Chalon sur Saône

TROC N CASH : Une aventure de 25 ans, tout en virages !

TROC N CASH : Une aventure de 25 ans, tout en virages !

Installé sur les quais, 22 route de Lyon, le dépôt-vente Troc N Cash prend tous les virages de la nouvelle consommation. Son propriétaire, J.-B. Chapuis, à la retraite depuis mars 2019, en a confié les rênes à Marie, sa femme. Pour Info-chalon, il raconte son aventure, longue de 25 années.

JB Chapuis a toujours travaillé dans le commerce. Conforama, Connexion… Que ce soit le meuble ou tout autre produit — et JB a vendu de tout —, il a fait ce constat récurrent : le stock fragilise l’équilibre. Le fameux stock qui reste sur les bras en période difficile, et qui pèse trop lourd, entrainant son propriétaire dans la descente. C’est l’étincelle qui a enflammé les débuts du dépôt-vente : faire du commerce, mais sans stock !

 

Du troc, du troc, toujours du troc…

L’idée du dépôt-vente a un autre atout : celui de l’économie circulaire. En donnant une seconde vie aux objets et en limitant le gaspillage, il favorise une démarche bénéfique à la fois pour le pouvoir d’achat des particuliers, mais aussi pour la préservation de l’environnement. Encore faut-il avoir l’esprit du commerce et les reins solides…

À Chalon, en 1994, un seul dépôt-vente est ouvert sur les quais, et il bat de l’aile : le Troc de l’île. « Son gérant n’a pas tenu 10 mois, il n’était sans doute pas fait pour ça, commente JB. J’ai donc repris le magasin sous une enseigne concurrente : La Trocante. Quand j’ai ouvert, en avril 1994, on ne me donnait pas 6 mois avant de déposer le bilan. J’en ai entendu, des pronostics pessimistes : sur les quais, aucun magasin ne tient longtemps. Finalement, j’ai travaillé 15 ans avec la franchise La Trocante, avant de devenir indépendant sous le nom Troc N Cash. En 2020, ça fera 26 ans que l’affaire tient bon. J’avoue que j’en suis fier. »

Débuter avec une franchise permet de voir les choses en grand. Elle propose des stages dans ses autres magasins, ce qu’a fait JB pendant 3 ou 4 mois, avant d’ouvrir son dépôt-vente. « Si je m’étais lancé tout seul, je n’aurais jamais monté une affaire si grande », confie-t-il.

 

L’essor

« Avant de créer mon entreprise, je consultais le journal qui consacrait des pages entières aux objets d’occasion à vendre. Je me suis dit : ça devrait marcher. Par ailleurs, l’emplacement sur la route de Lyon offrait une bonne visibilité. Seul bémol : l’absence de parking. » Et en effet, dès son ouverture, La Trocante suscite un engouement énorme. Les voitures se garaient tout le long de la Saône, en une file indienne impressionnante.

À ses débuts, le chiffre d’affaires du dépôt-vente se fait essentiellement dans la revente des meubles anciens, dont le marché bat son plein. JB Chapuis se souvient des foires à l’antiquité qui amenaient des brocanteurs de Lyon et Paris. « C’était la bousculade sur le parking, ils me hélaient avant même que j’aie pu mettre un objet en rayon. Le meuble, l’ancien en général, marchait très fort. J’ouvrais tous les dimanches après-midi, il y avait foule. » Parfois, les gens font appel au magasin pour débarrasser entièrement un logement. Ils vendent le tout, évitant les frais d’un déménagement. Le château de Couches fut de ces aubaines-là.

Des débuts fulgurants donc, si l’on a les reins solides. Ce type de commerce, explique JB Chapuis, est très prenant : il faut se déplacer chez les gens, estimer les objets et les proposer au prix juste. Une démarche particulièrement chronophage pour deux raisons. La diversité des objets déposés, d’abord, qui est infinie ; il arrive même que personne ne connaisse le nom et la fonction de certains objets anciens, ni le vendeur ni le personnel du magasin. D’autre part, dans les années 1990, Internet n’est pas encore une béquille quotidienne. Pour se tenir informé sur la valeur de chaque objet, JB Chapuis s’appuie sur des magazines, s’informe où il peut, sans les ressources démultipliées qu’offrent les applications d’aujourd’hui.

 

Rebondir : Internet, sacré et maudit

Mais l’aventure Troc N Cash n’a pas été un long fleuve tranquille, et c’est ce qui fait son intérêt. Internet, justement, a bouleversé notre façon de consommer et une majorité de nos commerces. « Le Net prend chaque année 30 à 40 % de vente en plus. On doit prendre des virages, tout le temps. Rien n’est jamais acquis, tout peut retomber, et de plus en plus vite. » C’est ainsi que JB Chapuis est parvenu à maintenir son magasin la tête hors de l’eau, en prenant tous ces virages : le grand stem !

« Maintenant, les gens qui veulent vendre leurs objets se tournent d’abord vers les sites de petites annonces, et nous, nous arrivons en seconde position, quand ils ne trouvent pas preneurs. S’ils peuvent vendre en direct, ils le font, et c’est tout à fait normal. Ce qui est plus difficile à accepter, ce sont ceux qui nous demandent une estimation — qui nécessite parfois un déplacement — et qui vendent ensuite l’objet sur Internet. Certains le font en toute innocence, mais ce n’est pas très honnête. »

Ennemi tout puissant, Internet peut aussi être un allié, si l’on sait travailler avec lui en bonne intelligence. C’est ce qu’a fait JB Chapuis avec Le Bon Coin : à raison de 300 € par mois, le site lui offre une vitrine qui lui amène de la clientèle.

 

Rebondir : des goûts et des couleurs

Non seulement nos enfants ne se déplacent plus dans les magasins, achetant à peu près tout sur Internet, mais leurs goûts se sont détournés de l’ancien. Une armoire de nos grands-mères, en bois massif et noble, qui valait 300 € il y a 20 ans, sera cédée pour 30 € aujourd’hui. Exit les meubles qu’on se transmettait de génération en génération…

Bien sûr, les belles antiquités feront toujours briller l’œil de brocanteurs éclairés, mais eux-mêmes n’ont plus de boutiques. Fuyant les charges afférentes, ils apparaissent ici et là sur Le Bon Coin ou autre site de petites annonces.

JB Chapuis décide donc de « faire du moderne », c’est-à-dire acheter des lots neufs directement aux fournisseurs : une salle à manger, de l’électroménager, tout ce dont un couple aura besoin pour « se monter en ménage » comme on disait autrefois.

DVD et CD étaient une marchandise très vendue à une époque, qui est devenue obsolète : un chiffre d’affaires qui tombe à l’eau depuis l’ère du téléchargement. Quant à la téléphonie, JB Chapuis y renonce peu à peu : entre les dépôts-ventes spécialisés, les sites de reconditionnement et les appareils blacklistés par les fournisseurs, le combat n’en vaut pas la chandelle. Restent les livres, qui résistent aux modes, peut-être parce qu’ils ont leurs visiteurs les plus fidèles ?

 

La clientèle

Toute sorte de visiteurs arpentent les dépôts-ventes. Le Troc N Cash voit défiler chaque matin des habitués depuis 10 ans ou plus. Quant aux clients occasionnels, ils sont de tout profil : il y a là les jeunes qui emménagent, les toqués de marques qui veulent posséder la belle pièce pour un coût raisonnable, les amateurs de bibelots, les brocanteurs et les collectionneurs. Ceux-là sont légion, tant les objets de collection sont parfois inattendus : capsules de bière, boites d’allumettes, bidons d’huile d’une marque précise de véhicule, chouettes, grenouilles… Et depuis quelques années, un nouveau profil apparait : les personnes sensibles à la protection de l’environnement et qui entendent résister au diktat de la surconsommation. On l’aura compris, la variété des dépôts attire tous les chineurs amateurs ou accidentels. Le maire, Gilles Platret, ne boude pas le rayon livres anciens.

 

Quel avenir pour les dépôts-ventes ?

« Il ne faut pas se voiler la face. Depuis l’ère d’Internet, le chiffre d’affaires de Troc N Cash a chuté de 40 %. Je suis plutôt pessimiste quant à l’avenir. À mon avis, dans une dizaine d’années, il n’y aura plus de dépôts-ventes. Ils seront remplacés par des plateformes : les gens achèteront sur Internet et viendront prendre leur objet dans des entrepôts. »

Prédiction pessimiste donc, venant d’un homme qui n’a rien d’un défaitiste. C’est entre deux éclats de rire communicatif qu’il a conté ce quart de siècle. En attendant, l’équipe de Troc N Cash retrousse ses manches, et dans la bonne humeur. Marie et deux employés, dont Jo — qui partage l’aventure depuis 9 ans — sont sur le pont et s’activent.

 

Anecdotes

Savez-vous ce que signifie le « N » de Troc N Cash ? Il fait référence à Napoléon, d’où la présence de la couronne de laurier qui entoure la lettre ! JB Chapuis n’est pas collectionneur, mais il ne cache pas son admiration pour le grand Bonaparte, comme en témoigne le portrait qui décore son bureau.

Deuxième clin d’œil : en 2001 eurent lieu deux bouleversements majeurs, qui n’ont de point commun que l’époque. Le premier fut une inondation, classée en catastrophe naturelle. La Saône et la Thalie ont débordé de concert, noyant les boutiques des quais sous 50 cm d’eau. Dans le dépôt-vente de JB Chapuis, au milieu des dégâts occasionnés par l’eau stagnante, évoluaient des cygnes, gracieux visiteurs inattendus. Le deuxième évènement se préparait plus discrètement : Marie, la femme de JB Chapuis, lui annonçait qu’elle attendait leur première fille…

Nathalie DUNAND