Faits divers

Violence et menaces de mort : « Quand je dis ‘N… ta mère’, c’est comme si je dis ‘Je t’aime’ »

Par Florence Saint-Arroman

Publié le 07 Février 2023 à 09h34

Violence et menaces de mort : « Quand je dis ‘N… ta mère’, c’est comme si je dis ‘Je t’aime’ »

Il porte un tee-shirt gris, une barbe brune. Il va être jugé pour des violences sur sa compagne. D’emblée il s’agace. « Ça me saoule, tout ! On m’a déjà posé des questions, j’ai déjà répondu. »

C’est l’histoire d’un jeune homme coincé dans des pulsions qui génèrent autant de passages à l’acte, « faute de ciment »*, comme dira Julien Marceau, son avocat, pour faire tenir un peu paisiblement ce qui le constitue. Elevé par sa grand-mère jusqu’à l’âge de 6 ans, il est placé en foyer jusqu’à ses 12 ans, puis en centre éducatif renforcé (CER). Il est né en 1998, ça lui fait 24 ans et l’on rencontre une fois de plus en audience la question suivante : qu’est-ce qui fait qu’un être humain tient solidement sur ses jambes ? La réponse n’est pas si évidente que ça. Il y a des enfants qui doivent être placés et qui grandissent bien, il y a des enfants qui ne le sont pas et qui deviennent des adultes qui ne tiennent pas la route.

« C’est vrai que je la rabaisse, c’est mes mots » reconnaît le prévenu

Dans le cas de cet homme, il est flagrant dès le début de l’audience que les ruptures successives qui marquent son enfance et sa jeunesse ne lui ont pas permis de trouver une base. En couple depuis un an, les accès de violence, les menaces, les propos rabaissants se succèdent, jusqu’à la plainte de sa compagne fin janvier. Le 1er février, elle reçoit de nouveaux messages menaçants, il est alors interpellé, dans un état alcoolisé et énervé. « C’est vrai que je la rabaisse, c’est mes mots » reconnaît le prévenu. « Qu’est-ce que vous voulez dire de plus ? » lui demande la présidente Barbut. « J’ai été auditionné pendant ma garde à vue, j’ai déjà tout dit. »

« Est-ce qu’on peut dire que vos réactions sont en lien avec cet abandon ? »

« Pourquoi ces attitudes violentes ? -L’alcool… » Il mouline des mains, dit que sa compagne lui parlait mal et tout. « Mais, quand madame partait travailler, c’était différent ? » Il s’agite de nouveau. « Quand je dis ‘N… ta mère’ c’est comme si je dis ‘Je t’aime’. » Il est poli mais prévient le tribunal : « Je vais avoir du mal à m’exprimer calmement. A chaque fois que je suis gentil, je me fais n… . » La présidente lui tient des propos raisonnables mais il est pris dans son bain bouillonnant, le sang lui monte au visage. « Oui, mais je vais partir en détention, moi. – Je pense que tout ça vous renvoie une image négative de vous-même et que ça vous fait souffrir. Est-ce qu’on peut dire que vos réactions sont en lien avec cet abandon ? – Ben oui. Quand (inaudible)… j’ai l’impression de la perdre, en fait. »

Il doit suivre des soins mais voilà, les listes d’attente sont longues 

A son casier, 14 condamnations, ça a commencé lorsqu’il était mineur, pour des vols, violences, menaces, outrages, rébellion. Casier sans surprise vu le tempérament du jeune homme. Il a une fille mais c’est compliqué. Il voit un éducateur à l’AEM et ça se passe bien, il doit suivre des soins mais voilà, les listes d’attente sont longues… Il perçoit des ARE mais il a des dettes. Il est en attente d’un bracelet électronique pour purger une peine de 3 mois. Aline Saenz-Cobo, vice-procureur, requiert une peine de 16 mois de prison en tout (une peine + une révocation de sursis), histoire que « la société » n’ait « rien à craindre » des actes « de monsieur ». Le ton et le contenu des réquisitions rompent avec la sérénité des débats, sérénité pourtant tenue au cordeau par celle qui préside.

La victime a écrit au tribunal

« Il a énormément de bons côtés – s’occupait beaucoup de mon fils – je rentrais le soir, la maison était propre et rangée, mon fils lavé et en pyjama, le repas prêt – affectueux – nous assumait financièrement – l’alcool et ses fréquentations ne l’aident pas – son passé douloureux ne l’aide pas – il parle du décès de sa grand-mère – donc une condamnation à de la prison ne l’aidera pas, il a besoin de soins. » La femme demande 1 euro symbolique. « Je ne sais même pas comment réagir à ça » dit honnêtement le prévenu, plus habitué à se battre qu’à accueillir de bons mots le concernant. « Le contenu de ce courrier contredit ce que vous disiez tout à l’heure : que quand vous êtes gentil, ça se retourne contre vous » souligne finement la présidente.

« Malgré la récidive, on peut l’aider. Il faut continuer, continuer »

« Vous l’avez bien cerné » dit maître Marceau au tribunal. « Il se pose des questions, cherche des réponses, mais il le fait seul et s’enferme dans ses questionnements. » L’avocat parle de « personnalité limite », « il est incapable de gérer les aléas d’une relation », « il se réfugie d’abord dans l’alcool et ensuite il est violent », « il n’a pas pu se construire en tant que fils ». 
La plaidoirie se poursuit sur un versant problématique - et pas seulement pour les personnes condamnées à des thérapies : celui du temps long qui serait nécessaire à un réel suivi, sauf que, dans quelle structure cela serait-il possible ? On l’a déjà écrit : ce qui fait défaut au sein de la société est une catastrophe pour bien des gens qui auraient besoin de thérapies longues, stables, etc. « Dans le suivi AEM, on l’aide, il va aux rendez-vous et il en parle calmement. Ça montre que, malgré la récidive, on peut l’aider. Il faut continuer, continuer. »

13 mois en prison puis deux ans de probation

Ça ne va pas être possible. Le tribunal déclare le prévenu coupable et le condamne à la peine de 15 mois de prison dont 8 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé, pendant 2 ans (obligations de travailler, de suivre des soins en addictologie et psychologiques ; interdiction de tout contact avec sa compagne, ainsi que de paraître à son domicile, interdiction de détenir et de porter une arme). Maintien en détention pour la partie ferme. Révocation de 6 mois de sursis, incarcération immédiate. Ça fait 13 mois de prison ferme en tout. Il devra verser 1 euro symbolique à la victime, reconnue partie civile.

« … pas de contact ? Y a rien qui peut m’arriver de pire ! »

La présidente reprend la peine pour l’expliquer. « Je me dois de vous dire que l’interdiction de contact s’applique dès maintenant. Monsieur on a estimé que vous aviez besoin d’aller mieux, et… » Elle est interrompue : « L’interdiction de contact ?! En fait, je me suicide, moi ! Pourquoi vous me mettez ça ? Une peine, oui, mais pas de contact ? Y a rien qui peut m’arriver de pire ! »
« Rien de pire » : il a raison, pour lui, c’est vrai, absolument vrai. Sur le plan de la réalité factuelle, l'interdiction de contact, c’est une mesure de protection pour la victime, et pour lui, l’occasion de se ressaisir de ses abyssales difficultés dans un cadre où l’on interdit les passages à l’acte. L’esprit de la peine est sensé mais en lui, ça va frapper pile là où en effet il a envie de mourir.

Florence Saint-Arroman

* On a entendu quelque chose à ce sujet, lors d’un procès devant la cour d’assises. L’expert psychiatre parlait, au sujet de l’accusé d’alors, d’une « personnalité de type état limite » à relier à « une enfance désastreuse », « un moi fragile, peu constitué ». L’état limite, explique le psychiatre, est un défaut de structuration extrêmement important, « comme un mur qui n’aurait pas de ciment ».