Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Il espérait un plan cul... il termine devant les juges

Par Florence Saint-Arroman 

Publié le 07 Février 2022 à 14h13

TRIBUNAL DE CHALON - Il espérait un plan cul... il termine devant les juges

« Elle a honte, de n’avoir pas compris, d’être tombée dans un piège »

Il y eut un point « fellation », à l’audience correctionnelle ce vendredi 4 février. C’est maître Braillon qui s’est dévoué. Pour en donner une définition. C’est qu’à la barre son client est en difficulté : le français n’est pas sa langue maternelle. 

Les faits

Une jeune femme et un homme, encore jeune lui aussi (28 ans), conversent via Messenger. Comme ça, comme font beaucoup d’entre nous. Et puis elle aime beaucoup chater. Quand la solitude mord, les échanges de cette sorte l’apaisent un peu. Ça commence en août dernier, et puis 6 mois plus tard, il est question de se voir. La femme le propose. Elle vit au Creusot, elle peut venir en bus à Chalon. « Ok pour un plan », lui répond l’homme. 
Il l’a récupérée en voiture à la gare, c’était le 20 janvier 2021, et il cherche « un coin tranquille » raconte le président Madignier. Il roule jusqu’à la forêt de Lux. Ils parlent peu, la jeune femme souffre d’une « surdité profonde » explique maître Lamain qui intervient pour elle à l’audience. 
L’homme l’embrasse sur la bouche, estime qu’« elle a bien adoré », du coup déboutonne son pantalon sort son sexe, prend le poignet de la fille et la conduit à le masturber. Ça dure une dizaine de secondes. La jeune femme, qui dès le lendemain se présente à la gendarmerie de Châtenoy-le-Royal, dit qu’il avait ensuite mis sa main sur sa nuque pour l’engager à lui faire une fellation, qu’elle ne fait pas. Le prévenu le conteste, d’où le point vocabulaire. Elle a fait « non » de la tête*. Pour finir il l’a raccompagnée sans difficulté à Chalon. Il a quand même supprimé les messages des téléphones, il est marié : déconner un peu, oui, mais faut pas exagérer.

« Une fois dans la voiture, j’ai vu que la meuf était un peu à l’ouest »

La vulnérabilité de la jeune femme, liée d’une part à la surdité, d’autre part à un léger handicap mental (dit le dossier), est au cœur du débat, car le prévenu soutient ne pas s’en être aperçu immédiatement. Le vice-procureur le cuisine et arrive à ses fins : « Vous lui avez imposé une masturbation pendant quelques secondes alors qu’elle n’était pas d’accord ? – Oui. » Maître Lamain lit une de ses déclarations : « Une fois dans la voiture, j’ai vu que la meuf était un peu à l’ouest », « donc vous avez bien vu qu’elle avait un autre handicap que la surdité ? – Oui. » Le prévenu a subi une expertise psychiatrique qui conclut : « il a toutes ses facultés mentales », « pas de fantasmes déviants », « pas de dangerosité psychiatrique », « exprime de la culpabilité », même s’il a du mal à reconnaître les faits.

« Elle a honte, de n’avoir pas compris, d’être tombée dans un piège »

On peut le comprendre. C’est chaud de venir rendre des comptes sur une brève histoire sexuelle, une histoire en loucedé, un truc planqué, et tout à coup, paf ! Son état civil affiché (avec les autres affaires du jour) sur la porte de la salle d’audience, et puis ces questions gênantes sur des mots gênants. Le déroulé de la scène écrit noir sur blanc dans le dossier et qu’il faut encore raconter à l’audience, devant tout le monde. L’interprète en langue des signes traduit tout à la victime. C’est gênant, oui, embarrassant, très. Honteux, sûrement. Pour maître Lamain, il n’y a pas à discuter cent sept ans. Sa cliente souffre de surdité et d’une légère déficience intellectuelle. L’expression « ok pour un plan » ne pouvait pas être comprise par la jeune femme comme ayant une connotation sexuelle ! « Elle a honte, de n’avoir pas compris, d’être tombée dans un piège. Il est coupable. Il a abusé de sa faiblesse. »

« Ok pour un plan »

Voici : un homme qui parle français mais ne le maîtrise pas, ni à l’écrit, ni à l’oral ; une jeune femme sourde et quasi muette - qui peut articuler des mots mais le fait peu, ça lui demande un effort et le résultat la gêne, explique son interprète quand la victime refuse de parler au tribunal autrement qu’en langue des signes-. Dans ce contexte, leur projet de rencontre est confirmé par monsieur en un « Ok pour un plan », que la jeune femme n’interprète pas comme elle l’aurait dû, dit-on à l’audience. « Un plan », c’est un « plan cul », pour cet homme. Bon, ça paraît, d’un autre point de vue, un peu léger, mais enfin chacun vit dans ses évidences, dans ses façons de parler. Les mots n’ont pas toujours le même sens pour chacun, sans compter qu’ils ont fréquemment plusieurs sens.

Point « lapsus »

Ce fait (communiquer, c’est difficile) est le point de départ de la plaidoirie d’Eric Braillon, mais avant cela il devait arriver ce qui forcément ne manque jamais de survenir lorsque tous les esprits sont travaillés, en loucedé eux aussi, par ce qui colore le dossier. Et c’est le parquet qui fourche. Fallait bien que ça tombe sur quelqu’un, de toute façon. « Elle a manifesté son opposition formelle, malgré ça il lui a imposé un geste. A l’audience, il a fini par reconnaître. Elle, elle n’a jamais varié dans ses déclarations et souffre de troubles anxieux, de pleurs. (…) … De cette vulnérabilité, monsieur a abusé, pour parvenir à ses seins, euh, à ses fins. » Le procureur requiert une peine de 18 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans.

« Chacun cherchait quelque chose en pensant que c’était le désir de l’autre »

« La compréhension du souhait de l’autre, c’est la clé de ce dossier » plaide la défense. « Les femmes et les hommes ne sont pas mus par les mêmes angoisses et les mêmes idéalisations de la relation amoureuse, et elles peuvent être divergentes. » En ce qui concerne cet homme encore bien jeune et qui déjà a connu une épreuve, de celles qui occasionnent la grande douleur, de celles dont personne n’imagine comment il pourrait supporter une telle tragédie, en ce qui concerne cet homme, donc, et cette jeune femme de fait isolée par un handicap douloureux lui aussi, « chacun cherchait quelque chose en pensant que c’était le désir de l’autre ». Lui il voulait un peu de sexe, elle, elle voulait sûrement quelque chose de plus amical, qui distraie sa solitude, « et quand on n’arrive pas à échanger en verbalisant, l’une à cause de son handicap, l’autre à cause de la faiblesse de son langage », alors…

« Quand il comprend, il cesse de désirer des relations sexuelles. »

« Il l’embrasse et n’a pas senti être repoussé. » Il prend sa main pour la guider là où il le souhaite, « il s’écoule 10 secondes et là, il se dit que quelque chose ne va pas, et il sort de sa bulle », il sort de tout ce qu’il avait projeté sur leurs échanges écrits comme dans le noir, assortis de petits cœurs qui signifient ce qu’on veut. « Et quand il comprend, il cesse de désirer des relations sexuelles. » L’avocat estime que la peine requise est bien trop longue et que rien ne fonde l’obligation de soins.

Sursis probatoire 2 ans + inscription au FIJAIS

Le tribunal reconnaît le prévenu coupable et le condamne à une peine de 18 mois de prison entièrement assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans avec obligations de suivre des soins, de travailler, d’indemniser la victime, et interdiction de tout contact avec elle. Le tribunal constate son inscription au FIJAIS. Cette peine complémentaire, imposée par le législateur - le tribunal n’a jamais la possibilité de statuer sur la pertinence, au cas par cas, de ce fichage -, est lourde.

Florence Saint-Arroman 

*On songe à un autre dossier, https://www.info-chalon.com/articles/2021/10/26/64706/tribunal-de-chalon-agression-sexuelle-un-prevenu-frustre-et-une-victime-vulnerable/  , dans lequel l’autre était ramené à une poupée qui ne disant non, forcément consentait. Ici, la jeune femme sourde a fait « non » de la tête, dit-elle, mais as usual, chacun n’entend que ce qu’il veut bien entendre, et ne comprend que ce qu’il peut comprendre.