Faits divers

Une mule bolivienne condamnée à Chalon sur Saône

Une mule bolivienne condamnée à Chalon sur Saône

Ce bolivien de 52 ans qui entre dans le box, yeux cernés, mine préoccupée, est accueilli par des signes réconfortants. Sa femme est venue d’Espagne pour lui. Il a été contrôlé le 20 juin dernier avec quasi 124 kg d’herbe de cannabis.

Le prévenu est né à Santa Cruz de la Sierra. C’est si beau qu’on peine à l’imaginer incarcéré au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand. Cela dit, pour un natif de Santa Cruz de la Sierra, peut-être que « Varennes-le-Grand » ça sonne beau. Ces considérations marginales ne sauraient toucher ce chauffeur routier installé en Espagne depuis 18 ans : il y a une semaine, il transportait du maïs pour le compte d’une société qui l’embauche depuis 2014. Il n’avait pas vérifié son chargement, parce qu’il ne vérifiait jamais, dit-il. Le chronotachygraphe installé dans la cabine était trafiqué, il y manquait plus de 500 km, explique la présidente Catala. « C’est l’employeur qui l’avait installé et modifié, dans son intérêt. » « On fraude pour ne pas appliquer la réglementation européenne sur le temps de conduite, explique Anne-Lise Peron, substitut du procureur. C’est l’employeur qui installe le dispositif mais c’est le chauffeur qui l’active. »

L’écart entre le droit et les réalités

« On nous appelle, on nous dit ‘Ta remorque est à tel endroit’, on contrôle les pneus et on part » traduit l’interprète. Un juge assesseur demande au prévenu si, quand on l’a formé, on ne lui a pas appris qu’il devait vérifier son chargement. On songe que c’est un peu tout le problème de l’écart entre le droit et les réalités. Si tout le monde était conforme, ça se saurait, et dans le monde du travail c’est compliqué, très. Entre « ça » et ne pas travailler... A-t-on toujours le choix ? Un choix digne de ce nom ?

Comme toujours ou presque, pas d’actes d’enquête

Pour l’heure, l’argument du chauffeur est de dire que le camion était déjà fermé et qu’un dispositif mesure la température du frigo, et si la porte est ouverte on voit des variations de températures. Pas de variations pour son chargement, donc pas d’ouverture de la porte, donc il dit vrai. Maître Peleija défend avec conviction sa position, « donc votre tribunal ne peut pas dire que monsieur avait connaissance du chargement ». Argument supplémentaire : la remorque n’appartient pas à l’employeur du chauffeur. Autres béances : « Les empreintes n’ont pas été faites. Le GPS n’a pas été exploité. » Elle demande la relaxe du prévenu.

Les douanes, réquisitions du parquet

Les douanes, elles, réclament sa condamnation : leur code, spécifique, dit que le détenteur est responsable, qu’il ait ouvert la remorque ou pas, c’est pareil. Sa condamnation avec une amende de plus d’1 238 000 euros, pour cette herbe de cannabis, « de bonne qualité » précise Anne-Lise Peron, substitut du procureur qui liste les éléments un peu louches de ce dossier, du genre le téléphone qui « sonne beaucoup » pendant sa retenue douanière puis sa garde à vue, jusqu’à son surnom, trouvé dans des échanges par messages, « le drogué ». Maître Peleija ne menace pas de raccrocher sa robe si l’histoire du surnom est prise au sérieux, mais on n’en est pas loin.  La procureur requiert une peine de 18 mois de prison avec maintien en détention, et une interdiction du territoire français de 5 ans.

Relaxes sur le plan pénal, condamnation pour les infractions douanières

Le tribunal décide de relaxer partiellement le chauffeur routier. Il est relaxé des chefs de détention et de transport sur le plan pénal (qui suppose un élément intentionnel), il est dit coupable d’avoir falsifié les données électroniques de contrôle des conditions de travail de transport routier, et coupable pour les infractions douanières de transport et détention de marchandise dangereuse pour la santé publique sans document justificatif régulier. L’amende est ramenée au tiers, elle est de 412 733 euros. La peine est de 6 mois de prison avec maintien en détention.

Une décision pas habituelle et qui fait du bien

On a écrit que ces audiences stups/douanes étaient lassantes, parce que superposables ou presque. Le parquet dit que le prévenu n’est jamais qu’une mule, mais que force est de reconnaître que sans mules, les trafics souffriraient, donc coupable d’alimenter ce bazar. Les avocats plaident l’exploitation de leurs clients, l’abus dont ils sont victimes, soit sur le versant de l’argent dont ils manquent, soit par trahison (comme pour ce bolivien qui est assez bien payé et ne manque pas d’argent). Les tribunaux suivent souvent les douanes et cet article de leur code qui dit que le détenteur de marchandise de fraude est réputé responsable de la fraude. 


Ce lundi 27 juin, le tribunal a fait rigoureusement la part entre ce que dit le code pénal et ce que dit le code des douanes, ce qui fait que si injustice il y a (il est peut-être innocent, cet homme-là), sa décision est fondée sur le seul code qui le dit responsable (qu’il ait été au courant ou pas de ce qu’il transportait), donc, du point de vue du droit, la décision n’est pas injuste. Ça change des jugements à la louche (à l'issue d'audiences pourtant bien longues, de 2 à 3 heures, ce qui n'était pas le cas ce lundi), comme s'il existait un pack « stups/douanes » où tout serait joué d’avance et les droits de la défense relégués au placard.

FSA

Un article parmi bien d’autres : https://www.info-chalon.com/articles/2021/07/23/62098/tribunal-de-chalon-saisie-douaniere-de-26-kilos-d-herbe-de-cannabis-une-farce-pour-la-defense/