Dans la galerie commerciale Chalon Sud, il avait menacé de faire exploser une ceinture d'explosifs

Dans la galerie commerciale Chalon Sud, il avait menacé de faire exploser une ceinture d'explosifs

Le ciel de Chalon-sur-Saône a tonné, le 3 août 2017 à 19h50 pétantes : un individu armé d’un couteau et d’une ceinture d’explosifs est dans la boutique Orange de Carrefour Sud. Il exige de l’argent et des téléphones portables.

La police arrive à tombeau ouvert, fait évacuer le centre commercial, sécurise toutes les issues de la boutique. Le visage de l’homme est dissimulé par un masque de couleur grise, qu’il a bricolé lui-même, il porte un couteau de 30 cm, et contre son ventre 4 pavés recouverts de papier aluminium. Une unité canine arrive sur les lieux. L’homme est interpellé rapidement grâce au chien et aux policiers de la BAC, « et le taser » ajoute le prévenu qui n’a pas dû apprécier ou tient à le faire savoir. Il est jugé ce vendredi 6 mai à l’audience correctionnelle.

Le président rend hommage aux policiers 
La vidéosurveillance montre cet homme entrer dans le centre à 19h45. A 19h50 les forces de l’ordre démarrent, à 20h15 l’homme est arrêté. Ce vendredi 6 mai, et alors que nombre de policiers assiste aux obsèques du commandant Lionel Gauthier (emporté par une maladie, ndla), le président Dufour leur adresse ceci : « Les policiers ont fait preuve d’un extraordinaire professionnalisme ce jour-là. Je leur rends hommage car ils auraient pu tirer. Vous leur devez la vie, je pense. » Le prévenu en convient, et réitère des mots reconnaissants, alors que, début août 2017, « il avait la volonté de mourir sous le feu d’armes policières ».

« Fermez le magasin, je vais tout faire sauter ! »
... Faudrait savoir... mais c’est compliqué, forcément. Le prévenu vociférait qu’il voulait de l’argent et des téléphones « pour financer l’armée islamique », qu’il fait ça « pour ses frères », mais que Dieu lui a demandé de « ne tuer personne ce soir ». « Son discours nous paraît peu crédible » dira l’un des policiers. La police évalue rapidement la situation, voit que les explosifs semblent factices, mais n’empêche que le forcené a un couteau, qu’il terrorise le personnel du magasin. « Fermez le magasin, je vais tout faire sauter ! » « Il voulait faire plus peur que de faire du mal, il m’a fait penser à quelqu’un de désespéré » témoignera une employée de la boutique. 

Première couche 
Désespéré... « Je vais me faire passer pour un terroriste, on va me faire sauter le capot, vu le contexte général vis-à-vis des attentats, je pensais qu’ils n’allaient pas réfléchir. » Trois nuits qu’il ne dormait plus, il a pris du crack. Dès sa première audition il présente des excuses aux gens qu’il a terrorisés, se dit soulagé que les policiers de ne l’aient pas tué... Il se dit « bipolaire », il prend des médicaments (Xeroquel, Lysanxia, Lexomil), il est aux prises avec les produits stupéfiants et la méthadone depuis plus de 20 ans. Il se dit aussi « ingénieur des arts et métiers » mais n’a pas fait l’école en France, il dit « en Belgique ». Il est né en 1971 à Mulhouse.

Effet kiss cool, deuxième couche 
En voilà un qui a commis un passage à l’acte à la mesure de son mal de vivre. Son mal de vivre s’est fixé sur des formes compliquées mais en dépit de son désespoir de fond, il semble content de pouvoir parler de lui à l’audience. Il est coopérant et bavard. Sa radicalité à lui, elle se coud sur ses difficultés à vivre, lesquelles le mènent de rechutes dans la drogue à plusieurs tentatives de suicide, et enfin à terroriser des gens. Sa sœur a déclaré : « Pour moi, c’est un miraculé, mais on en a franchement marre. » Au terme de la première heure d’instruction, on en a marre aussi de cette complaisance à étaler son bazar. Souffrant, oui, sans conteste, mais enfin... c’est un peu tyrannique d’emm... tout le monde à ce point (pendant si longtemps !), victimes du 3 août 2017 comprises. Puis on songe que c’est logique : il est passé à l’acte sur la scène publique, convoquant les forces de l’ordre, provoquant un branle-bas de combat énorme. Rien de discret. Donc son attitude à l’audience, finalement, est à l’avenant. Il nous met au spectacle, au sien. Un juge assesseur parle lui aussi, de « complaisance ».

« Risquer de traumatiser à vie des gens pour sa propre personne… »
Bref, à l’issue de sa garde à vue il est hospitalisé d’office (pas plus de 15 jours), il est ensuite placé sous contrôle judiciaire. Il est très endetté. Il a eu beau gagner très-très bien sa vie, la drogue lui coûtait tout ce qu’il gagnait. Un vrai merdier, tout ça. Le président n’oublie pas son geste, armé du couteau (comme l’accusé qui végète au même moment dans les geôles du palais pendant que la Cour délibère), et la coupure sur le bras d’une policière. Les employés d’Orange n’oublient rien non plus. « Risquer de traumatiser à vie des gens pour sa propre personne… », « Je ne mettais plus les pieds à Chalon parce que j’avais peur de vous voir, de vous croiser. J’accepte vos excuses mais je ne pardonne pas d’avoir eu peur de ne jamais revoir mon fils, qui n’avait pas un an à l’époque. »

La polytoxicomanie du prévenu est au premier plan
Ce monsieur a un casier, pour détention, transport, usage de stupéfiants, et pour des escroqueries (filouterie au carburant à l’été 2017, et escroquerie à la voiture louée). Il a falsifié un diplôme pour faire croire qu’il était diplômé de l’ENSAM plutôt que de l’ECAM de Bruxelles. Des TS, trois hospitalisations. Il bénéficie d’une posologie de méthadone « particulièrement élevée », relève le médecin expert (exactement comme l’accusé des assises cette semaine, auquel on prescrivait des doses en principe interdites, « mais certains praticiens le font », observait l’expert aux assises, ndla). L’expert estime que la polytoxicomanie du prévenu est au premier plan d’un tableau clinique de personnalité certes fragile, mais sans psychopathie. L’expert conclut à l’altération du discernement du prévenu au moment des faits.

Des faits criminels requalifiés au terme de l’instruction 
Le président Dufour fait une remarque qui n’est pas sans importance : le juge d’instruction a ordonné un renvoi devant un tribunal correctionnel alors qu’au départ, vu l’extorsion avec arme, le prévenu pouvait partir devant une Cour d’assises. Les faits ont été requalifiés, au vu des éléments, en tentative d’extorsion accompagnée de violences. Le prévenu encourt 10 ans de prison (aux assises, l’avocat général a requis 16 ans de réclusion criminelle contre l’homme qui a blessé un vigile au couteau - juste pour donner la mesure des choses, selon que vous êtes en correctionnelle ou aux assises).

Troisième couche : il fait ce qu’il veut, au fond
L’audience a commencé à 13h30. Il est bientôt 16 heures quand le prévenu explique que non il ne voit pas de psychologue, que peut-être il fera « deux-trois séances d’EMDR ». Il développe, on croit rêver.  Il prenait du Depakote. Grosse prise de poids et perte de sa libido, il arrête le traitement, il prend de la cocaïne à la place. Un vrai merdier, on l’a déjà écrit. Son ex-compagne et sa sœur disent qu’il a tendance à la manipulation... vu la façon dont le prévenu s’exprime, on les croit. D’autant qu’il filoutait également avec des voitures de location, qu’il ne restituait pas et filait à des dealers du Creusot, où il se fournissait. Il est allé loin… Il perçoit aujourd’hui l’AAH.

« L’après » difficile pour les victimes 
Maître Rollet ouvre les plaidoiries et parle d’« égoïsme », de la part du prévenu. Il se dit interpellé par quelques éléments pas clairs : vouloir mourir et préparer si soigneusement son action. Il porte la parole de la société Orange et des quelques salariés qui furent exposés directement à cette attaque armée et à la menace de l’explosion. Maître Bibard revient lui aussi sur un contexte alors tendu par la somme des attentats qui ont fait effraction dans le pays. Les policiers qui sont intervenus ne peuvent être présents à l’audience, l’avocat parle pour eux : la situation qui leur était décrite était celle d’une « tuerie de masse potentielle ». Donc, même s’ils ont rapidement évalué la situation, personne ne prenait les choses à la légère, et les policiers étaient légitimes à ouvrir le feu.

Il a semé « le traumatisme et la violence » 
« Est-ce que la détresse excuse tout ? » demande Aline Saenz-Cobo, vice-procureur. « On ne peut pas excuser monsieur. Il ne voulait pas donner la mort aux autres mais que serait-il resté d’eux ‘après’, si les policiers avaient tiré ? » La magistrate démontre que le jour des faits, le prévenu était en contact avec la réalité, suffisamment pour préparer son action, suffisamment pour tenter de porter un coup de couteau à une policière. Elle cite, « et puis il a écarté sa chemise, on a vu la ceinture d’explosifs, et là on a eu peur ». Alors, si « la détresse de monsieur est réelle, elle n’excuse pas d’avoir semé le traumatisme et la violence ». « Et puis, ce n’est pas rien pour les policiers, cette histoire. Ils ont fait preuve d’un sang-froid exceptionnel. »


Elle requiert une peine de 4 ans de prison dont 20 mois seraient assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 3 ans. Les 28 mois ferme ne seraient pas aménageables, elle demande un mandat de dépôt.

« Pour moi, c’est bien l’acte d’une personne malade »
« Contrairement à ce que vous a dit madame le procureur, les victimes disent quasi unanimement qu’elles ont vu qu’elles avaient affaire à quelqu’un de désespéré », plaide maître Anne-Charlotte Charrier qui cite les propos des victimes. L’avocate souligne que les bandes vidéo montrent « des mouvements maladroits et désordonnés » du prévenu, et « des difficultés à maintenir sa ceinture d’explosifs ». « Il faut prendre du recul » demande-t-elle au tribunal. Elle rappelle que le procureur de la République d’alors, avait fait paraître dans la presse locale un petit communiqué qui replaçait les choses : pas de prise d’otages, pas d’attentat, pas de terrorisme à Chalon, « il a agi pour provoquer son suicide ». « Et puis il fut placé sous contrôle judiciaire, et l’a respecté. » « La détresse, dans ce dossier, elle est pathologique. Pour moi, c’est bien l’acte d’une personne malade. » … et qui recherchait « un peu de mise dans la lumière » relevait la vice-procureur. De ce point de vue, c’était réussi.

5 ans dont 3 ans sous sursis probatoire
Après quasiment 5 heures d’audience, le tribunal déclare le prévenu coupable et le condamne à la peine de 5 ans de prison dont 3 ans sont assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 3 ans. Obligation de soins, « psychiatriques et psychologiques », obligation d’indemniser les victimes, interdiction de paraître à la galerie marchande de Carrefour sud, et obligation d’intégrer le dispositif d’accompagnement individuel renforcé (AIR).

2 ans ferme
Les 2 ans de prison ferme sont aménagés en détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), un juge de l’application des peines en fixera les modalités. « Et si je veux aller voir mon fils ? » demande le condamné qui ne perd pas le nord, hein, alors que la détention sous bracelet, c’est être incarcéré, donc privé de la liberté d’aller et venir comme bon vous semble. « Le tribunal a considéré que les faits étaient extrêmement graves. »

FSA