Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Aux yeux de la loi, il y a deux victimes, au regard de la vie, il y en a trois »

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 21 Novembre 2022 à 20h31

TRIBUNAL DE CHALON - « Aux yeux de la loi, il y a deux victimes, au regard de la vie, il y en a trois »

Quand lama fâché, lama cracher ? « C’était des postillons, dit le prévenu. C’est quand je parle fort, je postillonne, j’étais énervé. » Il lui est reproché, entre autres violences, d’avoir craché sur sa compagne.

C’était le 7 octobre, à Mervans, à leur domicile. Des tensions dès le matin, un dîner prévu le soir, il se pose devant la télé, elle débranche le poste, il s’emporte. Mais c’est pas un crachat, il n’a pas cassé ses lunettes par un geste violent, « non, je les ai enlevées comme ça avec un doigt », etc. Ce jour-là, elle a déposé plainte vers les gendarmes de Saint-Germain du Bois et elle raconte cette union providentielle au départ, mais dont la concorde s’est vite dégradée. La femme raconte aux gendarmes des violences verbales fréquentes, des disputes fortes régulières. La relation s’abîme, les deux sont embringués. « Traiter monsieur de débile, de fou, de dégénéré, c’était pas non plus malin », plaidera maître Voirin pour le prévenu.

L’alarme du BAR bipe pendant l’audience

Celui-ci, 53 ans, est un solide gaillard qui fut placé sous contrôle judiciaire le 10 octobre, lors du renvoi pour expertise psychiatrique, avec l’obligation de porter un bracelet anti-rapprochement (BAR). Mais il y eut quatre rapports d’incidents. Au dernier on décerne un mandat d’amener. Les gendarmes ne trouvent pas l’homme à son domicile. En conséquence le parquet délivre un mandat d’arrêt. « Ce qui fait qu’on est content de vous voir ici aujourd’hui » lui dit la présidente Croissandeau. L’alarme du BAR finit par retentir en salle d’audience, jusqu’à ce que la présidente demande au prévenu de répondre pour calmer l’engin. Cela dit elle aura sonné pas mal de fois sans que rien ne se passe.

« Des épisodes lunaires »

Il ne fuyait pas, il voyait des gens, et il en avait le droit, rappellera son avocate, mais le parquet était un peu sur les dents. On comprendra pourquoi au fil de l’audience, ce lundi 21 novembre. Alors, pourquoi tout cette violence ? Le prévenu parle d’« épisodes lunaires », qui font que « tous les 28 jours », il a « des problèmes de comportement ». « Je peux pas l’expliquer. » Sa compagne a dit qu’en dehors de ses crises, il était serviable, aimant, mais elle a dit aussi qu’il se montrait d’une jalousie infernale qui le rendait violent et dégradant... Lui : « Oui, j’ai été en hôpital psychiatrique, et je me suis aperçu que j’étais trompé depuis longtemps, et je garde cette trahison qui m’a suivie... » et chaque nouvelle compagne en fait les frais.

« Trouble schizo-affectif », altération du discernement

L’expert psychiatre, qu’on a pressé de rendre son rapport et qui a dû faire court, recourt à d’autres mots pour éclairer les épisodes de crise. « Trouble de l’humeur qui peut s’associer à une trouble schizophrène », « trouble schizo-affectif », « pas dangereux, sauf lorsqu’épisodes de décompensations aiguës, quand il est confronté à l’épuisement de ses capacités de résilience », « curable, si soins ». Il conclut à une altération « a minima » du discernement lors des faits.

« Vous avez des problèmes, c’est vrai, mais la victime ce n’est pas vous ! » 

Il y a quelque chose de victimaire aussi, chez l’homme qui est jugé. Les juges se relaient pour lui renvoyer qu’il a été violent, qu’abimer la portière de la voiture, c’était violent aussi. Il répond : « Mais débrancher la télévision, c’est pas violent, ça. » … Anne-Lise Peron, substitut du procureur, s’énerve : « Vous avez violenté madame, vous avez enfreint le cadre de votre contrôle judiciaire, vous ne respectez pas l’interdiction de contact, on vous recherche depuis vendredi ! Il n’y a qu’une seule victime aujourd’hui, c’est madame. Vous avez des problèmes, c’est vrai, mais la victime ce n’est pas vous ! » 

« J’ai peut-être eu le syndrome du sauveur »

Sur une question de maître Voirin, la victime dit qu’elle était bien au courant des troubles psychiatriques de son conjoint. « Il a été transparent là-dessus, il m’a parlé de ses hospitalisations, du psychiatre, etc. ... J’ai peut-être eu le syndrome du sauveur, de me dire qu’à grands coups de bonheur, ça finirait par aller. Pendant ces 5 années, à chaque fois qu’il était en crise je mettais ça sur le compte de la maladie. » Peu avant, la présidente demandait au gaillard, « comment voyez-vous l’avenir ? » La masse s’est effondrée, en pleurs, en chagrin. « Je ne sais pas. »

Injection retard, doses augmentées

Le prévenu s’est apaisé, sans doute d’entendre les propos paisibles et plutôt tendres, de madame. Il promet qu’il ne cherchera pas à la revoir. Son casier est vierge, il a été artisan longtemps mais ne travaille plus, il perçoit l’AAH. Aujourd’hui il a une injection mensuelle, « le psychiatre a doublé la dose, c’était pas assez. » Il reconnaît honnêtement n’être « pas toujours » en capacité de tirer la sonnette d’alarme quand il sent qu’il ne va pas bien. C’est bien pourquoi le parquet était sur les dents, de ne pouvoir mettre la main dessus.

« Cet homme est aussi victime. Pas au sens de la loi mais parce qu’il est malade »

Maître Leplomb pour la victime demande le maintien du port du BAR et des dommages et intérêts. La procureur requiert une peine de 10 mois dont 6 mois seraient assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant deux ans. Obligations de soins, de travailler, et port d’un BAR. « Ok, il est malade, mais la victime on, en fait quoi ? » Sur ce dernier point, maître Voirin se fait vibrante sur la question de la maladie mentale. « Je ne plaide pas de relaxe mais cet homme est aussi victime. Victime, pas au sens de la loi mais parce qu’il est malade. (...) Sa personnalité explique les faits, il a eu 8 classements sans suite pour irresponsabilité pénale. (...) Il doit prendre des traitements qui inhibent sa pensée, il n’a aucun avenir. Aucun avenir professionnel, aucun avenir personnel. Aux yeux de la loi il y a deux victimes (madame et son fils, mais pas de poursuite relative à l’enfant, ndla), au regard de la vie, il y en a trois. »

Maintien du port du BAR

Le délibéré est long (l’audience aura duré 3h30). Le tribunal déclare le prévenu coupable, le condamne à la peine de 7 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans. Obligations de suivre des soins psychiatriques - y compris de se faire hospitaliser si c’est nécessaire -, indemniser la victime, et obligation de porter un BAR.