Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Il comparaît, parce que le 24 mars dernier, il a eu un accident, sans autre victime que lui-même, mais...

TRIBUNAL DE CHALON - Il comparaît, parce que le 24 mars dernier, il a eu un accident, sans autre victime que lui-même, mais...

L’homme qui s’avance à la barre, en cette fin de journée du jeudi 29 avril, se retrouve « seul, comme un con », comme il le dit. Dans la salle, sa curatrice. Bénie soit-elle de l’avoir accompagné, parce qu’il est seul, qu’il n’a plus le droit de conduire, et qu’il vient de Louhans.

Les gendarmes l’ont fait souffler dans l’éthylotest : positif. L’éthylomètre a ensuite donné la mesure : 2,10 grammes d’alcool par litre de sang. « Oui c’est vrai, dit l’homme à la barre. – Oui, c’est vrai, lui répond en écho le président Dufour, et c’est beaucoup. » A vrai dire la question des faits s’arrête là. Il avait bu, il a décidé d’aller faire des courses, mais le soleil l’a ébloui. Il s’est accidenté lui-même, « comme un con ». Il n’a plus de voiture, son permis est suspendu, fin du chapitre.

Il s’était « arrêté de boire pendant 6 ans ! ». Mais

L’histoire, elle, semble longue comme un jour sans un pain, ou comme une mort lente, comme un goutte à goutte indifférent à tout qui remplit la clepsydre qu’est sa vie, sa vie d’homme esseulé, qui regarde sa vie gâchée, et qui ne saurait vivre en y pensant toujours, alors…  A son casier 11 mentions, dont pas mal de conduites sous l’empire de l’alcool, puis de conduites malgré l’annulation de son permis, puis on repart pour un tour. Il a fait trois cures de sevrage, et il s’était « arrêté de boire pendant 6 ans ! ». Mais.

Un, deux, trois

« Ben ça m’arrive de boire un coup.  – Boire un coup, c’est quoi ? – Deux, trois bières. – Vous ne pouvez pas vous limiter à une ? – Si, je peux tenir deux-trois jours sans boire. Comme je touche 70 euros par semaine, faut que j’achète à manger, et du tabac, parce que je fume. Comment voulez-vous que j’achète de l’alcool ? J’ai pas les moyens. Si j’ai 1.50 euro, j’achète une bière. » Une bière, ou deux-trois, tous les deux-trois jours. Comme si dans la clepsydre, il y avait désormais un pendule, rythmant un « deux, trois ». Mais.

« Seul, comme un con », et ça lui pèse

Mais il boit forcément tous les jours, a minima, parce qu’à ce stade, l’ennemi c’est le manque. Il a passé une expertise psychiatrique, obligatoire pour les personnes vivant sous une mesure de protection civile (d'où le délai avant le jugement). « Traits de personnalité antisociale, vraisemblablement aggravés par l’alcool » écrit le psychiatre. Dans le cas du prévenu, ça se dit « seul, comme un con », et ça lui pèse. L’expert relève qu’il manifeste des regrets, « mais pas de culpabilité et de honte », « il n’a pas d’empathie pour la victime » … « Y en n’a pas ! s’exclame le président. – Ben, si, dit l’homme à la barre. » Si, y a lui.

Il a la trogne qu’ont tous les grands alcooliques, et une santé qui défaille, elle aussi

Il a subi des sévices, enfants. Son père était alcoolique et violent. Et sur son lit de mort, pas fichu d’être aimant, il balance à son fils : « Tu m’as déçu. » Et bonne chance, garçon, bonne route ! L’homme qui se tient à la barre a la trogne qu’ont tous les grands alcooliques, comme si l’alcool en excès se logeait dans la peau, la boursouflait. Il n’est pas grand. Il souffre d’emphysème et d’asthme. Il a 48 ans et il crève de malheur, aussi. Il est père de trois enfants (âgés de 15 à 21 ans). Divorcé. Sa première condamnation pour conduite sous l’empire de l’alcool date de 1995.

« Avec les 70 euros, vous arrivez à vous nourrir correctement ? »

« J’ai failli perdre ma mère, mon ex-femme m’a quitté, je ne vois plus mes enfants. Je me retrouve comme un con, et je réfléchis. Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. » Avant, il avait une activité d’entrepreneur, « je payais le RSI, avant ». Maintenant il perçoit une pension d’invalidité et l’allocation pour adultes handicapés, et avec ça il doit vivre avec 70 euros par mois. Il a un dossier de surendettement.  « Avec les 70 euros, vous arrivez à vous nourrir correctement ? s’enquiert le président. – Je ne mange presque pas, monsieur. » Il n’a jamais mangé à midi, dit-il.

« J’aimerais bien que mes enfants aient une autre idée de moi ! »

Ce n’est pas son budget contraint qui le taraude. Ce qui le mine c’est de vouloir arrêter de boire et de ne pas y parvenir. Ce qui le ronge, c’est que « j’aimerais bien que mes enfants aient une autre idée de moi ! » Le parquet requiert une peine de 12 mois de prison dont 6 mois seraient assortis d’un sursis probatoire de 2 ans, avec des soins (addictologie, et psychologiques) et l’obligation de se former ou de travailler. Le prévenu précisera plus tard, quand il aura la parole, qu’il ne peut plus travailler, « et puis j’ai plus ma tête, je sais plus où j’en suis ».

« Je sais que j’ai tort, je sais que j’ai un casier judiciaire, je sais que j’ai tort »

Maître Vaucher commence sa plaidoirie de la façon la plus pertinente qui soit après cet aperçu de l’histoire : « Que dire ? » L’avocat reprend les éléments saillants : l’enfance maltraitée sous les coups d’un père qui lui-même se perdait (et donc quel père ?), « le reflet d’une misère sociale » (ou son incarnation, ndla). « Un pauvre hère ». Un pauvre diable, oui, qui veut prendre ses responsabilités « je sais que j’ai tort, je sais que j’ai un casier judiciaire, je sais que j’ai tort », mais qui échoue avec elles contre un poteau ou dans un fossé. Il veut repartir en cure de sevrage et il voudrait tellement que ça soit la der, que plus jamais il ne verse de gouttes dans sa clepsydre.

« Donc : des soins, des soins, et rien que des soins »

Le tribunal le déclare coupable et le condamne à une peine de 8 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire de 2 ans, avec une obligation de soins (alcool, et psycho) ; constate l’annulation de son permis, et lui impose, le jour où il pourra à nouveau conduire, l’usage d’un EAD (éthylotest anti-démarrage) pendant 3 mois.
« Donc, conclut le président : des soins, des soins, et rien que des soins. » L’homme écarte légèrement les bras, dans un geste d’impuissance que son avocat avait eu quelques minutes auparavant : « C’est ce que je fais. »

Florence Saint-Arroman