Faits divers

La Cour criminelle départementale se penche sur le cas d'un viol conjugal

La Cour criminelle départementale se penche sur le cas d'un viol conjugal

« La justice n’a pas à faire de la morale. Quand deux adultes sont consentants, ça n’est pas un problème. Mais quand il y a contrainte, menace, violence, surprise, alors ça concerne la justice. »

La présidente de la Cour criminelle départementale* en trois courtes phrases pose le cadre de ce procès, ouvert ce jeudi 21 septembre et prévu pour se clore ce vendredi. Un dossier difficile puisqu’une femme a déposé plainte, le 14 septembre 2021, pour des faits de violence et des viols commis par son conjoint. Les violences (commises en août 2021) furent jugées et condamnées par un tribunal correctionnel. Reste la question du viol conjugal, entre septembre 2020 et juillet 2021, pas loin de Chalon-sur-Saône. Comment caractériser ce qui, pour les mêmes gestes, les rend aimants d’un côté ou abusifs de l’autre ? Tout repose sur la question du consentement.

Consentement/violence/pression

Toute vie sexuelle, à l’image de toute relation de couple, connaît des périodes avec, des périodes sans, et la femme a bien précisé qu’elle consentait parfois à des relations intimes, qu’elle les désirait, mais elle dit aussi qu’elle y a aussi été forcée. L’accusé conteste. On ajoute à la question du consentement, celle de la violence. Sur ce point, l’accusé a tôt fait d’apparaître, à son procès, comme quelqu’un de violent.

« Pourquoi reconnaître des choses que vous dites finalement n’avoir pas faites ? »

L’homme – né en 1978, silhouette plutôt sèche, cheveux ras, tatouage apparent - de sa voix rauque et basse a pourtant reconnu les faits pendant sa garde à vue. Pas tous, mais tout de même. A son procès il nie. « Pourquoi reconnaître des choses que vous dites finalement n’avoir pas faites ? lui demande la présidente Therme. – J’ai dit pendant ma garde à vue ce qu’on voulait entendre, parce que je voulais la retrouver au plus vite. »

Une stratégie douteuse à plus d’un titre

On se doute qu’une garde à vue peut être un moment bien difficile à vivre, on se doute qu’il peut y avoir une pression pour faire avancer la procédure, mais de là à reconnaître des faits de nature criminelle juste pour être débarrassé… voilà une stratégie douteuse à plus d’un titre. Résultat des courses, le mis en cause ne tarde pas à être mis en examen.

Un parcours procédural peu courant

Toutefois l’enquête menée par un juge d’instruction avait d’abord abouti à un non-lieu (on se doute bien que la question des preuves dans ce genre d’affaire est difficile elle aussi). Sur recours de la partie civile, la chambre d’instruction, estimant les charges contre monsieur suffisantes, rend un arrêt contraire et renvoie l’affaire devant la Cour criminelle pour viol. Le mis en examen devient alors accusé.  

Une rencontre marquée du sceau du manque de limites

La relation amoureuse entre l’accusé et la victime est née « avec le temps » dit madame à la barre à l’automne 2018. Ils font connaissance via les réseaux sociaux, puis un jour se rencontrent. Monsieur picole au point de finir en cellule de dégrisement chez les gendarmes. Une rencontre marquée du sceau du manque de limites, et cela colore tout le procès, en dépit des dénégations et assertions du type « moi je respecte les femmes » venant de l’accusé.

« Diriez-vous qu’il y avait une contrainte morale ? » - « Ah oui ! OUI ! »

Tout allait assez bien jusqu’en 2020. Là, monsieur perd son père et en tombe malade, puis vient la pandémie et son traitement à la schlague par les autorités publiques partout dans le monde : l’accusé ne travaille plus, et commence à boire. Selon la victime, c’est là que commencent les relations sexuelles forcées, que son conjoint obtient parce qu’elle veut préserver ses enfants à elle de scènes violentes. « Deux à trois fois par mois » elle obtempère. « Diriez-vous qu’il y avait une contrainte morale ? » lui demande la présidente. La réponse fuse : « Ah oui ! OUI ! »

Fragiles, les deux

Les débats dessinent le contour d’une femme, jeune, déjà mère de famille nombreuse, qui n’aime pas son corps (elle le dit à la barre pour expliquer qu’elle n’ait jamais consenti à porter les dessous dits « sexy » que son conjoint voulait la voir porter), qui a eu fait, jeune, un déni de grossesse ; qui lorsqu’elle dit « non », eh bien « c’est non », mais qui cède d’abord pour préserver ses enfants, dit-elle, puis parce qu’elle a peur de lui, cet homme dominateur qui ne recule devant aucune violence verbale avant de devenir violent physiquement. Autant vivre dans un film porno.

« Il faut être solide psychiquement pour prendre en compte l’altérité »

Dominateur mais impuissant. Impuissant, pas sexuellement, mais psychiquement, explique l’expert psychiatre en visioconférence. « Monsieur a de gros problèmes psychiques. » Autant dire que ces problèmes-là sont répandus parce qu’il n’est pas malade mais seulement « fragile ». « Il faut être solide psychiquement pour prendre en compte l’altérité, dit le docteur Canterino. Que l’autre soit différent de moi, c’est difficile. Pour tenir compte de l’autre, il faut être bien structuré. Mais les gens fragiles, ça leur fait craindre la dépression. Il y a toujours un écart entre soi et l’autre, et cet écart, les gens trop fragiles ne le supportent pas. Dans cet écart, ils peuvent se casser la figure. »

« Les gens mal structurés se sentent très impuissants »

Voilà pour un aspect psychique des choses, car sur le plan psychiatrique et légal, l’expert est clair : l’accusé est responsable de ses actes. A noter qu’il l’est aussi sur le plan psychique mais ce n’est pas cela que la justice interroge. « Les gens mal structurés se sentent très impuissants, et pour compenser, ils peuvent se placer dans la toute-puissance. » Et certains peuvent alors passer à l’acte, mais toujours il y a de la manipulation, à des degrés divers. Maître Diry, qui intervient pour la victime, interroge l’expert sur le changement de position de l’accusé qui soutient que c’est le choc de la garde à vue qui lui a fait avouer des choses qu’il n’a pas commises. Réponse du médecin : « Il sait ce qu’il dit. Ça ne tient pas d’un point de vue psychiatrique. »

« La peur, la honte, et qu’on ne me croie pas »

La femme, elle, dit à la Cour qu’elle avait « regardé sur internet, que c’était des viols » : « Au début, je ne réalisais pas. Je me disais, il a envie, donc c’est comme ça. » Qu’est-ce qui a fait frein en elle, au point qu’elle n’aurait pas déposé plainte si sa sœur ne l’y avait pas engagée et accompagnée ? « La peur, la honte, et qu’on ne me croie pas. »

« Vous ne respectez pas les cadres, y compris quand ce sont des cadres judiciaires »

La présidente n’a cessé de revenir sur ces fameuses limites, indispensables à respecter l’autre (et à se respecter soi-même, précisait l’expert-psychiatre), limites sans lesquelles la vie de chacun dans de bonnes conditions n’est plus possible et la loi, à tous coups, transgressée à un niveau ou à un autre. « Vous n’avez pas respecté les limites du cadre judiciaire (soit pendant une période de contrôle judiciaire, soit après condamnations pour violence, on n’a pas bien saisi mais en tout état de cause il a harcelé et menacé son ex-compagne au point d’être replacé en détention provisoire le 21 décembre 2022, pour violation d’entrer en contact avec la victime, ndla). On voit à travers vos comportements que vous ne respectez pas les cadres, y compris quand ce sont des cadres judiciaires. On peut légitimement se demander… »

Bidon 

En audition, l’homme invoquait « une vie sexuelle très épanouie » : c’est toujours l’argument de ceux qui abusent. Toujours. Toujours cette assertion-là, « une vie sexuelle très épanouie » sert de paravent pour couvrir des actes et des paroles aux limites de la loi parce qu’au fond, derrière ce prétendu épanouissement, il y a, toujours, l’utilisation d’un autre (qui est souvent une autre, voire plusieurs) réduit à l’état d’instrument. 
Les victimes souvent s’en défendent et revendiquent leur « liberté » mais tout ça c’est bidon. Il convient alors d’observer les signaux dits faibles – dont cette revendication de l’épanouissement sexuel fait partie -, et en particulier les attitudes envers les enfants, car les limites ne sont alors pas respectées non plus. Que ces comportements ou paroles passent par la violence ou par la séduction, dans les deux cas il y a du souci à se faire, car il y a danger.

FSA 

*qui juge des faits criminels, mais sans jurés, sans représentants du peuple. La Cour criminelle n’est composée que de juges professionnels.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1487