Faits divers

ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE : Mort d’un bébé « secoué », le père est condamné

ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE : Mort d’un bébé « secoué », le père est condamné

Le 27 octobre 2018, rue Gloriette à Chalon-sur-Saône, Milena, âgée de 2 mois et demi, a fermé les yeux dans les bras de son père, ne les a jamais rouverts. Ce père est jugé par la cour d’assises de Saône-et-Loire depuis ce vendredi 31 mars, pour avoir commis des violences ayant entraîné la mort de son enfant.

« J’étais une petite fille en bonne santé, quoique née fragile de parents fragiles. Ma mère avait accepté les aides qu’on lui avait proposées. Pour moi, tout allait bien. Le 27 octobre, ça devait être un jour de fête, on allait à un mariage et j’avais une belle robe, mais j’ai sombré dans les ténèbres. » Benoît Diry intervient pour la mère et la grand-mère de l’enfant. Ces mères courage qui sont restées au chevet de la petite quand les médecins du CHRU de Nancy* ont constaté l’état de mort clinique. Elles sont restées, l’ont accompagnée jusqu’à son décès.

« Un ou des geste(s) d’une violence inouïe qui avait causé la rupture des veines ponts »

L’enfant ne s’est jamais réveillée et pour cause : « Les constats médicaux sont sans appel, ils disent un ou des geste(s) d’une violence inouïe qui avait causé la rupture des veines ponts. » Le bébé ne pouvait pas en réchapper. « Gestes violents et volontaires » insiste l’avocat qui salue la dignité des parties civiles au procès. Nous étions absent lors de leurs dépositions. Celle de la grand-mère faisant le récit de l’agonie de la petite a bouleversé absolument tout le monde. Un portrait du bébé est posé sur la table, face aux jurés. Un poupon mort de mort violente.

10 h 56, heure de l’appel au SAMU

Le 27 octobre 2018, dans un appartement du centre de Chalon, on se prépare pour un mariage, la maman a rendez-vous chez le coiffeur. Le père s’occupe du bébé, il le fait souvent, il sait faire. Mais entre 10 heures et 10 h 56, heure de l’appel au SAMU, il s’est passé quelque chose. L’enfant est emmenée à l’hôpital de Chalon, puis transférée à Dijon, puis à Nancy. Elle décède le 31 octobre. Le CHRU a informé le Parquet, on met les parents sur écoute. Après l’enterrement du bébé, on les place en garde à vue. Celle de la mère est rapidement levée. Le père est mis en examen à l’issue de la sienne, pour plus tard être renvoyé devant la cour d’assises.

La cour recueille l’aveu de l’homme, mais c’est un aveu en demi-teinte

Ce mardi 3 avril, l’accusé est nerveux, tendu, se met à trembler de tous ses membres alors qu’il est dans le hall du palais. Le SAMU intervient, lui administre un anxiolytique. La présidente Podevin retarde d’une heure la reprise, pour qu’il s’apaise. Les débats reprennent, et en fin de matinée, Thomas Ronfard, avocat de l’accusé dit à la cour que son client a une déclaration à faire. La cour recueille l’aveu de l’homme, mais c’est un aveu en demi-teinte pour la partie civile comme pour l’accusation : il avoue « un secouement », « un geste malencontreux » qu’il situe mal. Il n’admet pas le degré de violence nécessaire à causer de telles blessures (rupture des veines ponts, ça ne survient pas si simplement).

Ce qui a conduit au drame

« Je dis que ses regrets sont opportunistes parce qu’il ne dit pas toute la vérité. » L’avocate générale entend démontrer que le père, alors que « la petite se meurt », ne pense qu’à sa stratégie de défense. Les écoutes téléphoniques le racontent. Sans remettre en cause les sentiments que l’accusé avait pour sa fille - « il l’a aimée, à sa façon, il s’en est occupé » -, Aline Saenz-Cobo dit aussi qu’« il n’était pas prêt à être père. Il y a eu beaucoup de clignotants. Les services sociaux sont intervenus. On n’a peut-être pas sondé suffisamment les difficultés de monsieur ». Ses difficultés : son immaturité, sa fragilité, la pression de dettes, des difficultés au travail, le sentiment de ne pas être à la hauteur, un couple trop récent en difficulté lui aussi, et « la semaine précédente, il avait été exécrable ». « Tout ça, ça a conduit au drame. »

« Au nom de la société qui est là pour réclamer des comptes »

« Milena a fait partie intégrante de la société. La société donne le droit à la vie. Le représentant du ministère public est là pour rappeler son droit à la justice. » L’avocate générale demande aux jurés et aux juges de déclarer l’accusé coupable. Reste à fixer une peine, exercice difficile. « Lui, il ment. Il n’est pas sur le chemin vers la vérité. » Donc, même s’il est aussi « monsieur tout le monde » - inséré, sans casier, sans pathologie psychiatrique, un travailleur courageux, « avec des qualités certaines, comme nous tous » -, même si, donc cette banalité tranche avec des profils criminels et peut générer « un effet-miroir », il faut le réincarcérer (il a fait 1 an et 24 jours de détention provisoire, ndla). Aline Saenz-Cobo requiert une peine de 8 ans de prison avec mandat de dépôt à la barre, « au nom de la société qui est là pour réclamer des comptes parce que la mort d’une petite fille a résulté de gestes violents ».

Le déni, « un mécanisme de défense épidermique »

« Nous ne sommes pas dans un dossier de maltraitances ou de tyran domestique, plaide maître Ronfard. Monsieur a dit ce qui s’était passé. » L’avocat refait, comme l’avocate générale, le contexte, large puis celui de cette journée particulière où il fallait que tout soit parfait, du moins à la hauteur de la cérémonie prévue. Sur le déni de l’accusé, « c’est difficilement audible mais c’est un mécanisme de défense épidermique. Pendant les jours d’hospitalisation, il choisit d’attaquer madame, mais à la fin de sa garde à vue, il commence à s’ouvrir. Ensuite il y a l’interrogatoire de première comparution, et il est très important, car l’avocat qui l’assistait à ce moment-là lui a conseillé de se taire… alors qu’il avait commencé à parler ! »

« Il a reconnu l’indicible »

Pour Thomas Ronfard, il est évident que ce « conseil » - insensé pour des faits de cette nature -, a entraîné son client dans 4 ans et demi d’une posture qui a généré une souffrance accrue pour tout le monde, y compris lui-même (c’est toute la question des paroles d’autorité sur des personnes qui peuvent en être dépendantes, ndla). « Il a reconnu l’indicible, plaide encore l’avocat. Déni ou mensonge, il est entré dans un tunnel, ne se focalisait que là-dessus, n’était plus capable de voir le reste. Il fallait parler tout de suite, c’est vrai, mais il était un enfant dans le corps d’un homme de 28 ans. Il faut tenir compte de ses carences et de ses fragilités. Vous devez en tenir compte. »

« Pour la toute première fois de sa vie, il a été capable de parler »

« Lui qui n’avait jamais pu parler, a commencé à le faire. Son père a appris des choses sur lui au cours du procès. Il n’a jamais parlé de rien. » L’avocat plaide la peine et la réinsertion de l’accusé après 13 mois de détention provisoire. « Il part travailler à pied ou à vélo, de Chalon à Sevrey. Il faut du courage pour faire cela. La seule chose qui lui permet d’aller mieux, c’est de travailler et de suivre une thérapie, il voit un psychiatre. Il doit continuer, à partir de ce qu’il a dit à la barre. » Thomas Ronfard conclut : « Pour la toute première fois de sa vie, il a été capable de parler. Je vous demande d’être ceux qui l’ont entendu. »

« Je souhaitais pas que ça en arrive à ça »

L’accusé a la parole en dernier, s’exprime avec une maladresse et un recul, encore, qui blesse les parties civiles. « Je souhaitais m’excuser pour tout le mal. Ça ne se fait pas, ce que j’ai fait. Je souhaitais pas que ça en arrive à ça. Je regrette ce passage de ma vie, et d’avoir fait du mal à toutes ces personnes. Ma fille, je l’aime. »

Après en avoir délibéré pendant plus de 4 heures

La cour et le jury déclarent l’accusé coupable d’avoir, le 27 octobre 2018 à Chalon-sur-Saône, volontairement commis des violences ayant entraîné la mort, sans intention de la donner, d’une enfant née le 4 août 2018, violences commises par ascendant, en l’occurrence son père ; le condamnent à la peine de 6 ans de prison, décernent mandat de dépôt : la peine est mise à exécution immédiatement. Le condamné quitte la salle, menotté, entouré par une escorte de policiers.

FSA

(Nous n’avons pas pu suivre les débats dès l’ouverture du procès, nous avons assisté à cette journée du mardi 4 février : plaidoiries et réquisitions) 

* https://actu.fr/grand-est/nancy_54395/chaque-annee-15-nourrissons-secoues-sont-admis-au-chru-de-nancy-une-pediatre-temoigne_48863703.html