Faits divers
TRIBUNAL DE CHALON - Il sort de l’hôpital psychiatrique énamouré de son infirmière : elle porte plainte pour harcèlement
Par Florence SAINT-ARROMAN
Publié le 27 Septembre 2024 à 11h28
C’est l’histoire d’un homme qu’un expert psychiatre dit pénalement irresponsable, c’est l’histoire d’un avocat qui plaide contre le rapport d’expertise, c’est enfin un tribunal qui, sans surprise, ordonne l’hospitalisation sans consentement du prévenu mais, plus étonnant, le laisse rentrer chez lui.
Un contexte peu ordinaire à tous les égards
Michel Grebot plaide pendant 25 minutes, ce jeudi 26 septembre, à l’audience des comparutions immédiates. Son client, un homme âgé de 69 ans, doit répondre de harcèlement dans un contexte, on va le voir, peu ordinaire à tous les égards. L’avocat souligne ce qui d'emblée, frappe : le prévenu est placé, sans le moindre problème, sous contrôle judiciaire depuis le 30 juillet dernier, il comparaît donc libre, il n’est donc pas considéré comme dangereux (sentiment renforcé par son départ libre du tribunal), et peut-être à juste titre.
Le mérite de l’avocat : ouvrir un espace propice à la réflexion, en dépit du rapport du psychiatre
Pourtant, dangereux sur le plan psychiatrique, il est réputé l’être, ce vieil homme, du moins selon son passé et un rapport d’expertise vieux de plus de 10 ans. Pour le présent, d’autres questions se posent et c’est tout le mérite de l’avocat que d’avoir pris le temps de les déployer, d’ouvrir un espace que le rapport d’expertise fermait.
Expertise adossée sur celle qui précédait
Le jugement avait été différé, le temps d’une expertise psychiatrique qui n’était pas encore faite, 8 jours avant l’audience. Une greffière relance alors par mail le médecin qui convoque et reçoit le monsieur pendant « 40 minutes » et rend un rapport adossé sur l’ancien. « Regardez, dit maître Grebot au tribunal, il a repris les mêmes termes. »
Le passé, le présent
Le passé : un procès criminel pour assassinat en 2013. Persuadé que son beau-frère était coupable de commettre « de graves infractions, ce qui peut être un peu inquiétant, en termes de… » signale le SPIP* - explique la présidente aux juges assesseurs -, il le tue. L’expert psychiatre conclut à l’époque à l’abolition du discernement de l’accusé qui est alors interné et reste 4 ans au CHS de Sevrey. Là, il reçoit des soins et revient à la vie civile (sous régime de protection civile) en 2019. Son curateur n’est pas représenté à l’audience.
Jamais menaçant, jamais insultant, mais il lui écrit qu’il a « besoin d’elle », et ça inquiète la femme
Son infirmière référente quitte le CHS la même année, et depuis, l’homme « ne cesse de chercher à la joindre » dit la présidente, exclusivement sur ses lieux de travail mais enfin ses cadeaux de corbeilles de légumes (il a un jardin), de fruits, de fleurs coupées, suivent cette infirmière comme à la trace. Il lui envoie aussi des petits courriers, au rythme moyen d’un tous les deux mois. Il n’est jamais menaçant, jamais insultant, mais il lui écrit qu’il a « besoin d’elle », et ça inquiète la femme qui serait allée une fois chez lui, c’est dit à l’audience, lui rapporter des affaires, mais qui ensuite n’a répondu à aucun de ses signes.
« A-t-elle peur de monsieur, ou a-t-elle peur de ce qu’il a fait il y a longtemps ? »
En juillet dernier elle porte plainte pour harcèlement et présente un certificat médical avec ITT de 15 jours arguant une insécurité qui altère ses conditions de vie (elle met son domicile sous alarme, dort avec la lumière).
« On peut comprendre cette peur diffuse » plaidera maître Grebot, « on peut la comprendre, mais vu l’absence de toute violence, du fait que madame n’a jamais vu monsieur la suivre, vu l’absence de toute intention mauvaise de la part de monsieur, la question se pose : a-t-elle peur de monsieur ou a-t-elle peur de ce qu’il a fait il y a longtemps ? » La victime n’est pas à l’audience et n’a pas pris d’avocat qui l’aurait représentée.
« Malgré les soins, il persiste un délire »/ « Maintenant que je sais qu’elle ne veut plus me parler, alors j’arrête »
Dans l’intervalle et avec une forme de douceur, la présidente confronte le prévenu aux effets de son comportement qui durait malgré l’absence de tout retour. Le médecin écrit que monsieur a « de nouveau un épisode d’obsession analogue (à 2012) », « une obsession érotomaniaque », « quand il s’agit d’elle, il n’entend rien ».
Présidente : « Qu’est-ce que vous en pensez, monsieur ? »
Prévenu : « Maintenant, c’est fini ! »
« Ça vous parle, ‘abolition du discernement’ ? – Maintenant que je sais qu’elle ne veut plus me parler, alors j’arrête. »
L’expert psychiatre : « Malgré les soins, il persiste un délire (…), une fausseté dans le jugement », « même mode qu’en 2012 ».
« Oui mais, monsieur, les courriers, les fleurs, c’est pas avec tout le monde »
La présidente explique : « Le médecin fait un parallèle entre ce qui vous a conduit à tuer votre beau-frère et l’obsession d’aujourd’hui. »
Le prévenu se défend : « Je donne des légumes à d’autres ! »
Présidente : « Oui mais, monsieur, les courriers, les fleurs, c’est pas avec tout le monde. Le médecin dit que les idées fixes que votre beau-frère vous inspirait sont semblables aux idées fixes sur madame. »
Prévenu : « J’ai pas d’idées fixes ! Je n'en ai plus ! »
« Oh moi, ça va. Je fais mon jardin »
Une juge assesseur : « Monsieur, vous diriez que ça va comment, pour vous ? »
L’homme : « Oh moi ça va. Je fais mon jardin. »
Juge : « Est-ce que vous dormez ? »
L’homme : « Je dors bien. »
Juge : « Vous n’êtes pas envahi par certaines idées ? »
L’homme : « Oh non, moi ça va. »
« Deux ans de cadeaux sans jamais de réponse, et vous continuez »
La procureur : « Monsieur, vous avez écrit à votre ancienne infirmière qu’elle a une importance primordiale pour vous. »
L’homme : « Parce qu’elle m’a beaucoup aidé. J’ai beaucoup d’estime pour elle, beaucoup d’estime. »
La procureur : « Elle changeait de lieu de travail, comment vous le saviez ? »
L’homme : « Je demandais à la pharmacie, on me donnait une liste des infirmiers, elle était dedans. »
La procureur : « Deux ans de cadeaux sans jamais de réponse, et vous continuez. »
Sur la foi du rapport du psychiatre, versus contre ce rapport d’expertise
Au terme de son réquisitoire, la procureur demande au tribunal, sur la foi du rapport d’expertise, « dans l’intérêt de monsieur et pour la protection de la société », de le déclarer coupable mais irresponsable pénalement et d’ordonner son hospitalisation.
Dès le début de sa plaidoirie, l’avocat annonce la couleur : « Je vous demande d’écarter le rapport de l’expert (les tribunaux ne sont pas liés par les rapports d’expertise, ndla). Et s’il se trompait ? Il a convoqué monsieur le dimanche 22 septembre à 11 heures. A 11h40, monsieur était sorti. » Maître Grebot dit que le rapport rendu est nourri d’un rapport plus ancien.
Et pourtant…
Pourtant, plaide l’avocat, « en 2019, on a jugé que son état s’était amélioré au point qu’il pouvait sortir et suivre des soins à l’extérieur. Du reste, le 30 juillet, on l’a placé sous contrôle judiciaire, et monsieur en respecté le cadre (avec interdiction de contact, ndla) sans difficulté. »
« Harcèlement » : « un caractère répétitif et une violence qu’on ne trouve pas dans cette procédure »
« Le harcèlement, d’ordinaire, c’est des SMS insultants, menaçants, en quantité énorme, des appels malveillants, en quantité énorme : on n’a rien de tout ça. On reproche à monsieur d’avoir essayé d’établir un contact avec madame, en lui envoyant des légumes de son jardin, des fleurs de son jardin, une fois de chez un fleuriste… Il les déposait au secrétariat du lieu de travail de madame : il ne l’a jamais vue. Dans l’infraction de « harcèlement » il y a un caractère répétitif et une violence qu’on ne trouve pas dans cette procédure. »
Sur la peur et/ou le sentiment d’insécurité - « Il n’avait pas l’intention de nuire »
« ‘Il a assassiné quelqu’un’ : je comprends que cette pensée fasse peur, mais quand un enquêteur contacte madame une semaine après le dépôt de plainte pour lui demander un certificat médical à verser à la procédure, la victime lui dit qu’elle souhaite récupérer les cartes que monsieur lui a envoyées. Une telle demande est-elle compréhensible dans un climat qui serait celui de la plus grande insécurité ? Ce procès-verbal est quand même parlant ! Monsieur ne la harcèle pas. C’est juste des cartes qu’il lui a écrites. Et tout ça pour arriver in fine à la demande de l’euro symbolique au titre de la réparation du préjudice. Il vous l’a dit, il n’avait pas l’intention de nuire. »
« J’ai pas pensé comme ça »
La présidente avait demandé au prévenu s’il avait compris en quoi son insistance pouvait être effrayante pour son ancienne infirmière ? L’homme a baissé la tête : « J’ai pas pensé comme ça. »
« Le problème c’est que vous pouvez priver monsieur de sa liberté alors que… »
Son avocat poursuit : « Il a compris que madame ne souhaite pas avoir la moindre relation avec lui. Maintenant, c’est terminé. Il n’est pas nécessaire de l’envoyer dans un hôpital psychiatrique pour des mois ou des années. Je vous demande encore une fois d’écarter le rapport du docteur X. Le problème c’est que vous pouvez priver monsieur de sa liberté alors que non seulement on est loin d’une infraction grave mais en plus, je vous dis qu’il n’y a pas d’infraction. Je vous demande de relaxer monsieur. »
On attend…
Le temps du délibéré est bien long. Puis on voit la présidente aller et venir sans que pour autant le tribunal revienne. On se dit alors que les juges attendent une escorte… Le prévenu, assis devant son avocat, ne bouge pas. Un couple assis sur le dernier banc, au fond, têtes levées, regarde et commente les tâches d’infiltration d’eau qui marquent le plafond. Aucune escorte, aucun infirmier, n’arrive.
« Le tribunal ordonne votre hospitalisation sans votre consentement »
Le tribunal revient : « On a considéré que les faits (de harcèlement) étaient constitués, mais le tribunal a écarté votre responsabilité pénale. Le tribunal ordonne votre hospitalisation sans votre consentement, au CHS. A titre de mesure de sûreté, le tribunal vous fait interdiction de tout contact avec la victime ainsi que de paraître à son domicile et sur son lieu de travail, pendant 10 ans (durée maximum). Vous devrez indemniser la victime d’1 euro symbolique. »
« Si le médecin s’est trompé dans son diagnostic, eh bien… »
« Le diagnostic du médecin est clair, net, sans ambiguïté, par conséquent le tribunal n’a pas à se poser la question de votre intention. Si le médecin s’est trompé dans son diagnostic, eh bien votre hospitalisation ne durera pas. Il y aura de nouvelles expertises et contre-expertises. L’ordonnance d’hospitalisation a un effet immédiat. L’audience est levée, monsieur.
- Quoi ? dit le prévenu.
- Vous pouvez partir, monsieur. »
On ira le chercher chez lui, et vraisemblablement sans tarder.
FSA
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