Chalon sur Saône

TRIBUNAL DE CHALON - Il est 23h15, le 24 novembre dernier à Chalon, quand une patrouille de police voit qu’une 308 refuse la priorité à un autre conducteur.

TRIBUNAL DE CHALON - Il est 23h15, le 24 novembre dernier à Chalon, quand une patrouille de police voit qu’une 308 refuse la priorité à un autre conducteur.

Sous stups et sans permis. Ça marche sur l’air de « Tout nu et tout bronzé » mais sans le côté estival : le temps est gris, et le conducteur l’était aussi, en plus. Il est jugé ce jeudi 14 décembre en comparution à délai différé.

Le prévenu est en détention provisoire depuis le 26 octobre. Il fallait le temps que les prélèvements soient analysés. Le cadavre dans sa voiture n’était heureusement que celui d’une bouteille de Vodka mais c’était en fait la voiture de sa sœur, empruntée -pour aller s’acheter des clopes, dit-il -  à son insu par son frère un peu sans gêne, d’autant plus que son permis est annulé depuis 2 ans. 

Le voilà à l’audience, mine basse, en retrait, qui donne des réponses à voix presque basse. Son avocat lui-même témoignera auprès du tribunal que le temps de parloir de la veille fut morne et mutique. Le jeune homme est âgé de 25 ans, il vit à Crissey.

« Depuis que j’ai perdu un ami, dans un accident de la route »

Il est 23h15, le 24 novembre dernier à Chalon, quand une patrouille de police voit qu’une 308 refuse la priorité à un autre conducteur. Contrôle. Le conducteur en infraction obtempère sans difficulté. Cannabis et alcool. « Un vrai problème » dit le jeune homme au cours de sa garde à vue. Depuis quand s’est-il mis à boire de façon alcoolique ? lui demande le président Marty. « Depuis que j’ai perdu un ami. Dans un accident de la route. »

Contradiction

Le président s’engouffre dans la contradiction : si monsieur ne parvient pas à faire face, à accepter, ce décès brutal d’un ami, donc d’un homme aussi jeune que lui, est-il conscient qu’en conduisant avec un état de conscience et de réflexes altérés et dégradés, il met en danger lui-même et les autres ? Qu’il produit des conditions susceptibles de causer la mort ?

« Vous êtes sûr ? (un ton au-dessus) »

« J’étais pas conscient – Vous êtes sûr ? (un ton au-dessus) – J’ai pas réfléchi. » Il ne fait pas les liens, pris dans sa dépression personnelle, coupé de la collectivité et du code de la route, et du code pénal. Si le président hausse vite le ton, c’est que ces infractions ont été commises pendant une mesure de probation. En 2021, le prévenu a 23 ans, il est condamné pour usage de stups et conduite sous stups, sursis probatoire pendant 2 ans.

Hiatus

Il est alors suivi par le service pénitentiaire d’insertion et de probation, le SPIP, dont le rapport de fin de mesure rapporte les dires du prévenu : il peut désormais rester « longtemps » sans prendre de drogue. Alléluia. Sauf que ses dires à l’audience font état du contraire : un à deux joints par jour. Le président est par ailleurs juge de l’application des peines : obtenir un rapport positif en racontant des cracks, c’est pas du jeu.

« De sortir, de faire du sport, … » 

C’est d’autant moins du jeu qu’en réalité il n’a pas tenu l’obligation de soins jusqu’au bout. Dernier rendez-vous en janvier 2023, pour une fin de mesure le 9 décembre… « ça ne m’aidait pas vraiment » dit sincèrement le prévenu. C’est sûr que si son problème vient essentiellement d’une dépression liée entre autres à un refus de la réalité (on vit et on meurt, y compris parfois jeune, et c’est révoltant mais c’est comme ça, en dépit des immenses douleurs que ça génère), le discours d’un addictologue est inopérant. D’ailleurs ça n’a rien changé. Quels conseils lui donnait l’addictologue ? « De sortir, de faire du sport, … »

S’en sortir… de quoi exactement ?

Les addictions du prévenu aux toxiques censés lui rendre la vie et ses lois supportables ne datent pas d’hier. A son casier 4 condamnations toutes en rapport avec l’alcool et/ou les produits stupéfiants. Cette année, c’est la première fois qu’il est incarcéré et « ça ne se passe pas très bien, je veux vraiment m’en sortir ». S’en sortir, de prison. S’en sortir, de la conduite qui l’a mené en prison. S’en sortir, de cet état dépressif et passif ? S’en sortir, de cette souffrance ? S’en sortir, de ses dépendances (aux toxiques, à l’institution, à quoi d’autre ?) ?

« Visiblement monsieur ne comprend pas qu’il n’a pas le droit de »

« Visiblement monsieur ne comprend pas. Il ne comprend pas qu’il n’a pas le droit de conduire quand son permis est annulé, pas le droit de conduire quand il a trop bu, pas le droit de consommer des stupéfiants. » La substitut du procureur remplit son office. Elle récapitule les amendes restées impayées, l’obligation de repasser le permis de conduire restée lettre morte, l’obligation de soins pas respectée jusqu’au bout (« Vous êtes au courant que quand vous avez une obligation de soins, vous n’avez pas le choix ? » demandait le président). Aussi requiert-elle une peine mixte et une révocation de sursis, pour un total de 13 mois de prison ferme avec maintien en détention.

« Il a déjà fait un mois de détention, ça a fait électrochoc »

« Il est très difficile qu’il s’ouvre et parle. Il a une problématique dépressive » plaide maître Ronfard qui voudrait que son client évite l’incarcération au motif qu’il n’a pas un profil délinquant au sens de rebelle de l’ordre établi ou d’opposant à toute forme d’autorité, non, son problème c’est qu’il est malheureux, qu’il doit fréquenter des potes à chichons et à binouzes, et que l’un plus l’autre ça fait ça : un homme éteint et comme caché au fond d’un trou. « Il a déjà fait un mois de détention, ça a fait électrochoc. Et puis les listes d’attente du KAIRN 71 en prison sont faramineuses, c’est pas là qu’on aura de solution de cette nature. On peut envisager une solution qui lui permette d’aller travailler. »

Logique drastique

Oui, on pourrait. Mais non, on ne va pas le faire, parce que la logique de l’institution judiciaire est devenue drastique : les infractions commises alors qu’on est sous main de justice se paient cher. Comme le disait une juge l’autre jour, « on n’a – dans ces conditions - pas le droit à l’erreur ». « Erreur » venant alors comme synonyme d’« infraction », choix de vocabulaire aussi discutable, au passage, que les mots des prévenus qui font venir « bêtises » à la place d’ « infractions ».

Maintien en détention

Le tribunal dit le prévenu coupable et le condamne à la peine de 12 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligations de travailler, de suivre des soins en addictologie « ou psychologiques », obligation de repasser le permis et de suivre un stage de sensibilisation à la sécurité routière, payer les 337 euros de droits fixes de procédure (c’est 127 euros la plupart du temps, mais là, le condamné doit aussi payer les analyses des prélèvements de dépistage). Maintien en détention pour la partie ferme de 6 mois.
Le tribunal révoque en outre partiellement le sursis de 2021 : 3 mois ferme de plus.
« Il faudra respecter avec davantage de sérieux vos obligations. »

FSA