nazis », « merdes », « fils de p », etc. 
Les gendarmes se sont déplacés le 27 au soir parce que des riverains signalaient une bagarre ou un risque de bagarre, et c’était bruyant. Ils ont procédé à des contrôles d’identité, celui-ci n’a pas supporté. Il avait bu, il a outragé les représentants de l’autorité, ils l’ont embarqué pour ivresse publique manifeste et outrages. « Vous avez dit ‘trou du cul’. – Ah non j’ai pas dit ‘trou du cul’, j’ai dit ‘trou de balle’. » … La présidente ne voit pas la différence, le fait noter tout de même par la greffière, et dit au prévenu : « Monsieur, à un moment donné, il faut entendre qu’insulter des gendarmes, des policiers, des personnes qui représentent l’autorité, c’est interdit par la loi. »

« Je voulais les faire ch… »

Le prévenu jugé ce lundi 1er août en comparution immédiate, est né en juin 1983. Il est célibataire, sans enfant, sans travail depuis 3 ans. Il boit trop, et consomme du cannabis depuis pas mal de temps. Il a fait de sa garde à vue un bras de fer tel qu’il a fallu appeler des renforts extérieurs. « Je voulais les faire ch… » dit le prévenu. Gagné. Gagné aussi pour une longue audience puisque l’état de santé mentale ou au moins psychique de l’homme inquiète ou interroge son avocate, les magistrats, tout le monde. Il a fait de sa garde à vue une horreur, pour lui et pour les gendarmes. Il a déchiré les draps, bousillé le matelas, s’est servi de sa mousse pour obturer l’œilleton de la cellule. Des renforts sont arrivés, « nous allons procéder à l’ouverture de la porte ».

« Je voulais m’exalter ! »

Las, le gardé à vue n’attendait que ce moment pour prendre un peu d’élan et donner deux grands coups de pied dans la porte. Celui qui se trouvait derrière, en civil dans l’espoir d’apaiser l’agité, fut percuté. En dépit des renforts du PSIG, il a fallu taser le mis en cause pour en venir à bout et sécuriser la situation. « Je ne voulais pas leur faire du mal, je voulais m’exalter ! » Le prévenu reste convaincu que les gendarmes passaient leur temps à se moquer de lui, lui ont refusé à manger et à boire (il a en fait refusé la nourriture qu’on lui proposait, mais bon, y a pas de menu à la carte ni en gendarmerie, ni dans les commissariats), que ces « flics » n’ont rien à faire d’autre de toute façon que de « rigoler », de lui en particulier… « De la torture », dit-il.

Injure raciste : Antisocial a perdu tout sang-froid

Il a passé les bornes également, quand, sortant du chapelet des insultes les plus courantes (ce qu’il appelle « mon champ lexical », sic), il a traité un des militaires de « niakoué ». Raciste ? On ne saura pas sa position sur ce point, car le prévenu mobilise tout le monde en tenant le crachoir à chaque fois qu’il le peut. Il montre son impulsivité en haussant le ton, une fois. Sinon il donne du « madame le juge » à la présidente, en veux-tu, en voilà, tenant ferme la barre de son mépris à l’endroit des « flics ». La présidente Delatronchette, comme Marie-Lucie Hooker, substitut du procureur, ont beau lui rappeler que ses amis et son frère ont témoigné de ses insultes renouvelées, de son comportement énervé, de son attitude parfaitement déplacée, le prévenu ne veut rien en savoir, et continue à tartiner de condescendance et de mépris les gendarmes. Il trouve « pitoyable » qu’ils soient venus « chacun leur tour chercher son insulte pour pouvoir se plaindre et prendre une prime. Faut pas être un homme pour faire ça. »

Un glissement personnel assez terrible en 3 à 4 ans

C’est sûr qu’être un homme n’est pas chose facile, celui-ci en sait quelque chose qui dégringole depuis quelques années. Son avocate apporte quelques éléments : « une rupture difficile, un syndrome dépressif, une consommation de cannabis et d’alcool qui peut aggraver sa dépression, il ne travaille plus depuis 3 ans, il a très mal vécu le confinement ». Maître Leray demande au tribunal de tenir compte de ces éléments : cet homme ne va pas bien. 
Il ne va pas bien mais il refuse l’expertise psychiatrique qu’on lui propose. Il soutient que « tout le monde a des fragilités » mais que lui n’a pas besoin de soins. « Il en faut absolument » insiste la procureur qui requiert la peine de 12 mois de prison assortis d’un sursis probatoire de 2 ans. Au casier de monsieur, une seule condamnation, une amende pour outrage, en 2019. 
Maître Leray s’interroge sur ces scènes violentes sans pause : qu’est-ce qui s’est passé pour que cet homme quasiment sans casier, ait basculé dans une telle violence, une telle haine ? C’est le mot qu’il a employé lors de son défèrement : « J’ai la haine contre le gouvernement et contre la police. » « Alors qu’il n’y a pas eu l’intervention d’un seul policier, relève Marie-Lucie Hooker. Monsieur mélange un certain nombre de choses. »

Il s’affiche en rebelle mais se bat contre des moulins à vent

Le tribunal n’ordonne pas d’expertise psychiatrique vu l’opposition ferme et décidée du prévenu. En revanche la présidente, après avoir pris le temps de l’écouter, finit par le recadrer plusieurs fois, sur « ce que dit la loi », sur la question de l’ordre public, sur la question des limites à la liberté d’expression, sur sa méconnaissance de l’organisation sociale, de l’institution judiciaire, du travail des forces de l’ordre. Il s’affiche en rebelle mais se bat contre des moulins à vent, contre ses petits vélos à lui. Sans doute faut-il trouver un petit pan de mur auquel se tenir quand tout s’est effondré petit à petit.

C’est pas facile, non, de tenir sur ses jambes

« Vous n’avez plus 20 ans. » Il en a 39 et semble s’être donné mission de contribuer aux « rapports humains », voulant peu ou prou éduquer « les jeunes de mon village » sur « notre place », et tenant tribune depuis vendredi dernier dans une cellule du centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand. 
C’est plutôt triste vu sous cet angle : le pacificateur, imbibé de vodka - « j’avais rien bu d’autre depuis le matin » -, donc se déshydratant par cette chaleur, qui voit ceux dont c’est le métier intervenir pour rétablir le calme et qui déverse contre et sur eux le vide qui menace d’achever de l’engloutir. Un vide habité d’insultes, de propos dégradants et racistes, d’une « haine contre le gouvernement et la police ». C’est pas facile, non, de tenir sur ses jambes quand il faut faire face à des épreuves pourtant communes.

Il refuse toutes les mains tendues, 
sa position va être mise à l’épreuve pendant 2 ans

En attendant, le tribunal a pris le temps d’essayer de le comprendre mais il a monté des murs, pour se protéger ça se peut, sauf que depuis ce lundi 1er août 2022, il a 12 mois de prison au-dessus de la tête, et 24 mois à vivre en sursis probatoire, à répondre à des convocations, à justifier de ses démarches, de soins en addictologie, en psychologie « voire psychiatrie », à devoir indemniser les huit gendarmes victimes de son échec à conduire sa propre existence (échec qui peut n’être que provisoire, il ne tient qu’à lui, mais pour l’instant il ne veut pas) et des effets vraisemblables sur son état de consommations d’alcool et de stupéfiant.

« Ce soir, c’est apéro ! »

Il va quitter le centre pénitentiaire. « Si vous violez ces obligations ou si vous commettez un nouveau délit, ce sursis probatoire est susceptible d’être révoqué. » Cela signifie que la prochaine fois, si prochaine fois il y a, il serait incarcéré. Le prévenu n’a cessé de provoquer les gendarmes et le tribunal, le bouquet final restant : « Ce soir, c’est apéro ! »

FSA