Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « C’est compliqué la vie ! C’est pas si simple ! »

Par Florence SAINT-ARROMAN

Publié le 18 Janvier 2022 à 10h58

TRIBUNAL DE CHALON - « C’est compliqué la vie ! C’est pas si simple ! »

« Ni avec toi, ni sans toi » : ce terreau tragique colore un peu cette relation née en mai dernier, qui s’achève à l’audience de comparutions immédiates de 17 janvier. Dans le box : madame.

Elle se tient sur le seuil de ses 50 ans, vêtue d’une veste rose, les yeux soulignés de deux grands cernes, le visage, ou plutôt ce qu’on en devine (puisque désormais on ne voit plus les visages, ce qui est fort dommageable), abattu. C’est qu’il est difficile de comparaître d’une manière générale, mais encore plus quand on arrive, entravée, dans le box, encadrée par une escorte, alors que la salle est plutôt remplie (de cela aussi on a perdu l’habitude) et que c’est la première fois qu’on rencontre la justice pénale.

Des voisins

Cette femme fut mariée, elle est mère de famille. Maître Maréchal, qui l’assiste, s’est occupé de son divorce il y a peu. L’avocat rapporte que l’ex-mari de la prévenue parle d’elle comme d’une femme dévouée à sa famille, qui fait passer les autres avant elle, une femme tranquille, une femme pas spécifiquement violente. Or, voici qu’elle est jugée pour des violences sur son copain. Un homme qui vit dans la même rue qu’elle, dans un village au sud de Tournus. Un homme « au verre facile », dit l’avocat, et à l’insulte facile, répète la prévenue tout au long de l’instruction, un homme qui n’a pas voulu déposer plainte, qui est présent, assis au fond de la salle, mais qui ne dira rien.

« Hystériques et alcoolisés »

Ce dossier ressemble davantage à une histoire de violences réciproques qu’à l’affaire d’une « tarée » qui picole trop et qui frappe son copain sans raison, mais c’est elle qui est dans le box parce que, placée sous contrôle judiciaire le 1er novembre dernier, elle n’a pas respecté l’interdiction de contact avec monsieur. Elle ne l’a pas respectée du tout, au point que les gendarmes ont dû intervenir au domicile de monsieur pendant la nuit de Noël. Ils étaient tous deux « excités », exactement comme lors de la nuit du 24 au 25 octobre, fait poursuivi. Un peu après minuit, les gendarmes sur place avaient demandé du renfort car les deux sont « hystériques et alcoolisés », expose le président Marty. Monsieur est blessé au visage, madame est blessée aux mains, à cause des coups qu’elle a portés. A Noël ils avaient tous deux le visage marqué. Monsieur a refusé qu’on le prenne en photo.

« Il m’a insultée, ça devenait insupportable, quoi »

Elle dit avoir « craqué » parce qu’elle avait appris perdre son travail (en intérim, mais un intérim régulier). « Dès qu’il me lâchait, je le frappais. » Elle regrette. « L’alcool, c’est terminé, j’ai compris la leçon. » Il y eut des faits antérieurs, c’est bien ça ? Elle dit « oui », puis détourne son regard. En août dernier elle avait déposé une plainte contre lui, puis elle l’avait retirée. Elle soutient aujourd’hui que le coup qu’elle avait reçu était « accidentel ». Un juge assesseur lui dit avoir un peu de mal « à percevoir le lien entre la perte de travail et les coups ». « J’avais bu, mais il m’a quand même insultée, ça devenait insupportable, quoi. J’étais peut-être à fleur de peau. »

Interdiction de contact. Inter… quoi ?

Aucun respect de l’interdiction de contact. Celle-ci fut faite à madame, mais monsieur n’a pas aidé, visiblement. Des visites, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre, et des échanges téléphoniques à tire larigot. Le 24 décembre au soir (faits non poursuivis, pour mémoire), elle se trouvait seule, alors il l’a invitée. C’est ce qu’ils disent. Elle lui devait de l’argent et lui a fait un chèque d’environ 2 000 euros. Son fils à lui l’a entendue menacer son père de mort, et l’a vue le gifler. Joyeux noël. Elle avait quasi 1 gramme d’alcool par litre de sang. Elle était venue avec une boîte de chocolats, des étrennes pour le jeune garçon, accompagné d’un mot : est-ce qu’il est d’accord pour qu’elle devienne sa belle-maman ?

Souffrir d’alcoolisme = ne pas pouvoir contrôler sa conso

Les juges ne s’y retrouvent pas, dans ce fatras d’éléments disparates puisque la prévenue soutient par ailleurs qu’elle avait très peur de son copain, qu’il la surveillait, qu’elle obtempérait par crainte. Elle dit également qu’être alcoolique c’est « boire tous les jours », le président lui explique que non, être alcoolique, c’est ne pas savoir contrôler sa consommation d’alcool quand on boit, et ce, même si on ne boit, par exemple, qu’en fin de semaine. « J’ai un problème d’alcool quand je ne suis pas bien, mais je ne suis pas alcoolique. » Si, lui répond donc le tribunal.

« C’est compliqué la vie ! C’est pas si simple ! »

Charles Prost, vice-procureur, insiste sur « les difficultés de contrôle d’elle-même » de la prévenue, d’une manière générale. Il requiert quelques semaines de maintien en détention (il faut dire qu’elle y est depuis presque 1 mois). « Elle est chancelante », plaide maître Maréchal qui insiste, lui, sur « l’expression méprisante de monsieur », et les ravages que ça fait, particulièrement sur une personne pas sûre d’elle et/ou en manque de reconnaissance. « C’est un pan de vie qui se tourne quand on divorce. C’est compliqué la vie ! C’est pas si simple ! »

Séparation, soins : sous main de justice pendant 2 ans

Le tribunal déclare madame coupable, et la condamne à une peine de 6 mois de prison entièrement assortie d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Ordonne l’exécution provisoire : les mesures qui suivent prennent effet immédiatement. Obligation de travail, de suivre des soins (addicto et psycho), interdiction de contact avec monsieur ainsi que de paraître à son domicile, « sinon vous serez incarcérée ». Pendant que madame signe les papiers, monsieur reste planté sur son banc et parfois la regarde. Le président en profite pour lui glisser un mot : qu’il respecte lui aussi l’interdiction de contact.

Florence Saint-Arroman