Opinion

"À l'Arrosoir, merci de nous avoir permis d'éclore"

"À l'Arrosoir, merci de nous avoir permis d'éclore"

La déclaration d'Amour de Pierre-Antoine Savoyat, trompettiste et compositeur à l'Arrosoir.

Le samedi 9 septembre, je n'ai pas pu être présent physiquement à la journée d'adieu de l'Arrosoir. J'étais sur scène à Bruxelles avec MikMaäk, un orchestre composé de musiciens français et belges. Lors de mes années à Chalon-sur-Saône, et même depuis que j'habite à Bruxelles (avant toute chose, la politique belge n'est pas le sujet ici), je ne peux compter le nombre de fois où je suis venu, que ce soit pour des concerts, des résidences, des répétitions, des rencontres... Que ce soit en tant qu'auditeur ou artiste, l'Arrosoir fait partie de mon histoire. C'est là, que j'ai écouté pour la première fois de nombreux musiciens qui m'ont bouleversé et inspiré, dont Guillaume Orti et Andy Emler, avec qui je partageais la scène ce 9 septembre dernier. Il est intéressant de constater que sur les 16 musiciens de l'ensemble, la moitié avaient des attaches particulières avec le lieu, alors que nous nous trouvions à 600 kilomètres de Chalon. Cela montre à quel point l'Arrosoir était aimé et reconnu, bien au-delà des murs de sa petite ville. Et, au vu de la communication de certains acteurs publics, on peut affirmer qu'ils n'ont pas la moindre conscience de ce que représente la perte de ce lieu pour la ville. Ce lieu a accueilli de grands noms tels que Marc Ducret, Louis Sclavis, Tom Rainey, Eve Risser, Denis Badault, Frank Tortiller, et bien d'autres. Il a contribué à l'éclosion de la carrière de nombreux artistes, notamment venant du conservatoire, dont on peut citer Fred Nardin, Timothée Quost, Etienne Renard, Sidonie Dubosc, Clément Merienne, et plus récemment Samuel Apoutou, dont la ville et l'agglomération se sont enorgueillies de son départ pour la Berklee College of Music de Boston.

Bien plus que cela, l'Arrosoir a renforcé son investissement local avec une multitude de projets pour la ville, des actions culturelles pour les écoles, des partenariats avec d'autres structures. L'Arrosoir était en constante innovation, cette fameuse innovation sollicitée par des acteurs politiques qui ne comprennent pas les réalités et l'importance d'une structure culturelle comme l'Arrosoir.

Quand je parle d'acteurs politiques, je parle en termes généraux. Si la baisse de subvention de 25 % infligée à toutes les associations de la ville en 2015 a mis l'Arrosoir dans une situation compliquée depuis de trop nombreuses années, il faut rappeler que la ville de Chalon-sur-Saône et l'Agglomération du Grand Chalon ne sont pas les seules responsables. Il y avait d'autres partenaires, dont la région, le département et le Ministère de la Culture (via la DRAC régionale), et presque toutes les sensibilités politiques sont représentées lorsque l'on regroupe toutes ces institutions. Un symbole pour une triste réalité : il n'y a aucun projet de politique culturelle dans l'esprit de nos décideurs politiques de l'Hexagone, et ce, depuis bien trop longtemps. Je dirais même que ce concept n'est même pas envisagé par eux. Il est bien loin le temps où ces mêmes politiques finançaient les événements culturels en ayant conscience de l'importance que cela peut avoir dans un territoire, et aujourd'hui,
l'exception culturelle n'est qu'une vieille légende brandie pour se donner bonne conscience, n'en déplaise à Madame Rima Abdul-Malak. Le milieu culturel est en crise : l'Arrosoir n'est que l'un des premiers lieux sur une longue liste d'institutions qui sont sur la sellette, et cet été, aucun des festivals français auxquels j'ai pu jouer ou assister ne mentionne pas ses craintes et incertitudes quant à l'avenir de son activité. Finalement, ce sont toujours les mêmes qui trinquent à la fin, les milieux les plus précaires et les jeunes. Un lieu modeste comme l'Arrosoir était aussi un lieu qui montrait que d'autres chemins sont possibles, alors que certaines élites font part de leurs opinions et de leurs craintes, parfois justifiées, sur une jeunesse qui serait sous l'emprise des influences et des réseaux sociaux. Ces mêmes élites ne proposent aucune alternative, pire, elles méprisent et détruisent le travail de ceux qui en proposent.

Il y aurait encore tant de choses à dire. J'ai une pensée émue pour toute l'équipe de l'Arrosoir, l'ancien directeur Gilbert Scheid, emporté par un vilain crabe il y a 4 ans, les bénévoles avec qui j'ai pu échanger, dont certains sont devenus des amis (Pierre, Hélène, Patrick, Michel, Anne, Cécile, François, Olivier, Philippe, Clément, Fanny, Flavien, Michel, Yuna, Jeannette, Raphaël, Aude, Morgane, Pauline, Jean Charles, Susanne, Laurent, Guillaume, Jade, Aliou, Marion, Alex, Marie Bénédicte, Marion, et les autres...), les salariés de l’Arrosoir, et particulièrement son dernier directeur Médéric Roquesalane, dont l'investissement, la passion et le travail acharné depuis plus de dix ans partent en fumée. Une pensée aussi pour tous les autres lieux de culture et d'art de l'Hexagone, qui se battent pour leur survie, pour tous les artistes, et notamment les plus jeunes qui ne sont pas encore établis dans le métier, et qui luttent pour obtenir la reconnaissance qu'ils méritent.

Personnellement, je ne souhaite qu’une chose : que le futur me donne tort. Mais permettez moi de ne me faire aucune illusions.

À l'Arrosoir, merci de nous avoir permis d'éclore,

Pierre-Antoine Savoyat, trompettiste et compositeur