Chalon sur Saône

Il y aura de l'émotion dans l'air avec Boris Cyrulnik à Chalon-sur-Saône...

Il y aura de l'émotion dans l'air avec Boris Cyrulnik à Chalon-sur-Saône...

Le mardi 27 septembre prochain, à 20h30 en la salle Marcel-Sembat de Chalon-sur-Saône, Boris Cyrulnik fera grand cas de nos bouillonnements intérieurs. En effet, sa conférence, intitulée « Comment fonctionnent nos émotions », devrait permettre de dénouer les fils de l’écheveau considéré, où il est parfois difficile de retrouver ses petits. ! Interview pour info-chalon.

Neurologue, psychiatre, éthologue, professeur des universités, psychanalyste, par ailleurs Officier de la Légion d’honneur (2014), Prix Renaudot de l’essai (c’était en 2008), Boris Cyrulnik, lequel a popularisé le vocable « résilience », est une personne qui fait autorité. Autre habit endossé : celui d’écrivain, avec à son actif une trentaine de livres, indépendamment de ceux écrits collectivement. Le dernier en date en son nom propre, sorti cette année, a pour titre : « Ivres paradis, bonheurs héroïques », édité chez Odile Jacob. Il aura, pour sûr, quantité de choses à révéler ce soir-là…

Quelle attitude adopter face à nos émotions et nos sentiments ?

« Je vous propose de distinguer les émotions des sentiments. Les émotions, c’est ce qui est ressenti dans le corps. Une substance peut provoquer des émotions. Des stimulations électriques de certaines zones cérébrales peuvent provoquer des émotions, alors que les sentiments ne sont provoqués que par des représentations, des mots, des récits, des œuvres d’art, des films, des pièces de théâtre, des peintures, de la poésie, etc. De toute façon on part du corps pour revenir au corps, mais le point de départ est différent. »

 

Jusqu’où doit-on avoir la mainmise sur elles ?

« Ceux qui n’apprennent pas à réguler les émotions, eh bien ce sont les psychopathes dont on parle beaucoup actuellement. Ce sont des enfants qui ont été tellement mal entourés par leur famille parfois, et par la culture toujours, que leur cerveau n’a pas appris, n’a pas acquis la possibilité de réguler les émotions. On peut affirmer ce que je viens de dire grâce à la neuro-imagerie. Un enfant isolé précocement quelle qu’en soit la cause. Ca peut être une cause politique comme Ceausescu, qui a isolé plusieurs centaines de milliers d’enfants en Roumanie, ça peut être en Occident la maladie de la mère, la mort du père ou de la mère. Egalement la précarité sociale, les parents disparaissent le matin pour gagner un dollar qui leur permettra peut-être de manger le soir comme je l’ai vu au Congo ou dans d’autres pays. Ca peut être aussi la violence conjugale, ça peut être mille causes différentes. Celles-ci appauvrissent la niche sensorielle affective qui entoure tout bébé, et quand il y a un appauvrissement, le lobe préfrontal n’est plus stimulé. Donc il s’atrophie, les synapses se couchent, or l’une des fonctions du lobe préfrontal, c’est de réguler, contrôler les réactions de l’amygdale rhinencéphalique, qui est le socle neurologique des émotions intenses, de frayeur ou d’agression. Ce qui signifie qu’un enfant dont le cerveau a été mal façonné par une tragédie familiale ou culturelle, n’a plus la possibilité de réguler ses émotions. Donc il passe à l’acte tout le temps, il ne peut pas se contrôler. Quand on le regarde il a toujours l’impression que c’est une agression, ça donne : « Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça ? », Tu me manques de respect », « Tu me cherches ? »... » Pour un rien ça déclenche des bagarres, ou s’il convoite un objet il ne peut pas retarder son émotion. Alors il le vole, s’en empare, et si vous lui dites un mot qui ne lui plaît pas, il passe à l’acte sans régulation émotionnelle possible. La régulation des émotions fait partie de toute éducation. »

La quête matérialiste ne cesse de progresser. Le psychisme lui tient-il la dragée haute, ou bien accuse-t-il un sérieux retard ?

« Je pense que ce sont deux domaines totalement différents. Ce qui est dangereux, c’est de n’accorder, donner le pouvoir, qu’à une seule de vos dimensions, c’est-à-dire de n’accorder le pouvoir de valeur de la dimension matérialiste, ce qu’on voit se développer de plus en plus. On voit des gosses bien élevés, bien nourris, trop bien nourris, bien scolarisés, mais sans relations humaines. Dans ce cas ça rejoint le schéma évoqué tout à l’heure, ces gosses ne peuvent pas réguler l’émotion, et on voit parmi les djihadistes des gosses bien élevés qui partent faire le djihad parce qu’ils sont soumis à des impulsions. A l’inverse, se développer de manière idéaliste sans tenir compte des contraintes matérialistes : nourrir, éduquer, dormir, avoir un logement confortable, de l’hygiène physique et mentale, à ce moment-là on voit que ça donne de l’idéalisme passionné, ça donne des doctrines totalitaires qui sont en train de réapparaître, et qui ne tiennent pas compte des besoins matériels des gens. Par conséquent c’est le choix qui est dangereux, ce n’est pas l’un ou l’autre, il faut les deux. » 

De quelle manière rendre l’homme plus serein et heureux ?

« Le problème du bonheur est un problème récent. C’est Saint-Just qui le premier, au moment de la Révolution française a dit que l’on avait droit au bonheur sur Terre, et que c’était l’amélioration sociale qui devait apporter le bonheur. Cette gentille phrase est à la source des plus grandes tragédies humaines, parce que l’on sait que ça a donné lieu aux utopies nazies, religieuses, totalitaires. Ce mot est un mot piégé. C’est difficile de vivre, quand on peut vivre en bien-être, on peut vivre en paix. Les drogués cherchent le bonheur. Ils prennent des substances pour éprouver des flashes de bonheur, mais ça ne les rend pas heureux, puisque dès que la drogue cesse de faire son effet, ils sont très malheureux. Ils sont alors obligés de chercher une quantité supérieure de drogue. J’emploie le mot épanouissement, mais pas forcément bonheur, puisque pour accéder à des moments de bonheur, eh bien il faut être seul dans son bureau, travailler. Et c’est parfois difficile, donc il faut souffrir pour être heureux ! Comme on disait aux femmes : « Il faut souffrir pour être belle ». Sur le plan neurologique d’ailleurs, pour les sensations de bonheur, il y a des zones cérébrales qui, lorsqu’elles sont stimulées, provoquent des sensations de bonheur extrême. A côté il y a des faisceaux de neurones qui, stimulés, donnent des sensations de malheur extrême. Et quand on stimule trop le bonheur, ça finit par déclencher une sensation de malheur, comme on le voit par exemple pour les enfants trop entourés, qui disent qu’ils sont malheureux parce que les parents les étouffent : « Lâche-moi les baskets maman », « Je ne peux rien faire », « Vous m’aimez tellement que vous m’empêchez de m’épanouir3…A l’inverse, il n’est pas rare de voir des gens très malheureux, qui passent soudainement à des moments d’extase heureuse : Saint-Paul, Saint-Augustin ou des conversions subites, où les gens passent du malheur extrême au bonheur extrême. Les deux sont associés. Je pense que c’est une faute d’avoir, là encore à choisir, entre le bonheur ou le malheur. Les deux fonctionnent ensemble. »

Quels comportements vous choquent le plus ?

« La perversion, c’est-à-dire le fait de vivre dans un monde sans altérité, sans autres. C’est ce qui se passe dans les régimes totalitaires, où on ignore qu’il existe d’autres cultures, ce sont des perversions sociales. C’est ce qui se passe chez les pervers sexuels, où l’autre n’est pas un, une partenaire, mais un objet de jouissance. C’est ce qui se passe quand on vit au contact des pervers, qui vous détruisent sans aucune culpabilité. »

La capacité de résilience est-elle donnée à tout le monde ?

« Ce n’est pas une capacité, c’est un processus. Ca fait partie des processus développementaux. S’il n’a pas de traumatisme, tout enfant se développe en affrontant les épreuves de l’existence. Quand il apprend à marcher il tombe, mais s’il est entouré il apprend à se relever, donc il apprendra à marcher. Lorsqu’il y a un traumatisme il y a un arrêt de tous les développements du psychisme, on le constate en neurologie et en psychologie sans difficulté. Et si le traumatisé est entouré, il pourra reprendre non pas son développement, mais il pourra reprendre un autre type de bon développement, que l’on appelle résilience. C’est un processus dynamique qui évolue, est interactif, dépend beaucoup de nos rencontres, ainsi que des gens qui entourent le traumatisé. »

Lorsque l’on évoque l’éventualité d’émotions chez la gent animale, souvent il y a une levée de boucliers. Quelle est votre position ?

« Les gens qui lèvent des boucliers manifestent, prouvent leur ignorance. Les animaux ont le même système neurologique des émotions que les êtres humains. Ils secrètent les mêmes substances pour déclencher des émotions ou pour les apaiser, exactement comme les êtres humains. Ce sont les mêmes médicaments qui vont les sécuriser ou les rendre agressifs, comme les êtres humains. En revanche, ils n’ont pas forcément le même cortex, ça dépend des espèces, certaines ont un cortex très proche du nôtre, comme les mammifères supérieurs, comme les grands singes. Ils n’ont pas la parole, même s’ils commencent à y avoir accès, les chiens peuvent comprendre deux cents ou trois cents mots, ce qui est énorme, mais ils n’ont pas la double articulation. Donc les gens, au lieu de lever les boucliers, feraient mieux d’ouvrir des bouquins, de lire des articles élémentaires sur les émotions animales. »

 

Renseignements/Réservations :

Coût de la place : 15,00 euros, tarif réduit : 10,00 euros. Office de Tourisme et des Congrès du Grand Chalon, 4, place du Port Villiers : 03.85.48.37.97 ; librairie La Mandragore, 3, rue des Tonneliers : 03.85.48.74.27 Réseaux Ticketnet et Fnac/billetel

 

Crédit photo : © DRFP pour le portrait de Boris Cyrulnik

                                                                                               Michel Poiriault

                                                                                               [email protected]