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ASSISES DE SAONE ET LOIRE : « Ce qui domine, c’est une dimension d’absence d’empathie »

ASSISES DE SAONE ET LOIRE  : « Ce qui domine, c’est une dimension d’absence d’empathie »

« On est tous les deux victimes l’un de l’autre, victimes de notre amour ! » lançait dans un large sourire l’accusé, hier. Pourtant il a reconnu, avant-hier, avoir étranglé son ex-compagne, et serré au moins pendant 10 secondes, et « 10 secondes, c’est long » soulignait la présidente.

Le procès de K. X., 40 ans, avance. Il reconnaît davantage de choses qu’au début, pour autant il ne reconnaît pas tout. Les experts, psychiatre, psychologue, se succèdent à la barre et il ressort de leurs rapports comment l’accusé disqualifie son grand amour – c’est ce qu’il dit -, en toute occasion et surtout, comment il se sert des fragilités de la femme pour essayer de les retourner contre elle. 

« Je l’ai filmée », dit-il souvent, alors que c’est lui qui est accusé de tentative de meurtre sur ex-conjoint. Il filme, il enregistre, il constitue des sortes d’arguments ou de preuves - démarche déjà malsaine, d’autant qu’il justifie son comportement de contrôle d’elle, par ailleurs, en répétant « je ne supporte pas qu’elle soit salie » (en référence à une agression sexuelle qu’il a imaginée mais qui ordonne dès lors tout ce qu’il dit et fait). Donc il veut, dit-il, sauver la réputation de son ex mais la pourrit auprès des experts. Donc il s’invente un récit pour justifier ses abus, intrusions, etc., mais dit qu’il se rend chez son ex beau-père, pour que ce dernier « fasse entendre raison » à sa fille. 

Pas d’abolition ni d’altération du discernement

« Quand je le rencontre au centre pénitentiaire, le 26 novembre 2021, monsieur K. X. ne sait pas dire s’il est en couple ou pas, et il répète cela plusieurs fois », rapporte l’expert psychiatre lyonnais ce mercredi 10 mai, au troisième jour du procès. Le médecin est en visioconférence avec la Cour d’assises et que dit-il ? L’accusé ne souffre d’aucune maladie mentale, donc pas d’abolition ni d’altération du discernement. 

« Trouble de la personnalité antisociale »

Mais, si l’accusé dit encore à l’époque que madame « s’est étranglée toute seule », s’il est évasif dès qu’il s’agit de son casier judiciaire, s’il banalise ses troubles liés à la prise de toxiques (héroïne, cocaïne, cannabis, alcool - il dit ne plus consommer, il est suivi depuis 2013 car on lui délivre de la méthadone, mais un message via Signal dans son téléphone datant de mai 2021, dit « J’ai 140 grammes de blanc et je te fais un prix si tu prends tout », ...) ...

« L’absence d’empathie, prime »

...bref, si monsieur K. X. charge madame pour se décharger c’est qu’il présente, selon l’expert psychiatre, « un trouble de la personnalité antisociale » caractérisée entre autres par les traits suivants, que l’expert psychiatre détecte chez l’accusé : manque d’empathie, personne autocentrée, défaut de contrôle des impulsions. « Ce qui domine, c’est une dimension d’absence d’empathie. Il est centré sur lui-même, il ne tient pas compte du psychisme d’autrui. »

« Des éléments de dangerosité criminologique »

Ce trouble peut conduire à « une certaine dangerosité » dit l’expert, pas psychiatrique mais criminologique. « On a des éléments de dangerosité criminologique : violence, toxicomanie, instabilité, attribuer à l’autre ses responsabilités à lui, absence d’auto-critique. » Du coup, la personne qui présente ce profil ne va pas chercher les soins, elle ne dit pas « j’ai un problème et j’en souffre », par conséquent « les réussites thérapeutiques sont très faibles ». 
Ce qui pour nous semble « délirant » dans ce que raconte l’accusé, l’est donc au sens commun du terme mais pas au sens psychiatrique, ce qui ne sera pas sans conséquence sur la peine (il a reconnu avoir étranglé la victime, jusqu’à l’évanouissement - lui, dit qu’il l’a mise à terre en la balayant mais enfin, il ne conteste pas être l’auteur des marques impressionnantes sur le cou de la femme) si la Cour le dit coupable, en tout ou en partie. 

Alcool et stupéfiants peuvent-ils changer le comportement d’un homme ? « Non »

« Est-ce que la prise de toxiques (drogues, alcool) peut changer réellement le comportement d’un homme ? » demande la présidente. L’expert est catégorique : « Non. Monsieur était quelqu’un de fragile. Les toxicomanes, quand ils vont mal, choisissent d’absorber un faux médicament, de la drogue ou de l’alcool… Monsieur a d’abord un trouble de la personnalité, et au lieu de se faire soigner, il se ‘traite’ avec des substances. Cela peut sembler marcher au début, mais ça ne marche pas car ça aggrave le trouble. »

Un moment sidérant

La défense a fait citer, pour l’accusé, un de ses frères et une de ses sœurs. L’accusé est le dernier d’une fratrie de 5 enfants. Pas sûr que cela ait servi à grand-chose si ce n’est à donner à entrevoir une famille, qui, comme beaucoup d’autres, ne parle pas et recule devant la pensée du crime. C’est un constat, rien d’autre, cela n’a hélas rien d’exceptionnel, mais tout de même tout le monde fut saisi quand un des frères aînés, à la barre, eut un choc auquel il était impossible de s’attendre.

« Pour moi c’est une très bonne personne », « il est humble et généreux ». La présidente demande au frère aîné : « Qu’est ce que vous pensez du fait que votre frère soit là pour tentative de meurtre ? » Stupeur du témoin : « Ah bon ? » … 
Quant à sa sœur aînée, elle dit seulement : « Si c’est vrai, je ne cautionne pas, mais j’ai du mal à l’admettre ». 
Pas un mot ne dépasse, circulez.

Les enfants, victimes collatérales

Il est question des neveux et nièces, les enfants de l’accusé et de la victime, coupés de leur famille paternelle depuis les faits. Un peu de sidération aussi, quand le frère, âgé de 46 ans, répond à maître Girardot qui lui dit qu’il ne lui est pas interdit de voir les enfants : « Oui, si on me donne l’autorisation ». Ces enfants-là, tout le monde dit les aimer mais ils sont victimes eux-aussi des inconséquences – voire pire - de tous ces adultes.

Les armes cachées sous le sommier du lit conjugal

La présidente a fait écouter l’appel du père de la victime aux gendarmes, on y entend l’accusé hurler « Tais-toi !, Assieds-toi !, Dis-lui… ! ». Puis on a vu une petite vidéo que l’accusé avait lui-même tournée, avec son téléphone. Il filmait ses armes, arbalète posée au sol, pistolets et carabines cachées… sous le sommier du lit du couple, au moment où il était retourné vivre chez son ex-compagne et leurs enfants.

On retrouve la question de la personnalité antisociale 

En fin de journée, la présidente réinterroge l’accusé sur ce qui a été dit. Puis maître Mirek – qui intervient pour le père de madame, lui aussi victime de violence (que l’accusé conteste toujours), maître Girardot – qui assiste la victime -, posent des questions, auxquelles, comme hier, l’accusé oppose son droit au silence. 
C’est le tour de madame l’avocat général. Elle confronte encore l’accusé à ses déclarations changeantes, et celui-ci s’emballe une dernière fois : « La violence, tout ça, je la reconnais, c’est bon ! Mais… » mais il veut être entendu sur le combat qu’il a fait sien dans un contexte ô combien envenimé, en omettant un élément qui compte : la loi. Il est jugé par une Cour d’assises, soit trois juges et six jurés, mais à aucun moment la loi ne fait limite, tout comme elle ne l’a pas fait le 13 juin 2021.

FSA