Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Ce n’est pas parce que vous êtes son père que vous avez tous les droits »

TRIBUNAL DE CHALON - « Ce n’est pas parce que vous êtes son père que vous avez tous les droits »

C’est le confinement ? Il faut justifier de ses déplacements ? Toute la famille a dû penser que le jugement en comparution immédiate de l’un des leurs était un motif impérieux. Quatorze en audience, allez, fantastique ! Tous masqués bien sûr, sauf les fragilous qui très vite passent le masque sous le nez. On les comprend, mais enfin il faudrait savoir.

La présidente Verger le leur fait remarquer : « Nous sommes en période de confinement, les personnes doivent justifier les motifs de leurs sorties, je ne pense pas que vous le puissiez. » D’un autre côté, ajoute-t-elle, c’est un dossier « délicat » de violences intra-familiales. Sans doute n’est-il pas inintéressant que la famille y assiste. Il est toujours mieux d’assister aux jugements, au lieu de s’en tenir à des propos rapportés et d’entretenir à partir de-là, tous les préjugés possibles, puis d’accuser la presse de tous les maux (ndla).  

 

Une histoire de vélo dans la cave, le gosse tombe sous les coups

Avant 15 heures, ce jeudi 12 novembre, une poignée d’entre eux avait mis l’ambiance, rue du docteur Mauchamp, collés contre le grillage du sas qui accueille les véhicules de l’administration pénitentiaire et ceux des forces de l’ordre, lorsqu’on amène des prévenus au palais. Des cris, un peu d’hystérie en soutien, parce que voilà : le 8 novembre au soir, le père a trouvé son fils de 14 ans dans la cave, avec des copains, et l’aurait soupçonné d’avoir de mauvaises fréquentations. Pour le remettre dans le droit chemin, il l’a frappé au point que le gosse a cogné deux fois dans le mur et s’est évanoui. Puis, l’enfant monte à l’appartement et file dans sa chambre, mais le père, qui s’était calmé deux minutes, remet ça, couteau en main. Quand les policiers sont entrés dans le logement, il a jeté le couteau sur le canapé.

 

Condamné en 2009 pour violence sur conjoint

« Ce n’est pas parce que vous êtes son père que vous avez tous les droits » lui dit la présidente. « La frontière entre dressage et éducation est ténue » plaidera maître Marceau. Son client fut victime de châtiments corporels lui aussi, enfant. Il a grandi en Tunisie, est arrivée ici en 1998, a rencontré sa femme, ils ont eu 4 enfants mais ont divorcé (condamnation en 2009 pour violences conjugales, mais accord amiable pour le droit de visite donc il vient souvent au domicile de la mère). Il travaille, il est salarié en CDD. 

 

Deux scènes de violences, des menaces avec un couteau, et un taux d’alcoolémie élevé

Outre la syncope, le garçon garde des traces de coups à la tempe et à l’œil et des marques sur le cou. Son père l’avait étranglé. Le père a nié, d’abord, puis à l’audience il reconnaît, « des petits coups, pas méchants ». Il est poursuivi pour violence sur mineur par ascendant, lui rappelle Aurélie Larcher, substitut du procureur. D’ailleurs la présidente s’efforce tout au long de l’instruction de rapprocher les deux bords : les réalités des faits et ce que le prévenu en fait. D’un côté deux scènes de violences, des menaces avec un couteau, et un taux d’alcoolémie élevé chez l’agresseur (1,5 g/l) ; de l’autre « des petits coups », jamais d’autres violences (point démenti par des membres de sa famille et par son casier judiciaire), et aucun problème avec l’alcool.

 

« Je voudrais juste qu’il se fasse soigner, par rapport à l’alcool » dit le fils

Ce dernier point est également démenti par des dépositions et la jeune victime va le dire courageusement. Courageusement, oui, car devant 14 paires d’yeux, dont il retrouvera certaines à la maison ce soir. Le garçon regrette sa plainte, « c’est mon père, quand même », puis il dit : « Je voudrais juste qu’il se fasse soigner, par rapport à l’alcool. » Le parquet a désigné un administrateur ad hoc, qui va s’assurer que les droits et les intérêts du garçon sont respectés. Maître Ravat-Sandre intervient à ce titre. « Il faut remettre la responsabilité de chacun là où elle doit être. » L’avocate précise que le garçon n’en rajoute pas. Elle se constitue partie civile pour lui et demande des dommages et intérêts pour son préjudice corporel et son préjudice moral.

 

Le parquet requiert le maintien en détention, « il est en état de récidive légale »

« Monsieur encourt 14 ans de prison » assène la procureur. Léger frémissement dans la salle. « Je trouve que personne ne prend la mesure des faits. Il tenait un couteau et menaçait son fils : ‘Si tu ne dis pas la vérité, je vais te tuer.’ » Elle reprend le casier (violence sur conjoint, conduite sous l’empire de l’alcool, détention de stupéfiants, port d’arme blanche, tentative de vol en réunion, 6 condamnations) du prévenu et requiert 14 mois de prison dont 6 seraient assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Elle demande son maintien en détention. « Alors je sais, il travaille, mais la prison, c’est pas que pour les chômeurs. Il est en état de récidive légale. »

 

Une contradiction qui en dit long sur l’inconscience du père ?

L’avocat de la défense commence par des attentions pour le fils qui est assis du côté des parties civiles. « Il faut le déculpabiliser. Son père reconnaît avoir commis un délit et une faute parentale, une faute morale. » Maître Marceau évoque la salle comble d’un public très attentif : « La famille a un comportement ambivalent. Elle aurait préféré laver son linge sale entre soi, et pas lors d’une audience publique. » À la décharge de son client, outre son enfance menée à coups de bâtons, cette contradiction totale : « Il frappe son enfant, et en même temps appelle le commissariat pour que son fils reconnaisse (le père a dit qu’il voulait que son fils donne les noms des jeunes qu’il soupçonne d’actes délinquants, ndla). » ... comme si le père n’avait pas conscience d’être lui-même en train de commettre un délit. 

 

Peine aménageable mais interdiction de paraître au domicile de la mère et des enfants

Le tribunal condamne le père à 14 mois de prison dont 8 mois sont assortis d’un sursis probatoire de 2 ans. Ordonne l’application immédiate des obligations (soins - addicto et psycho -, et travail) et l’interdiction de paraître au domicile de son ex-femme et de ses enfants. Histoire que tout le monde puisse s’apaiser.

Le tribunal ne prononce pas le maintien en détention. Soulagement dans la salle et félicitations adressées aux juges, pouces levés. La présidente demande à chacun de garder ses commentaires pour lui. Les jeunes gens se pressent vers la sortie, le prévenu repart au centre pénitentiaire pour la levée d’écrou.

 

FSA