Chalon sur Saône

Frédérick Mazzarolo, buraliste de la rue Pasteur, à Chalon-sur-Saône : « J’ai l’impression que le maire de Chalon joue la montre »

Frédérick Mazzarolo, buraliste de la rue Pasteur, à Chalon-sur-Saône : « J’ai l’impression que le maire de Chalon joue la montre »

Ce n’est pas vraiment un secret d’Etat : les affaires de Frédérick Mazzarolo, le buraliste de la rue Pasteur, à Chalon, ne sont pas florissantes, celui-ci étant à l’évidence situé dans un secteur en perte de vitesse, commercialement parlant. C’est pourquoi Frédérick Mazzarolo demande depuis 2014 à pouvoir déplacer son débit de tabac dans un endroit moins sinistré, « se délocaliser » comme il dit.Le point d’Info-Chalon sur une affaire riche en rebondissements et pour le moins… compliquée.

 Ses nombreuses demandes ayant été refusées, il est désormais en conflit ouvert avec le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret. S’il pouvait espérer être enfin fixé sur son sort le 20 novembre dernier, l’audience devant le tribunal administratif de Dijon, devant lequel il a attaqué les décisions du maire refusant d’accéder à ses demandes de déplacement, a néanmoins été reportée à janvier 2016, à la suite de ce qui lui semble être une tactique de la mairie pour « jouer la montre », éviter, peut-être, « qu’un jugement ne soit rendu avant le premier tour des élections régionales », le 6 décembre prochain, c’est-à-dire dimanche. Le point d’Info-Chalon sur une affaire riche en rebondissements et pour le moins… compliquée.

Frédérick Mazzarolo s’est installé comme buraliste rue Pasteur le 3 août 2013. Un investissement de 45 000 euros. Cette affaire, c’est un commerce qu’il a décidé de reprendre en se basant sur les données comptables de ceux qui ont tenu le bureau de tabac de cette rue pendant 18 années. Et non pas sur celles de son prédécesseur direct, mis en liquidation judiciaire, celles-ci n’étant, de l’avis de beaucoup, pas significatives.

Premières demandes refusées

Las ! Une fois installé, il se rend assez vite compte que « ça ne marche pas », la rue étant « commercialement sinistrée ». Son chiffre d’affaires ne lui permettant pas de dégager des revenus suffisant pour vivre, aucune amélioration ne semblant pointer à l’horizon, Frédérick Mazzarolo s’ouvre des problèmes qu’il rencontre à ses confrères et au maire de l’époque, Christophe Sirugue. Encouragé par ces derniers à procéder de la sorte, Frédérick Mazzarolo fait alors une première demande de transfert auprès de Christophe Sirugue* qui, le 5 mars 2014, en pleine campagne des municipales, refuse d’accéder à celle-ci, en prenant une décision défavorable.

Ladite décision ayant semble-t-il été prise « à l’issue d’une procédure irrégulière et de pressions », le maire fraichement élu, Gilles Platret, en prend une nouvelle, le 27 mai 2014, qui demeure inchangée sur le fond puisque celle-ci rejette de nouveau la demande de transfert de Frédérick Mazzarolo.

Désirant trouver une solution rapide à ses problèmes, échaudé par les refus successifs de la mairie, Frédérick Mazzarolo sollicite auprès de la Direction régionale des douanes de Bourgogne, après l’obtention d’un avis favorable du maire de Lux le 24 septembre 2014, un transfert de son débit de tabac sur le territoire de la commune de Lux. Mais la directrice régionale rejette sa demande.

Après des tentatives amiables auprès des personnes compétentes afin que les décisions défavorables soient retirées, Frédérick Mazzarolo, qui connait toujours des difficultés financières, décide, le 3 février 2015, de procéder à une nouvelle demande, de déplacement intra-communal cette fois-ci, auprès du maire de Chalon, Gilles Platret.

Une troisième demande toujours en cours

Souhaitant mettre toutes les chances de son côté, il va voir le collaborateur du sénateur Jérôme Durain, qui travaille à quelques pas de son débit de tabac. Le sénateur en question adresse alors un courrier à la directrice régionale des douanes. Celle-ci étant appelée à rendre un avis obligatoire mais ne liant pas le maire quant au fond de sa décision,  le sénateur lui demande d’examiner avec « bienveillance » la demande de Frédérick Mazzarolo. Par retour de courrier (en date du 17 mars 2015), la directrice en question, après avoir procédé à une explication de ses précédents avis et faisant état d’une pétition de 20 buralistes chalonnais transmise à ses services le 3 mars 2015 contre « les agissements de M. Mazzarolo » dans le sens de laquelle elle semble abonder, ne laisse toutefois guère de doute quant à la nature défavorable de l’avis qu’elle s’apprête à rendre.

Les jours, les semaines, les mois passent. Ayant vainement sollicité un entretien avec l’édile afin de lui exposer son projet de déplacement, en dépit de ses relances et sans réponse de la part du maire depuis deux mois, , Frédérick Mazzarolo se voit ainsi opposer une décision implicite de rejet de sa demande (en l’espèce, une demande de ce type restée pendant deux mois sans réponse de l’autorité administrative sollicitée – ici, le maire de Chalon – doit être juridiquement considérée comme défavorable). Décision qu’il attaque le 22 avril 2015 auprès du tribunal administratif de Dijon, en faisant un référé suspension.

Volonté de couper court à tout contentieux ? Couac des services de la mairie ? Toujours est-il que peu de temps après la saisine du tribunal administratif, le 27 avril 2015, le maire de Chalon décide de répondre à Frédérick Mazzarolo en prenant une décision défavorable, c’est-à-dire refusant d’accéder à la demande du buraliste. Pour refuser de faire  droit à la demande de ce dernier, le maire se fonde sur les avis défavorables de toutes les instances qu’il était tenu de saisir avant de rendre sa décision : la Direction régionale des douanes de Bourgogne, la Confédération des buralistes.

S’il s’agissait là de couper court à tout contentieux, le maire n’a pu que déchanter. En effet, Frédérick Mazzarolo maintient son recours. Ce qui conduit le juge des référés du tribunal administratif (M. Blacher) à rendre, le 11 mai 2015, une ordonnance favorable à Frédérick Mazzarolo. En effet, celle-ci ordonne non seulement la suspension de l’exécution de la décision de Gilles Platret en date du 27 avril 2015 mais enjoint également l’édile à réexaminer la demande du buraliste et de prendre une nouvelle décision sur cette demande, ceci dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l’ordonnance. Pourquoi ? D’abord parce que, estime le Juge des référés, « la situation économique et financière de M. Mazzarolo s’est rapidement dégradée après son installation (…) rue Pasteur ». Parce que « l’intéressé indique, sans être contredit, (…) que son commerce a enregistré une diminution de 30 % des recettes issues des ventes de tabac, comme l’atteste son expert-comptable au mois d’avril 2015 ». Parce que, contrairement à ce qui est soutenu par la mairie de Chalon, « la circonstance qu’il ait racheté le débit de tabac de la rue Pasteur à son précédent gérant placé en procédure de liquidation judiciaire ne permet pas, à elle seule, de regarder l’intéressé comme s’étant lui-même placé dans une situation défavorable faisant obstacle à ce que la condition d’urgence puisse être regardée comme remplie ». Parce que « la décision dont il est demandé la suspension est de nature à aggraver la situation économique et financière du requérant ». Mais aussi, et surtout, parce que « le moyen tiré de l’erreur commise par le maire de Chalon dans l’appréciation du déséquilibre du réseau local (…) est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision dont il est demandé la suspension ».

Si le maire avait quinze jours pour prendre une nouvelle décision à compter de la notification de l’ordonnance du 11 mai 2015, M. Frédérick Mazzarolo a toutefois eu le déplaisir de constater que, quinze jours plus tard, le maire n’avait toujours pas pris de nouvelle décision le concernant. C’est pourquoi il a fait auprès du tribunal administratif un nouveau recours, en exécution de la décision de justice du 11 mai. Un recours qui a mené un autre juge des référés (M. Beaujeard), le 15 juin 2015, à rendre une ordonnance constatant que celle du 11 mai n’avait pas été exécutée et que les arguments de la mairie pour justifier de cette inexécution étaient inopérants, et infligeant par ailleurs au maire des pénalités d’astreinte de 250 euros par jour de retard, pour inciter ce dernier à prendre rapidement une nouvelle décision. Ce qu’il fera…le lendemain même, c’est-à-dire le 16 juin. Mais pour maintenir sa position initiale, bref refuser le déplacement demandé par Frédérick Mazzarolo.

Cette « nouvelle » décision, Frédérick Mazzarolo en demande la suspension auprès du juge des référés du tribunal administratif de Dijon. Ceci pour les mêmes raisons que précédemment.

Une ordonnance du juge des référés pour le moins surprenante

A nouveau saisi par M. Mazzarolo, le juge des référés, cette fois-ci M. Marti, rend, le 2 juillet 2015, une ordonnance défavorable au buraliste et pour le moins surprenante. En effet, alors que le 11 mai 2015, le précédent juge des référés (M. Blacher) avait explicitement considéré que « la circonstance que [M. Mazzarolo] ait acheté le débit de tabac de la rue Pasteur à son précédent gérant placé en procédure de liquidation judiciaire ne [permettait] pas, à elle seule, de regarder l’intéressé comme s’étant lui-même placé dans une situation défavorable faisant obstacle à ce que la condition d’urgence puisse être regardée comme remplie », cette fois-ci, le juge des référés du 2 juillet 2015 (M. Marti) considère, lui, que Frédérick Mazzarolo ayant « racheté en 2013 un fonds de commerce placé en liquidation judiciaire », « il était de ce fait conscient des difficultés liées à l’emplacement de son débit de tabac rue Pasteur » et que, « dès lors, la condition d’urgence requise par les dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative [Ndlr : procédure de référé-suspension] ne sont pas remplies ». Par ailleurs, plus rien sur « l’erreur commise par le maire de Chalon dans l’appréciation du déséquilibre du réseau local (…) de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision ».

Evidemment, M. Mazzarolo, face à ce qu’il est tenté de qualifier de revirement du tout au tout, est assez surpris : « Est-ce parce ce que le juge des référés de juillet n’était pas celui de mai ? Si oui, n’y a-t-il pas un problème du côté de la justice administrative qui un jour dit ‘’blanc’’ pour, le lendemain, dire ‘’noir’’ ? »

Une audience devant le juge administratif reportée

Il faut sans doute le préciser, ce n’est pas parce qu’à l’occasion d’un recours en référé-suspension, le juge (des référés) ne considère pas qu’il n’y a pas urgence à suspendre une décision, qu’au contentieux, le tribunal administratif considérera celle-ci comme légale et ne l’annulera pas. Le juge des référés évalue l’urgence à suspendre ou non une décision administrative. Le juge administratif saisi au contentieux, pour schématiser, considère sa légalité.

En plus d’avoir opéré des recours en référé-suspension, Frédérick Mazzarolo, ayant de sérieux doutes sur leur légalité,  a aussi attaqué, « pour excès de pouvoir », les décisions du 27 avril 2015 et du 16 juin 2015. Les ayant de la sorte attaquées au contentieux, il devrait assez vite être fixé sur leur légalité. Du moins si l’audience, initialement prévue le 20 novembre dernier mais renvoyée à janvier 2016 en raison d’une erreur du tribunal (!) – ou, plus vraisemblablement, d’une production tardive de mémoires en défense de la mairie empêchant la clôture de l’instruction dans les délais -, n’est pas à nouveau reportée.

Pour Frédérick Mazzarolo, « des apparences pour le moins troublantes »

Qu’elle intervienne rapidement ou moins rapidement, Frédérick Mazzarolo, qui a l’impression que « Gilles Platret joue la montre », espère surtout que la décision du tribunal administratif saura clarifier une fois pour toutes la situation et lui redonner confiance dans le système et les hommes sur lesquels celui-ci repose pour fonctionner.

Car, perplexe vis-à-vis du revirement du juge des référés de ce tribunal entre le 11 mai et le 2 juillet 2015, Frédérick Mazzarolo commence en outre à s’interroger très sérieusement sur les comportements de plusieurs acteurs dans ce qu’il appelle son dossier, particulièrement ceux des représentants de la mairie.

Lesquels ? D’abord, le fait que le nouveau maire de Chalon refuse de le rencontrer, y compris lorsque, à l’instar de n’importe quel citoyen Chalonnais, il se rend à la « journée du maire » pour rencontrer celui-ci et se fait éconduire – poliment – par sa secrétaire, au motif que Gilles Platret « n’a pas le temps ». Le fait, aussi, que l’adjoint au commerce refuse également de le rencontrer. Le fait, également, que le maire ne prenne une décision explicite sur sa demande du 3 février dernier qu’après le dépôt d’un recours en référé-suspension auprès du tribunal administratif de Dijon. Le fait, encore, que Gilles Platret a fait peu de cas de l’ordonnance du 11 mai 2015 lui enjoignant de réexaminer sa demande et de prendre une nouvelle décision sous quinze jours. Le fait, surtout, que Gilles Platret se soit montré beaucoup plus coopératif envers celui à qui le déplacement qu’il demande pourrait nuire : M. Didier Bigot. Un autre buraliste qui, lui, a obtenu facilement l’autorisation de se déplacer. Un document administratif légalement communicable sur demande, que la mairie a… refusé de lui communiquer. Ce qui a contraint M. Mazzarolo à saisir, le 5 octobre 2015, la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui, dans un avis du 5 novembre 2015, considère ce qui suit : « En l’absence de réponse de l’administration à la demande qui lui a été adressée, la commission, qui n’a pas pu prendre connaissance des documents sollicités, estime que ces documents administratifs sont communicables à toute personne qui en fait la demande, en application de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 sous réserve de l’occultation des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, en application de l’article 6 de cette même loi ». Autrement dit : estime que ces documents devraient être communiqués à M. Mazzarolo.

Pour Frédérick Mazzarolo, « Mis bout à bout, ça commence à faire beaucoup d’apparences pour les moins troublantes ». C’est pourquoi, il attend désormais avec une certaine impatience que le tribunal administratif de Dijon statue.

 

* La vente au détail du tabac est l’objet d’un monopole de l’Etat exercé par les buralistes, sous le contrôle de la direction générale des douanes et droits indirects. La loi n°2009-956 du 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d’allègement de procédures, a transféré aux maires la compétence pour autoriser les déplacements des débits de tabac au sein de leur commune. S’agissant d’une fonction spéciale attribuée par la loin le maire exerce cette compétence en tant qu’autorité de l’Etat et est soumis, à ce titre, au contrôle hiérarchique du préfet. Avant de prendre sa décision, le maire est tenu de recueillir l’avis du directeur régional des douanes et droits indirects et celui de la Confédération des buralistes. S’il omet de recueillir, qui sont des formalités substantielles, sa décision sera entachée d’illégalité. En revanche, s’agissant d’avis simples, le maire n’est pas tenu de les suivre.