Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Quand on prend un coup, ça a tendance à vexer, et vous chopez le démon »

TRIBUNAL DE CHALON - « Quand on prend un coup, ça a tendance à vexer, et vous chopez le démon »

Il aurait eu besoin d’amour, d’une autre interaction au moins que celle des coups et des cris, d’un socle de confiance, même minuscule, sur lequel s’appuyer. Il n’a rien reçu de cette sorte. Placé dès sa petite enfance, « il recherche indéfectiblement l’amour de ceux qui le rejettent » dit son avocat. L’amour de sa mère, par exemple, parce que pour le reste, les autres, là, il ne faut pas qu’ils le cherchent. « Quand on prend un coup, ça a tendance à vexer, et vous chopez le démon. »

L’enfer dans la tour

Il a chopé le démon le 16 mars dernier, rue Roger Lagrange à Chalon-sur-Saône. On lui avait trouvé un logement dans un des immeubles, son mode de vie en avait fait une sorte de charpie. « Bruits incessants, bagarres dans le hall, fêtes nocturnes et bruyantes (« oui »), a cassé le digicode (« oui »), jette des objets du 8e étage (« c’est vrai, mais pas des meubles, le plus gros, c’était un vélo »), appartement défoncé (« ça, ça ne le regarde pas »), dégradation boîte aux lettres (« c’était pour l’ouvrir, parce que j’avais un problème avec ma clé ».

Les faits

Pour le voisinage, le quotidien devenait terrible. Les locataires ont multiplié les pétitions, une procédure visant à l’expulser a duré un an. Mais le 7 juillet, et alors qu’il est en détention provisoire depuis presque 4 mois, la décision est tombée : expulsé. Les faits du 16 mars ont dû peser. Le 16 mars, monsieur X sort de chez lui. Monsieur X s’implique dans la vie collective et les relations avec ce voisin sont tendues. Tendues mais ils en restent à des échanges verbaux. Le 16, un jeune garçon tente de se faufiler dans l’immeuble alors que monsieur X en sort, mais celui-ci l’empêche de rentrer.

« Juste pour info, j’ai pas du tout confiance en vous »

Le jeune garçon retrouve son frère dehors, ils se dirigent avec vers monsieur X qui dit avoir eu peur, a ouvert son coffre, sorti un bâton de marche. Il a donné le premier coup, il l’a reconnu. Un moment plus tard il est au sol, et le prévenu le roue de coups avec le bâton. « C’était disproportionné, certes, mais il l’avait mérité. C’est pour mon frère que je m’inquiétais, moi j’étais vexé c’est tout. » La présidente Catala lui fait remarquer qu’il aurait pu partir (le petit frère a rendu le premier coup, ça pouvait s’arrêter là), et/ou appeler la police. « Juste pour info, j’ai pas du tout confiance en vous et en toute la justice, alors porter plainte, non merci. »

Par deux fois il refuse de rencontrer l’expert psychiatre

« Je cherche à défendre ma personne en premier », dit encore le garçon. Il est âgé de 24 ans. Il est désormais « majeur protégé » placé sous curatelle renforcée. Pierre Ndong Ndong, son avocat, parle bien de lui. Il a pris le temps, pour ce client tantôt très demandeur, tantôt inaccessible. L’expertise psychiatrique est obligatoire avant le jugement. Le tribunal l’avait ordonnée, mais le jeune homme a refusé, par deux fois, de sortir de sa cellule pour rencontrer le médecin. De la défiance, dit l’avocat. Une défiance fréquente chez des personnes qui furent placées enfants : les visites imposées chez le psy dont parfois vécues comme des instruments de coercition supplémentaires, et certes pas dans leur intérêt. C’est triste, mais c’est un élément de réalité, et ça ne restaure pas de lien sur lequel prendre appui.

« Altération définitive du discernement »

Celui-ci est une vraie tête de mule, l’expertise n’a pas eu lieu. Le tribunal se rapporte à un document antérieur qui dit : « altération définitive du discernement, doit être assisté dans tous les actes de la vie civile », « addictions et passages dépressifs non traités ». Pourtant l’enfant, puis l’ado, puis le jeune homme ont reçu toute une palanquée de chimie. Il a arrêté, il préfère fumer du cannabis : « Avec les médicaments, il y a des effets secondaires désagréables. Vous êtes shooté comme un zombi, alors qu’avec le cannabis, vous pouvez placer un pied devant l’autre. Vous êtes défoncé, mais vous êtes bien. »

« Je ne suis pas un animal, madame », disait-il

Le jeune homme refuse donc la camisole chimique, au profit d’une drogue longtemps dite douce. Il en consomme pas mal, mais au gré de ses finances. Il perçoit l’AAH, handicap psychique, sa curatrice désormais gère l’enveloppe. « Enfance très difficile, marquée par de mauvais traitements et des sévices divers. » « Je ne suis pas un animal, madame », disait-il à la présidente lors de la première audience. Il n’est pas un animal, non. Il n’est pas vraiment socialisé non plus. Le ministère public revient sur « la violence, la gravité de la scène, et cet aspect jusqu’auboutiste qui est très inquiétant ».

« Il ne peut plus rester dehors, ça n’est plus possible »

« Monsieur souffre de troubles psychiques. Mais les hospitalisations se passent mal (3 fois au CHS de Sevrey, dont 18 mois autour de ses 20 ans), car il n’adhère pas aux soins et il commet des infractions. Le logement, ça se passe mal. Les relations avec les autres, ça se passe très mal. Il ne peut plus rester dehors, ça n’est plus possible. » Mathilde Kara-Mitcho requiert une peine de 20 mois de prison dont 8 mois assortis d’un sursis probatoire renforcé pendant 2 ans. (Il a deux condamnations à son casier, pour dégradations de biens) Maintien en détention pour la partie ferme.

Un enfant privé de tout ce qui pourtant lui était dû

« Il n’adhère pas aux soins. » Il fut un enfant martyr, privé de tout ce qui lui était pourtant dû, la loi a fixé les droits et les devoirs parentaux. De souffrances en questions océaniques, en « pourquoi ? » irreprésentables, le garçon doit se faire soigner, et pas les autres ? Pas les parents ? Pas le beau-père qui le frappait ? Et avec ça il faudrait venir au monde ? Comment peut-il encaisser, alors qu’il n’a confiance en personne, les injonctions judiciaires ? Au final personne ne veut plus de lui, parce que partout où il passe il sème la tempête, pour reprendre une de ses expressions. S’il sort de prison, c’est la rue et le 115. Y a rien d’autre.

« La solution ne peut pas être que pénale »

Son avocat a passé du temps au parloir du centre pénitentiaire avec ce grand blessé pour qu’il accepte de rencontrer l’expert psy. Son client a dit « oui », puis le moment venu a dit « non ». « La solution ne peut pas être que pénale, plaide maître Ndong Ndong. Ni de taper, taper, taper, sur lui. Ça, il connaît. Gros passif de violences dans son histoire personnelle, et un passif médical important lui aussi. Donc on parle de quelqu’un qui est inadapté. Ça ne lui plaît pas que je parle de lui comme ça. Il voudrait que je le présente comme quelqu’un de responsable. Il ne sait ni lire ni écrire, il surestime ses capacités, il n’a pas de discernement pour ses intérêts. Carence affective ? Oui, ça n’étonne personne. »

« Alors, que fait-on ? »

« Il vit au jour le jour, poursuit l’avocat. Il est complètement déphasé, il déteste toute forme d’autorité. Monsieur X est victime, mais il s’est érigé en justicier, il s’agaçait que la police passe et ne fasse rien. Il y avait des violences verbales réciproques. Monsieur X n’en peut plus, donc il cherche, en fait. C’est lui qui porte le premier coup. La riposte est parfaitement disproportionnée, c’est vrai ; Alors, que fait-on ? Il n’a plus de logement, il est en rupture de traitement, il a fait 4 mois de détention provisoire. 20 mois de prison pour le calmer ? Quelqu’un d’aussi influençable ? Et on élude complètement la question de savoir comment l’accompagner vers un traitement nécessaire. »

10 mois de prison ferme puis un suivi « pluridisciplinaire »

L’avocat estime que les 4 mois effectués sont suffisants, qu’il faut des soins renforcés et une obligation de formation pour qu’il apprenne à lire et à écrire. Le tribunal condamne le garçon à une peine de 18 mois de prison dont 8 mois sont assortis d’un sursis probatoire renforcé, avec obligation de soins, interdiction de paraître sur les lieux des faits, interdiction de contact avec la victime, interdiction de porter une arme. Maintien en détention pour la partie ferme.

« Monter un projet »

« Monsieur, ça fait 10 mois de prison ferme, dont on déduit les 4 mois déjà purgés. Il reste 6 mois ou moins, selon votre comportement en détention, pour monter un projet afin d’avoir un logement et des soins à votre sortie. »

Florence Saint-Arroman

La victime n'est pas venue à l'audience, ne demande pas d'indemnités, demandait une interdiction de paraître

https://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2020/03/20/43453/tribunal-de-chalon-je-suis-pas-un-animal-madame/

https://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2020/05/02/44030/tribunal-de-chalon-il-s-en-etait-pris-a-son-voisin-avec-sa-propre-canne/