Faits divers

ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE : Plus c’est gros moins ça passe

ASSISES DE SAÔNE-ET-LOIRE : Plus c’est gros moins ça passe

« Dites ‘le gros’, parce que ‘la bonne connaissance’, ça m’énerve. » La victime est à la barre, ce lundi 6 mars : la bonne connaissance d’HD qui aurait enlevé monsieur X, est en fait « un gros maghrébin ». Le portrait-robot s’affine !

« La bonne connaissance », ça l’énerve… Soit, mais ce n’est rien à côté du sentiment que monsieur X dit ressentir : « J’ai l’impression que tout le monde se sert de moi dans cette histoire et pourtant je suis victime. » Plus tard, il dira « J’ai l’impression que tout le monde ment, dans ce dossier. » « Et vous, vous mentez ? » lui demande la présidente.

La défense fait acter 

Monsieur X soutient être convaincu qu’HD est le commanditaire de son enlèvement et de sa séquestration, des coups qu’il a reçus, etc. Il assure à la barre que c’est un policier qui a décidé de coller « le voyage en Espagne » sur le dos de HD, comme ça, juste pour « coincer », « faire tomber », celui qui les « nargue ». Bien sûr, la défense d’HD y revient : « J’ai été manipulé par le chauve, on a monté un stratagème », cite maître Scrève. A la demande de la défense, la présidente fait acter tout ça et aussi que monsieur X n’est « jamais allé à l’hôpital » ce soir-là, et que s’il portait une blouse dudit hôpital ainsi que des chaussons en papier, c’est « le commissariat qui me les avait passés, j’avais plus mes habits ». Acté, également, que les déclarations faites au sujet de Brahim X, et de maître XX (dont le nom revient à l’audience pour la 2ème fois ce lundi), ne sont que ce que lui avait dit de répéter « le policier ».

A partir de quelle somme séquestre-t-on ?

« Du coup, les 90 000 euros et tout ça, on peut laisser tomber, c’était pas vrai » fait mine de constater maître Screve en fin de journée. Ces 90 000 euros, on y pensait justement ce matin. « On ne séquestre personne pour 5000 euros » disait HD vendredi matin. Bien. A partir de quelle somme séquestre-t-on ? A écouter l’accusé principal comme à écouter la victime à la barre pendant plus de 3 heures ce lundi, on voit bien que rien ne tient vraiment dans leurs déclarations.

En résumé : HD dit avoir commis des tas d’infractions …

… et violé le cadre de son contrôle judiciaire pendant plusieurs années, mais ne tirait ses revenus « que de l’achat et de la revente de voitures », ainsi que « de la Française des jeux » (8 000 euros), et aussi « de Pôle emploi » (5 000 euros) et puis des 63 000 euros de l’infirmière qu’il s’était fait remettre en liquide, justement (c’est ainsi qu’il justifie les 100 000 euros en billets retrouvés dans l’appart-hôtel qu’il occupait pendant sa première cavale). 
D’ailleurs, le premier médecin à l’avoir examiné pour sa blessure par balle, c’était « l’ami d’un ami », mais par contre, l’infirmière, c’était le hasard, « les pages jaunes ». S’il s’est enfui après sa remise en liberté « pour un vice de procédure », c’était juste « pour attendre un non-lieu ». Si son épouse avait planqué 6 000 euros dans le congélo au moment de la perquisition, c’est juste « parce que j’ai toujours 20 000 euros en liquide chez moi, au cas où et que je ne voulais pas qu’on me les prenne comme la dernière fois ». 
S’il a des faux papiers en réserve (dont ceux saisis dans le gîte-planque de l’accusé toujours en cavale) c’est juste « pour ne pas payer les amendes, parce que j’en ai trop, quand je roule, j’oublie les limitations de vitesse ». Bon, il n’a de permis de conduire que depuis 2016 et il a tous ses points. Donc, remarque l’avocate générale, il ne devait pas recevoir autant d’amendes que ça puisqu’on y perd des points. « De 2011 à 2016, je roulais sans permis, si vous voulez tout savoir. A l’époque je mettais au nom de ma mère, elle n’a jamais eu le permis. » On ne lui en demandait pas tant. 

L’ADN d’HD sur un Serflex saisi dans le squat

L’accusé traquait monsieur X, la victime. « Mon but c’était de l’avoir en face de moi pour qu’il répète ce qu’il avait dit aux policiers. » Mais monsieur X s’est rétracté. Pas sur tout, mais enfin sur l’essentiel croit-il : ce n’est pas HD qui l’a enlevé, et si on a retrouvé l’ADN d’HD sur un Serflex, bah il ne sait pas pourquoi ni comment l’ADN est arrivé là, et ce n’est pas son problème. Bon, avec « le gros », il y avait bien une autre personne, mais il ne l’a jamais vue, donc mystère. 

A cause d’un cousin indélicat résidant en Espagne qui vole à HD une BMW toute pourrie

En résumé en ce qui le concerne : à cause d’une dette de poker d’abord, puis finalement à cause d’un cousin indélicat résidant en Espagne qui vole à HD une BMW toute pourrie de l’aveu d’HD comme de la victime elle-même – BMW dont au demeurant HD n’est même pas propriétaire - , il se voit séquestré, frappé, menacé de mort (à cause de la voiture, dit-il), privé de nourriture et d’eau par « un gros maghrébin » qui serait « une bonne connaissance » d’HD. Quelques mois après les faits, une voiture Golf noire « passe des mains de HD dans les vôtres par l’intermédiaire d’un garagiste alsacien, ça interpelle » dit l’avocate générale. Réponse : « Ce genre de voiture, tous les arabes en ont. » Ce n’est pas « ce genre » c’est précisément cette voiture-ci. Bah c’est normal, « on change tout le temps de voiture », alors ça se peut. 

72 heures attaché, affamé, frappé, menacé de mort

La présidente a interrogé monsieur X sur les effets traumatisants de ce qu’il a subi. Il dit qu’en effet « ça vous reste à vie, ça ». Ce soir-là « j’étais mort, exténué. Je n’avais pas mangé, j’ai fait 500 mètres à cloche-pied, je n’en pouvais plus ». 
Il a eu peur de mourir, on l’a frappé, on lui avait scotché la bouche, dit-il, « mais je leur disais d’enlever le scotch, j’avais envie de vomir, je m’étouffais avec le vomi ». Il insiste : « Je ne connais pas Chalon, je ne savais pas où je me trouvais, j’ai crié 1000 fois en espérant qu’une mamie qui promène son chien, ou un joggeur, m’entendraient. » 
Bras et jambes attachés pendant 72 heures, parfois maintenu au cadre d’une porte par une corde qui s’ajoutait aux colliers de serrage, il débarque (toujours ligoté) comme un perdu au commissariat et c’est dans cet état, physique et moral, qu’il aurait mémorisé une foule d’infos et de détails (comme le nom propre d’une avocate, entre autres) dont il ignorait « tout », assure-t-il, et qui lui ont été soufflés par un policier pour « faire tomber » HD ?

Plus c’est gros moins ça passe

Monsieur X aurait été victime de faits gravissimes juste à cause d’une bagnole qui « ne vaut rien », sur ordre de HD qui a chargé « un gros maghrébin » des basses besognes, et dans la foulée X serait devenu le jouet d’un unique policier qui aurait fait de lui une balance en un rien de temps, lui faisant apprendre, alors qu’il avait connu 72 heures de coups et de privation, tout ce que la police savait de HD ? Qu’un policier se soit lâché sur les infos, c’est possible, après tout, mais que X en ignorait « tout », voilà qui ne ressemble à rien sauf à vivre sous le régime de la terreur. 
Il est l’homme qui était plein aux as grâce au poker, avant et après les faits, mais qui ne pouvait rembourser HD, puis qui finit par avoir peur et songe subitement que son cousin économe en Espagne pourrait filer 10 000 balles, et pour ça, tout le monde part avec un convoi de voitures et des téléphones dédiés à ce voyage, pour au final se faire chourer la moins intéressante d’entre elles ? A la suite de quoi, revenu à Chalon, il passe sa vie sur un des téléphones à tâcher de régler ça puis connaît la séquestration et les traitements inhumains. 

A l’issue de cette journée nous reviennent en mémoire quelques lignes de David Simon, dans Baltimore : « Est-ce qu’ils mentent ? Bien sûr que oui. Tout le monde ment. Est-ce qu’ils mentent davantage que la normale ? Sans doute. » Dans le cas qui nous occupe, c’est l’évidence.

FSA