Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - 12 mois ferme pour une femme en proie à l’alcoolisme : elle persiste à prendre la route en ayant trop bu

TRIBUNAL DE CHALON - 12 mois ferme pour une femme en proie à l’alcoolisme : elle persiste à prendre la route en ayant trop bu

L’alcoolisme est-il une maladie ? Cette femme qui est jugée ce jeudi 29 juillet selon la procédure de comparution immédiate pour deux conduites sous l’empire de l’alcool en récidive, semble en être convaincue.

L’alcoolisme finit par rendre malade, c’est une certitude, et d’autant plus sûrement lorsqu’il est associé au tabagisme. On connaît les discours qui soutiennent la thèse de l’alcoolisme = maladie. On connaît (et on les entend souvent au tribunal) les vulgates qui ont cours sur le sujet. L’an dernier on entendait souvent les magistrats dire : « c’est bien triste mais enfin personne ne vous a forcé, hein ». Comme si une personne en proie à la force d’une si terrible dépendance pouvait se maîtriser, se raisonner (un verre ça va, trois verres, bonjour les dégâts). 

Les représentations : alcool-maladie, alcool-facteur aggravant, infraction

L’alcool serait donc « une maladie » dont on peut être amené à rendre compte devant des tribunaux puisque l’état d’ivresse est un facteur aggravant en toutes circonstances, et parce que conduire (y compris un vélo, rappellera monsieur Marey, substitut du procureur) en ayant trop bu est une infraction. 
Voilà le carrefour, ou plutôt le nœud (parce que ces représentations – alcool-maladie, alcool-facteur aggravant, infraction – se contrarient drôlement, comme on va le voir), dans lequel l’élaboration possible, au cours de l’instruction telle que la mène la présidente Edith Catala, précise, pertinente et sans pathos, va se trouver bloquée. 

Véhicule confisqué, permis suspendu ? Voiture sans permis !

Soit une femme d’environ 50 ans, qui dit souffrir d’une dépendance à l’alcool depuis 10 ans, dépendance aggravée depuis environ 5 ans. Une femme qui a fait des cures, et qui en tire, dit-elle, la force de parvenir à s’abstenir de boire quelques temps (jours ? semaines ?) mais qui rechute. 
Alors qu’elle était en sursis probatoire, suite à une décision de justice qui avait suspendu son permis de conduire et confisqué son véhicule, elle achète une voiture « sans permis » et conduit : elle vit à la campagne, aucun bus ne passe chez elle, et il faut bien qu’elle se rende à Chalon pour voir des médecins, ou à Sennecey pour acheter de l’alcool. 

Détention provisoire

C’est dans ce contexte qu’elle est contrôlée le 23 mars dernier, avec une alcoolémie de 2,22 grammes. C’est toujours dans ce contexte qu’elle se rend, le 8 juin dernier, à la brigade de Sennecey, sur convocation, au volant et avec une alcoolémie toujours supérieure à 2 grammes. Cela lui vaut la détention provisoire et un jugement en comparution immédiate, en état de récidive légale. Ce 29 juin, maître Mariller demande que le mari de la prévenue puisse témoigner, « pour expliquer la maladie de son épouse ». Le procureur s’y oppose, « car monsieur ne nous apprendrait rien que madame ne puisse dire elle-même ». Le tribunal rejette la demande.

« Un verre en entraîne un autre, et on s’arrête pas »

La présidente éprouve la prévenue sur le versant de sa volonté à faire tout ce qu’elle peut pour ne pas commettre d’infractions d’une part (la réponse est « rien », y compris en intra-familial), et s’arrêter de boire d’autre part. Son arrivée chez les gendarmes le 8 juin ? « J’avais bu. Un verre en entraîne un autre, et on s’arrête pas. »

« A vous écouter, on a l’impression que ce n’est pas de votre faute »

La présidente a certainement percuté sur l’usage de ce « on » : « A vous écouter, le tribunal a l’impression que ce n’est pas de votre faute. » La prévenue réagit : « J’ai jamais dit ça ! Mais on sait que c’est une maladie très agressive. J’ai pris la voiture dans un état second. J’aurais pas dû. Au jour d’aujourd’hui, je suis malade, je ne peux pas m’empêcher de boire. » Dans ces conditions, quelles précautions ont été prises en intra-familial pour lui interdire l’accès aux clés des voitures ? Aucune.

Échec de toute élaboration

Bon, alors si elle conduit parce qu’elle vit à la campagne, alors qu’elle se dit malade à boire autant, envisage-t-elle de déménager pour un milieu plus urbanisé ? « Non, non. » Une juge assesseur met dans une balance « maison à la campagne/vies des autres ». Réponse assortie d’un mouvement de l’épaule : « Eh ben je prendrai mon vélo ! » Et pourquoi ne l’a-t-elle pas fait plus tôt ? « J’ai commis des erreurs, ok, mais l’incarcération, c’est pas ça qui me soignera. » Echec de toute élaboration. Le tribunal a essayé mais en face ça résiste fort, au point que la femme n’évoque même plus sa souffrance personnelle (qui doit être grande, pourtant) : elle est enfermée dans un discours qu’elle a fait sien*. 

« J’ai des craintes, surtout quand j’entends le positionnement de madame »

Alexandre Marey prend acte de cet échec, il parle même d’un « climat de désespoir » : « on n’arrive plus à voir ce que la justice peut faire pour empêcher madame de mettre en danger toute la société** (les autres et elle-même) à chaque fois qu’elle prend le volant. J’ai des craintes, surtout quand j’entends le positionnement de madame. » Il requiert une peine mixte de 6 mois ferme avec maintien en détention, plus 3 mois de sursis révoqués (9 mois, donc) et 6 mois assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans avec une obligation de soins. 

L’alcoolisme, un problème lourd et si complexe

Maître Mariller plaide le discours de la prévenue, qui est aussi le discours familial (ce qui complique forcément les choses) : « l’alcoolisme est une maladie dont il est difficile de sortir » (elle ne parle pas de « guérir », ce qui conviendrait au terme de « maladie », mais « d’en sortir », comme on parle d’une toxicomanie, ce qu’est l’alcoolisme, à sa manière qui le distingue des autres toxicomanies – c’est vraiment un problème complexe, ndla). L’avocate plaide pour un sursis probatoire renforcé, « elle aura des aides » (et des trajets à faire, du coup, ndla), et conclut : « La maladie, la dépendance à l’alcool, est un symptôme dont il faut trouver le sens. » (Pas sûr du tout que ça soit un symptôme, mais enfin, ça va avec la représentation « maladie », ndla)

12 mois de prison ferme puis un suivi renforcé

Le tribunal déclare la prévenue coupable d’avoir conduit sous l’empire de l’alcool, en état de récidive légale, et la condamne à la peine de 18 mois de prison dont 12 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans (obligations de travailler et de se soigner). Le tribunal révoque en outre la révocation totale du sursis antérieur, de 6 mois, ordonne l’incarcération immédiate. Ça fait 12 mois de prison ferme. 

Le tribunal constate l’annulation du permis de conduire, interdit à la femme de conduire sans un dispositif EAD pendant 3 ans (y compris sur une voiture sans permis). Confisque le véhicule sans permis. 

« Je t’aime ! »

Choc à l’annonce de la décision, même si la présidente précise que madame pourra, à un moment donné, demander un aménagement de sa peine (ça se travaille). La femme repart avec son escorte à la prison pour femmes de Dijon. Elle envoie des baisers à son époux et à sa fille - du moins on suppose que c’est sa fille qui lui lance d’une voix forte : « Je t’aime ! » Un Je t’aime, comme un viatique. 

FSA

* C’est dommageable pour elle, parce que, somme toute, nous sommes tous des alcooliques potentiels. La plupart d’entre nous sait ce qu’est l’ivresse, à ceci près que certains ne sauront/pourront pas dominer ce quelque chose qui fait chuter dans la grande dépendance. Peut-être qu’il faudrait changer de discours ? C’est un problème politique autant que social, et pour chaque personne concernée c’est un problème personnel.

** L’alcool est impliqué dans 23 % des accidents mortels de la route. Selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (Onisr), « la conduite en état d’ivresse est la deuxième cause de mortalité sur les routes, après la vitesse ».