Faits divers
ASSISES DE SAÔNE ET LOIRE : Séquestration et violence, sur fond de trafic
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 02 Mars 2023 à 19h37
Séquestration, violence, argent, drogues, armes, hôtels, planques, menaces de mort, cavales, mandats d’arrêts : vous n’êtes pas sur Netflix mais à la Cour d’assises de Saône-et-Loire. Ce jeudi 2 mars s’ouvre un procès prévu pour durer jusqu’au 10.
Voici les faits pour lesquels les accusés sont renvoyés devant une Cour d’assises, tels que les rapporte l’ordonnance de mise en accusation, dont lecture est faite par tout président, à l’ouverture de chaque procès :
Le 20 juin 2016, peu avant 21 heures, un homme se présente au commissariat de Chalon : il a pris en charge dans sa voiture, un individu dont les bras et les jambes sont entravés, qui appelait à l’aide, dans le quartier de la Fontaine au Loup. Il est évidemment paniqué et choqué, il demande à voir la police.
Une histoire de dettes, et de trafic de stupéfiants
Ses bras et ses chevilles sont ligotés avec des colliers de serrage en plastique de type Serflex et de la corde. La police recueille son identité. L’homme dit qu’il a été séquestré et roué de coups par HD et ses amis pour une dette d’argent. Il avait une dette de poker de 6 000 euros, à la base, envers HD qui avait augmenté la dette à hauteur de 20 000 euros. Un jour HD lui dit : « J’efface la dette si tu me mets en relation avec des espagnols capables de fournir du cannabis en grande quantité. » Ce qui fut. Ils partent donc en Espagne, avec d’autres, dans quatre véhicules dont une BMW. Sur place, HD remet 90 000 euros en espèces et la BMW à un intermédiaire qui devait la rapporter pleine de cannabis mais ne revient pas… Les hommes décident de rentrer en France, avec leurs trois véhicules. Ils seront d’ailleurs contrôlés par les douanes sur leur trajet.
« Tu croyais que j’allais m’asseoir sur 90 000 euros ? »
De retour à Chalon, la future victime voudrait rentrer chez lui mais HD s’y oppose et lui paie, en espèces, une chambre d’hôtel, il laisse avec lui un de ses hommes. Le soir, on le descend dans un fast-food du centre-ville pour qu’il y mange, et au retour on l’embarque par surprise rue Alphonse Allais, dans un appartement d’un immeuble désaffecté. Là, on lui attache les bras et les jambes. « Tu croyais que j’allais m’asseoir sur 90 000 euros ? »
Du vendredi soir au lundi soir, soit pendant 72 heures, l’homme reste ligoté, sans manger ni boire. On lui donnera seulement des vêtements de rechange, les siens étant maculés de sang et autres fluides.
L’ADN de deux des accusés sur les liens
Le 21 juin, les enquêteurs trouvent le squat en question, y prélèvent des mégots, des bouts de scotch, des Serflex et de la corde. On vérifie tout ce qu’il est possible de vérifier à ce stade : la chambre d’hôtel à Chalon, le trajet en Espagne via les douanes espagnoles et françaises, la téléphonie. La BMW abandonnée a été volée. Les premières analyses génétiques reviennent : on retrouve l'ADN de CB (accusé à ce procès mais en cavale). De secondes analyses donneront une partie de l’ADN d’HD.
De faux papiers d’identité
Dans la foulée, on interpelle plusieurs personnes. HD, YBN (dans le box ce lundi avec HD) et un frère d’HD prennent la fuite. Les enquêteurs saisissent aux domiciles et dans une chambre d’hôtel près de 200 000 euros en liquide planqués par morceaux, des documents d’identité falsifiés. Dans un gîte à Saint-Ambreuil où CB s’était réfugié avec sa compagne, on saisit un revolver chargé, de la cocaïne, du cannabis et des faux documents administratifs italiens et bulgares portant les photos de HD et CB.
Revirement de la victime
Puis la victime revient sur ses déclarations initiales : HD ne vit que du commerce de véhicules, il n’est pas du tout trafiquant de stupéfiants. Ce revirement conduit les enquêteurs à en examiner le contexte, dont des éléments d’avantages en nature ainsi qu’une « crainte massive de HD ». La victime déclare vouloir se constituer partie civile (un avocat la représente au procès) et ensuite ne répond plus aux convocations.
L’accusé principal est en état de récidive légale
Au terme de l’enquête le juge d’instruction renvoie 4 personnes devant le tribunal correctionnel pour les délits liés aux stupéfiants, des violences à l’encontre des forces de l’ordre ; renvoie quatre personnes (dont parfois les mêmes) devant la Cour d’assises pour les faits de séquestrations, violence avec ITT supérieure à 8 jours (pour YBN et CB), menaces de mort avec ordre de remplir une condition, vol (les 4 préventions concernent HD, en état de récidive légale), et soustraction d’un criminel à l’arrestation et aux recherches pour une femme.
Une infirmière poursuivie pour avoir aidé activement un criminel
Le premier interrogatoire la concerne : alors que HD est activement recherché, une brigade de recherche le croise, un policier tire sur la voiture, une balle atteint l’homme à la cuisse, le 6 septembre 2016. Il se présente aux HCL de Lyon, en ressort avec une ordonnance puis se rend au cabinet d’une infirmière installée à Rillieux-la-Pape. Le nom sur l’ordonnance est faux. L’homme dit s’être blessé sur un chantier. Elle le soigne, en tombe raide amoureuse, dit-elle, et finit par l’aider dans sa cavale. Elle dit lui avoir confié toutes ses économies pour qu’il l’aide à acheter une voiture puisqu’on peut faire des bénéfices à la revente. C’est ainsi qu’elle achète une Audi pour 63 000 euros, en espèces. Elle refusera de dire où se trouve le véhicule. Pourquoi ? « J’avais peur qu’on me prenne mon argent. » La femme pleure en évoquant son mariage, très jeune, avec un homme violent, son divorce, ses trois filles : « HD m’a fait revivre, je me sentais aimée. »
La suite de la journée du procès paraît bien longue et bien courte à la fois
Les avocats de la défense estiment de la plus haute importance de peser sur la marche des débats avec des motifs procéduriers. L’un des avocats invoque « le procès équitable », la présidente Therme est parfaitement d’accord avec ça, alors quoi ? Madame Depetris, avocat général, ne voit pas non plus pourquoi empêcher la bonne tenue du procès si ce n’est pour créer « un climat détestable ». Maître Nicolle qui intervient pour la partie civile estime que de tels débats n’ont pas à avoir lieu en public. Ambiance.
L’avocat sait bien que les juges « sont honnêtes, ce n’est pas le débat »
Pour finir, après une suspension d’audience, maître Scrève et ses confrères s’indignent que la première présidente de la Cour d’appel ait rendu une ordonnance, fin janvier dernier, qui désigne un juge assesseur supplémentaire à ce procès. Un juge qui se tient là, et qui peut remplacer un des magistrats qui siègent si cela était nécessaire. Désigner un assesseur pour une session sans motiver cette décision par des circonstances exceptionnelles ? Alors que son client souffre « de cette ambiance chalonnaise délétère » ? Mais l’avocat sait bien que les juges « sont honnêtes, ce n’est pas le débat », il leur dit d’ailleurs son estime. Le débat, c’est « les apparences », l’apparence d’impartialité, « pour une justice équitable ». Bref. Depuis 14 heures les débats n’ont pas pu avancer. Il est 16h40. Les avocats obtiennent la suspension du procès jusqu’à demain matin.
« Ben, vous n’allez pas continuer sans nous, hein, sans avocats et avec le box vide »
A l’expert-légiste qui a examiné la victime il y a 6 ans, maître Scrève tient des propos à fleur de condescendance et volontiers cassants. Le médecin : « Ça devient insupportable, je vous demande de la décence et un peu d’élégance. » L’avocat : « Vous m’épargnerez vos commentaires à deux centimes d’euro. »
A la présidente, lorsque, dans l’après-midi, ayant écouté les doléances de la défense et l’invitant à faire ses demandes par écrit, elle demande à reprendre les débats : « Ben, vous n’allez pas continuer sans nous, hein, sans avocats et avec le box vide. »
Les avocats entendent donc déposer une requête aux fins de récusation d’un magistrat – deux d’entre eux ont siégé dans des compositions qui ont déjà jugé HD., en principe cela n’est pas gênant mais l’avocat estime que si, puisque son client n'a cessé de clamer son innocence (comme il le fait aujourd’hui) et pourtant fut jugé, dit coupable et condamné -, cela se traite au niveau de la Cour d’appel. « Votre requête va concerner qui ? » demande la présidente. « Je ne sais pas, on va y réfléchir » lui répond maître Scrève. Voilà. Vous n’êtes pas sur Netflix mais à la Cour d’assises de Saône-et-Loire.
FSA
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