Faits divers

ASSISES DE SAONE ET LOIRE : Tentative d’homicide sur un vigile à Chalon-sur-Saône - « C’est un vol qui a mal tourné »

ASSISES DE SAONE ET LOIRE : Tentative d’homicide sur un vigile à Chalon-sur-Saône -  « C’est un vol qui a mal tourné »

La météo fut mauvaise sur Chalon, en décembre 2019, sans toutefois de gelée le 24 décembre, sauf pour ce vigile des Galeries Lafayette évacué en début d’après-midi : attaqué au couteau, blessé à une main et à la gorge.

Son agresseur était venu pour voler. Il voulait offrir un parfum à sa compagne, dit-il. Il portait un sac spécialement aménagé pour franchir les portiques de sécurité : un sac tapissé d’aluminium. Que lui a-t-il pris de dissimuler le flacon volé dans son écharpe pour tâcher d’en ôter l’antivol en se dissimulant dans une cabine d’essayage pour hommes ? L’agent de sécurité l’avait vu faire sur les écrans de vidéosurveillance et l’attendait dans l’escalier. Voyant l’homme, il le saisit par le bras. L’autre, condamné pour des vols et sachant en sursis et en tous cas dans les radars forces de l’ordre/justice, veut se dégager. « Si tu ne me lâches pas, je te saigne. » Et il le fait. Il arme son bras et frappe, une fois, deux fois. Le vigile saigne mais les hommes ne se lâchent pas. Il est bien possible que le blessé doive la vie à un gendarme qui fait alors des courses, et qui, entendant crier, s’approche. Il voit l’homme porter un coup de couteau à la gorge de l’agent de sécurité, il voit le sang couler en abondance, il voit aussi l’agresseur tenter de porter d’autres coups de couteau au vigile.

Il était venu pour voler, il est jugé pour tentative d’homicide

Alors il intervient. Il met son brassard et sort son arme de service*. « Gendarmerie ! Pose ton couteau ! » L’agresseur le pose. Le gendarme lui fait l’injonction de se rendre, l’homme finit par s’allonger au sol. Les secours arrivent pour le vigile, la police arrive pour arrêter l’agresseur. Il est né dans le Doubs en 1981, il est connu pour des vols et des violences, il fut toxicomane, se drogue toujours un peu mais a su se débarrasser de l’héroïne. Ce 24 décembre 2019 à Chalon, il était venu du Creusot, où il vivait chez sa compagne, pour voler. Il était venu pour voler, mais il est jugé cette semaine du 3 au 6 mai 2022, par la Cour d’assises de Saône-et-Loire, pour tentative d’homicide volontaire, ayant porté plusieurs coups de couteau à cran d’arrêt sur un homme qui finalement s’en est sorti, la plaie à la gorge n’ayant causé qu’une blessure ô combien impressionnante mais superficielle. Des sutures, une opération chirurgicale pour sa main, 66 jours d’ITT au final.

« Pour un parfum, j’aurais pu mourir », a pu dire l’agent de sécurité

Il arrive souvent que des prévenus commettent une cascade d’infractions pour échapper à un contrôle ou pire, à la simple vue des uniformes, parce qu’ils ont eu peur. Celui-ci se trouvait dans ce cas : fraîchement condamné à 5 mois d’emprisonnement pour des faits de vols et de menaces de mort (à l’encontre d’autres vigiles sur le Creusot), il a voulu échapper aux conséquences de ses actes, et le voilà détenu depuis fin décembre 2019 (d’abord il a exécuté la peine de 5 mois puis est passé sous le statut de la détention provisoire), et le voilà mis en accusation devant une Cour d’assises. A quoi tiennent les choses, n’est-ce pas ? « Pour un parfum, j’aurais pu mourir », a pu dire l’agent de sécurité. « Pour éviter l’état de récidive légale, j’encours la peine de 30 ans de réclusion criminelle » pourrait dire l’accusé qui récuse toujours avoir eu l’intention de tuer la victime. Point délicat car s’il n’en a pas eu l’intention, cela aurait bien pu arriver. Il ne faut pas frapper les gens dans des zones vitales quand on veut préserver leurs vies. Il ne faut pas frapper tout court, mais ça…

« Le problème qui nous occupe depuis mardi, monsieur : la violence »

Ça, l’accusé l’a vu faire, enfant. Son beau-père frappait sa mère quand il était soul. Et pourtant, ce fait indiscutable, il ne le reconnaît pas devant l’expert psychiatre. Il sait que c’est arrivé, mais ne parvient pas à le dire. « On bloque à nouveau sur le problème qui nous occupe depuis mardi, monsieur : la violence » lui dit la présidente Caroline Podevin qui ne cesse de le confronter, parfois rudement, pour fendiller la coquille dans laquelle cet homme s’est enfermé pour vivre. Le docteur Canterino, expert psychiatre, en a dit quelque chose, ce jeudi après-midi, car la magistrate s’agace de se heurter à une forme de déni qui n’est jamais bonne pour quiconque, et encore moins quand il va falloir fixer une peine adaptée non seulement à la gravité des faits mais aussi à la personnalité de l’auteur des faits. C’est que celui-ci est décrit comme plutôt gentil, un rapport des services pénitentiaires écrit qu’il ne pose pas de problème, qu’il travaille, qu’il se comporte bien. Sauf lors d’un incident, sur lequel la présidente s’arrête, pour le décortiquer comme un petit coquillage qui contiendrait une clé.

Un incident en détention – Portrait de l’univers carcéral

L’accusé, incarcéré au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand, était logé à l’étage réservé aux personnes vulnérables, « du coup il était avec les pointeurs », explique la présidente à l’intention des jurés, histoire qu’ils se représentent les choses. Caroline Podevin dessine à grands traits la hiérarchie qui se dessine dans l’univers carcéral, comme dans une micro-société. « Le pacha, le noble, c’est le braqueur. » Et puis, tout en bas de l’échelle, la lie : « Les violeurs d’enfants, les abuseurs d’enfants, sont considérés comme les pires des pires. Du coup, on les isole. Ils nécessitent une mesure de protection particulière. » Or un jour, on vient annoncer à l’accusé qu’il va changer de cellule. « Ils voulaient me mettre avec un violeur d’enfant ! » Le détenu se cabre, il refuse. « J’ai une fille, je ne veux pas être avec quelqu’un qui viole les enfants alors que moi je mets des photos de ma fille au mur. » Il refuse, sort une lame de rasoir, se taillade les avant-bras. Les surveillants le somment d’arrêter, alors la menace fuse : « Si vous entrez, je vous coupe le bras. » Il recommence à se scarifier. Il est placé au mitard.

« Le problème central, c’est l’addiction »

« La drogue, ça coûte cher, à tous points de vue », dit le docteur Canterino pour qui les faits du 24 décembre 2019, « c’est un vol qui a mal tourné. Il n’est pas entré dans le magasin pour agresser le vigile. » L’accusé avait pris de la cocaïne l’avant-veille. Le psychiatre relève « des niveaux de carence élevés ». Carence majeure de l’image paternelle (il n’a jamais connu son père biologique, fut élevé par un homme qui buvait et frappait sa mère, ndla), un niveau intellectuel peu élevé mais cependant un parcours de formations et d’expériences professionnelles tout à fait respectables et puis : l’addiction. « Le problème central, c’est l’addiction. Il faudrait une injonction de soins. Obliger quelqu’un qui est malade à se soigner, ce n’est pas lui faire grand tort. » Le regard du médecin sur l’addiction n’est pas superposable à ce qu’on entend hélas encore en audience correctionnelle, du type « personne ne vous force à boire » … C’est pas faux, mais c’est pas vrai pour autant.

« C’est une catastrophe à tous points de vue »

« Il n’y a aucune raison rationnelle à la conduite addictive, explique l’expert. L’addiction relève d’une problématique interne, on ne devient pas toxicomane ou alcoolique à cause d’un chagrin d’amour. C’est une maladie endogène qui concerne des gens mal structurés qui ont peur du risque d’un effondrement dépressif majeur. Alors ils recherchent la sédation ou l’excitation. En revanche, cela a un gros impact sur la vie et sur les autres, c’est une catastrophe à tous points de vue. » La présidente revient sur les faits et la position de l’accusé : « Il dit que de frapper au cou, ça a été un geste involontaire. Il n’arrive pas à se reconnaître dans une image violente. » Réponse du médecin : « S’il le reconnaissait, il ne serait plus violent. Ce n’est pas un problème de mauvaise foi, c’est qu’il a du mal à se le représenter. » Laurent Maréchal, avocat de la partie civile, interroge l’expert sur le lien qu’on peut faire entre « l’impulsivité et le passage à l’acte ». Réponse : « Les gens impulsifs qui vont passer à l’acte, le font à cause d’un sentiment de frustration. Ils n’arrivent pas à gérer le conflit, ou la différence. » Le psychiatre parle d’état-limite chez l’accusé.

Qu’il bouge un peu ! (Dans son intérêt et celui des autres)

La présidente sort les banderilles pour que l’accusé, 41 ans aujourd’hui, un homme massif (il a pris 20 kg en prison, ndla), cheveux rasés en repousse, chemisette blanche aux manches courtes qui pâlit encore son teint de papier mâché, pour que l’accusé, donc, sorte un peu de son ornière. Ouvre un peu les yeux, l’esprit, donne à voir un autre chemin pour lui… « Alors, monsieur ! Deuxième expert ! Impulsivité ? Oui ! Dans le passage à l’acte ? Oui ! Ne se reconnaît pas dans cette violence ? Oui ! Alors ?
L’accusé : S’ils le disent, c’est qu’ils ont raison, il faut que je me fasse soigner.
La présidente : Vous voyez bien que vous ne pouvez pas aller chercher des explications et des responsabilités ailleurs qu’en vous !
L’accusé : Oui. »

Sa première compagne, si touchante 

Ce matin, sa première compagne était à la barre. Elle racontait son amour, leur vie commune, ce bébé désiré vite arrivé, leur joie. Mais ce compagnon qui avait vécu jusque là en milieu rural, découvrait la vie dans une cité du Creusot (cités dans lesquelles des tas de gens mènent leurs vies de façon tout à fait bonnes, précise la présidente), découvre l’héroïne et plonge. Les fournisseurs, le fric, la violence inhérente à ce milieu : il a sans doute monté d’un cran dans la banalisation des rapports violents. La femme à la barre raconte comment il devenait violent quand il était en manque, comment il lui volait des sous pour sa came, comment il la frappait parfois. Mais elle dit aussi qu’il s’occupait bien du bébé, qu’il en prenait soin. La compagne a fui le domicile, aidée par sa sœur, « en catimini », au bout d’un an, mais elle a toujours respectée la relation du père avec sa fille. « Quel intérêt aurait madame à dire que vous étiez violent avec elle si ce n’était pas vrai, puisqu’elle dit par ailleurs des choses positives sur vous ? » L’homme répond : « Être violent verbalement, je le reconnais. Mais je n’ai jamais levé la main sur une femme. » Légère moue de la magistrate.

« Cette violence, elle s'est bien exprimée le 24 décembre 2019, monsieur ?
- Oui.
- Alors, cette violence, on en fait quoi, monsieur ? »

Florence Saint-Arroman 

Demain vendredi 6 mai, maître Maréchal portera la parole de l'agent de sécurité, Anne-Lise Peron, avocat général, prendra ses réquisitions, maître Costa plaidera pour l'accusé. Verdict attendu en fin de journée. 

* « Ainsi, de jour comme de nuit, en cas de nécessité le policier ou le gendarme peut être appelé à exécuter une mission, notamment pour répondre aux exigences de l'article R434-19 du code de la sécurité intérieure : "Lorsque les circonstances le requièrent, le policier ou le gendarme, même lorsqu'il n'est pas en service, intervient de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger". »
Depuis les différents attentats qui ont eu lieu sur le territoire français, des dispositions légales permettent aux gendarmes d'être porteurs de leur arme de dotation, y compris hors service (ndla).