Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Depuis sa naissance en 1959, il a déjà purgé 40 années de prison

TRIBUNAL DE CHALON - Depuis sa naissance en 1959, il a déjà purgé 40 années de prison

C’est un grand type. Un grand gars aux traits tirés dont la présence dans le box en ce lundi 12 novembre de comparution immédiate suscite un peu d’émoi, car ce n’est pas n’importe qui, et pourtant il comparaît pour n’importe quoi.

Qu’on en juge : hier à l’aube, la police est alertée car un véhicule est à l’arrêt sur le bas-côté d’une route, à Saint-Marcel. Les policiers trouvent son conducteur endormi sur son siège, la clé de contact dans la main. Ethylotest : 1.72 gramme d’alcool par litre de sang. Le conducteur est en état de récidive légale, mais il est aussi un ancien grand prisonnier. « Votre situation pénale est assez particulière, si je peux me permettre », glisse la présidente Verger. « C’est un personnage, dira le substitut du procureur, Dominique Fenogli. On arrive à plus de 40 années de prison, en cumul de peines. Je suis embêté pour requérir, car quand on voit le casier, on ne peut plus graduer. »

La prison : toute sa vie jusqu’à il y a peu

E.M. est né à Lyon en 1959, et dès ses 20 ans ouvre une voie qui va radicalement déterminer son existence. Vol, pour commencer. Puis « proxénétisme » : il avait épousé une prostituée lyonnaise dont les revenus amélioraient nettement leur quotidien sans qu’il soit précisément son maquereau, si l’on en croit son avocat. N’empêche, c’était un milieu, à Lyon, à l’époque, et de vol en braquage, E. M. sera jugé trois fois aux Assises (12 ans de réclusion, 13 ans, 8 ans). A sa dernière sortie de prison, pause. Longue pause, et puis des conduites sous l’empire de l’alcool (2012, 2016). Le voici à nouveau entre trois policiers. Il est fatigué. Il y a de quoi : purger sa biture en garde à vue, être déferré, puis être jugé, le tout en moins de 48 heures. Encore, encore une fois.

« C’est un zombie qui conduit de Chalon à Saint-Marcel, donc il était dangereux »

Avec un casier comme le sien, il n’a qu’une seule peur : retourner à la rate. « Ça fait 8 ans que j’ai tourné le dos au monde carcéral. Je n’ai pas envie du tout à mon âge d’y retourner. Je suis prêt à accepter une peine, mais dehors. Je ne veux pas perdre mon travail. » La présidente Verger entend bien et le comprend, mais enfin il a une fois encore été pris au volant, bourré au point de s’endormir. « Il avait la clé dans la main : il s’était arrêté, il avait stationné », le défendra maître Guignard. « C’est un zombie qui conduit de Chalon à Saint-Marcel, requiert le procureur, donc il était dangereux pour les autres. » Il demande une peine de 18 mois de prison dont 6 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans, et un mandat de dépôt. Le prévenu a baissé la tête, et on croit entendre Chéri-Bibi murmurer « fatalitas ».

E.M. a eu une chance : sa femme

Un film est sorti cette année, qui parle et fait parler, surtout, ceux qu’on appelle « les longues peines ». Il s’appelle « Après l’ombre ». A quoi ressemble la vie, à quoi ressemblent un homme, une femme, qui se retrouvent « dehors », après avoir passé tant d’années « dedans » ? La prison, ça marque, et pas seulement l’esprit, ça prend dans le corps tout entier. E. M. a eu une chance : une femme. Il s’est remarié en prison, et elle est là, elle a toujours été là, « elle a toujours veillé à sa réinsertion » raconte maître Guignard qui va emmener le tribunal visiter un peu la vie de cet homme au profil « atypique », parce qu’il le connaît bien.

« Il est gentil, humain, attachant »

« Je le connais depuis 30 ans. Il est gentil, humain, attachant. S’ils étaient tous comme E., disaient les surveillants de prison, on ferait un métier merveilleux, parce qu’il est respectueux. Il n’a jamais eu le moindre incident en prison, et à son casier : aucune atteinte à la personne ! lance l’avocat au tribunal en levant son index pour souligner ce fait, important. En centrale il va rencontrer un mauvais génie, un homme qui fera des années en quartier de haute sécurité et qui à sa sortie lui demande un service, un dernier service pour l’aider à prendre de l’argent. C’est le braquage du Crédit Lyonnais boulevard de la République à Chalon, mais lui, il fait le guet, uniquement le guet. Ils ne tireront pas un centime de l’opération, mais ça fera son troisième procès aux Assises. »

« Leur mariage fut extraordinaire, mais d’une tristesse infinie aussi »

« C’est un homme extrêmement attachant. C’est un bon mari, un bon grand-père pour les petits enfants de sa femme. C’est un homme de 59 ans qui souffre aujourd’hui de se retrouver dans le box, devant sa femme, pour une bêtise. Leur mariage fut extraordinaire, mais d’une tristesse infinie aussi. J’étais son témoin. On a fêté ça autour d’un Orangina. A sa libération elle était là, et depuis qu’il est avec elle il n’a jamais replongé. » En audition, E. M. a dit « le souci c’est que quand je mets le nez dans l’alcool, je ne peux pas m’arrêter ». Il a déjà eu un suivi dans les locaux de la Sauvegarde, eh bien il va y retourner.

1 an de prison ferme et un SME de 2 ans

Le tribunal le condamne à 18 mois de prison dont 6 mois assortis d’un sursis mis à l’épreuve de 2 ans, avec obligation de travailler, de suivre des soins, et de faire « à vos frais » un stage de sensibilisation à la sécurité routière. Le tribunal constate l’annulation de son permis de conduire, il ne décerne pas de mandat de dépôt. Echec à Fatalitas… il s’en est fallu de peu.

« La politique pénale de ce parquet est claire : peines dissuasives contre les conducteurs alcoolisés », avait rappelé le procureur, « peine hors de proportion, avait plaidé l’avocat : elle tient trop compte de son casier. »

Florence Saint-Arroman