Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Mandat de dépôt à la barre pour de graves violences sur sa sœur

TRIBUNAL DE CHALON - Mandat de dépôt à la barre pour de graves violences sur sa sœur

La tragédie suintait, elle a montré son visage à la fin de l’audience, quand le garçon a dit : « Moi je vis pour mon père. Si mon père meurt, je meurs aussi. Voilà, c’est tout. »

Le prévenu est né en 2004. Et pourquoi son père mourrait-il ? Parce que sa fille, une grande adolescente, sœur du prévenu, serait responsable, selon son frère, de ceci : « Elle l’a tué, elle l’a tué de l’intérieur. Il ne mange plus, il ne dort plus, etc. » Et comment l’a-t-elle tué de l’intérieur ? « En mentant. » C’est dans ce contexte que le 3 juin au matin, la fille sortant de la salle de bain entend son père parler d’elle comme d’une « grosse p... ». Elle voudrait discuter mais son frère la saisit alors par les cheveux, l’insulte, la frappe. 10 jours d’ITT.

La vie de famille a, hélas, souvent du mal à se référer à la loi…

… C’est la vie perso, c’est privé, on fait « ce qu’on veut ». Ce jeune homme, à la barre du tribunal ce jeudi 7 septembre, va payer cette carence. En réalité, il la paie déjà, et sa sœur aussi.

« Je l’ai frappée que deux fois. Deux fois, c’est pas tous les jours »

Sa sœur l’a payé en premier. « Je l’ai frappée que deux fois. Deux fois, c’est pas tous les jours. » Il comparaît librement, en état de récidive légale. La première fois, il était mineur. Le tribunal pour enfant a ordonné sa mise sous protection judiciaire, il est parti dans un foyer. On lui donnait des médicaments (la fameuse camisole chimique). Puis un jour il a fait une formation, et on a arrêté son traitement, dit-il : « J’étais un zombie, au foyer on m’appelait le camé ! On me donnait du Xanax, du Valium. Une infirmière faisait mon pilulier chaque jour. Et quand j’ai commencé une formation, c’est devenu compliqué alors ils ont arrêté. » 

« Nous, on veut plus d’elle »

La seconde fois qu’il a frappé sa sœur, c’était en juin dernier : une femme alerte la gendarmerie car elle héberge une amie de sa fille qui ne veut pas rentrer chez elle parce que son frère est violent avec elle. La jeune fille est âgée d’environ 16 ans. Elle refuse de déposer plainte mais elle demande à être placée. Elle est à l’audience, accompagnée d’une éducatrice.
La mère est décédée. Le père vit avec ses deux enfants. Il est venu à l’audience avec son fils. Le tribunal ne veut pas lui donner la parole, maître Thomas qui assiste le prévenu, le regrette : ce père semble prendre tant de place, parler à travers la bouche de son fils qui « monte » en pression plusieurs fois, prend alors une voix qui tonne, comme lorsqu’il a dit : « Nous, on veut plus d’elle. » Plusieurs fois, il dira : « Ça n’est pas juste, moi j’ai rien demandé. »

Le fils serait-il le bras armé du père ?

Maître Thomas plaidera cette ambivalence : le fils serait-il le bras armé du père ? Un père qui vitupère pendant l’audience, se déplace pour aller glisser quelques mots à l’oreille de son fils pendant une plaidoirie (!), quitte la salle, revient, à plusieurs reprises. Son teint de papier mâché le rend furtif, mais il est bien présent, très présent, trop présent. Une juge assesseur ne tarde pas à dire clairement au prévenu-fils : « Vous vous déportez sur le rôle du père ! »

« Pour moi, le plus dur, c’est de me séparer de mon père »

Question de places, comme souvent quand ça part en sucette, en maltraitance, en agressions, etc. Le fils ne saurait être plus clair : « Pour moi, le plus dur, c’est pas de me mettre en prison, c’est de me séparer de mon père. » C’est donc une histoire de places pas tenues, faute des séparations indispensables à ce que chacun mène sa vie. C’est donc une histoire de loi symbolique inexistante dans cette famille, et c’est aussi l’histoire de la loi pénale défaillante au sein de la famille. Ça, c’est la porte ouverte vers tous les désordres possibles et leurs conséquences. La preuve : le fils est jugé pour la seconde fois de sa vie pour des faits graves, il n’a que 19 ans. La preuve : le fils est jugé mais il est beaucoup question du père, un père pas protecteur. Le président : « Ce n’est pas à vous de protéger votre père. C’est à lui de vous protéger. »

« Il faut protéger la victime, son père ne la protège pas »

Mais que peut faire un tribunal pénal avec ça ? La procureur requiert une peine mixte. Elle analyse rapidement l’attitude du prévenu à l’audience ainsi que son casier. « Les soins sont essentiels », mais aussi : « il faut protéger la victime, son père ne la protège pas ». Elle requiert une peine mixte et l’aménagement ab initio de la partie ferme « mais je suis fermement opposée au port du bracelet chez son père », ainsi elle propose un aménagement en semi-liberté et la révocation de 3 mois d’un sursis antérieur. 

« On se demande si on est en France ou en Sicile »

Le procureur de la République a désigné un administrateur ad-hoc pour veiller sur les intérêts de la victime, encore mineure : c’est le président du conseil départemental de Saône-et-Loire. Maître Ravat-Sandre intervient pour la victime. « On se demande si on est en France ou en Sicile. » Ce qui se joue sous nos yeux évoque bien les fonctionnements claniques ou mafieux, avec sa domination brutale de la femme, au nom du « respect », avec les violences au nom du « respect », familles hors la loi. 
L’avocate attaque le discours familial porté par le jeune prévenu qui invoquait « le respect » comme valeur fondamentale mais qui frappant sa sœur qui sortait de la douche ne s’est pas arrêté quand la serviette de bain est tombée. « C’est une humiliation supplémentaire. » Insultes dégradantes, coups, cette nudité involontaire mais qui n’empêche rien. « Son frère ne comprend pas la gravité de ses actes, ni par rapport au code pénal, ni par rapport au préjudice de sa sœur. » 

Le père déraillé

Pendant l’intervention de l’avocate, le père se lève, en quelques pas est entré dans l’enceinte du prétoire, se penche et glisse quelques mots à l’oreille de son fils, histoire de bien manifester tout le respect qu’il a à l’endroit de l’institution judiciaire. Illustration supplémentaire, s’il en fallait une, de ce qui déraille chez lui et que ses enfants paient. Le président le renvoie à sa place mais c’est trop tard : il a enfreint les règles et sans dommage pour lui.

Malaise général

Ce dossier met dans le malaise, surtout quand on voit comment ça s’est fini. La sanction exorbitante imposée au fils, au nom du père. Le tribunal ne peut pas faire autrement, mais il n’est pas dupe. Malaise général. 

« Anesthésie affective », « Je n’arrive pas à savoir ce que je ressens »

Maître Thomas avance en équilibriste, la situation « n’est pas simple ». L’avocate reprend l’expertise psychiatrique qui parle d’une « anesthésie affective ». « Je n’arrive pas à savoir ce que je ressens », a dit le fils. Est-ce cette loyauté mal placée à l’endroit de son père ? « On s’interroge, il se prend pour le père de sa sœur. Il se prend pour l’exécutant ? Il a dit à l’audience : ‘Mon père ne tape pas ses enfants, il ne l’aurait pas tapée’. Ce jeune homme a été placé jusqu’à l’âge de 9 ans, puis est retourné dans un foyer suite à la décision du tribunal pour enfant. Sa construction est compliquée. C’est un écorché de la vie que vous avez à juger. »

Derniers mots du fils : « Moi je vis pour mon père. » Le délibéré est un peu long. Des policiers arrivent et se placent au fond de la salle. Le tribunal revient, appelle le prévenu à la barre. Deux des policiers s’avancent dans la travée.

13 mois ferme en tout, il est incarcéré à la barre

Le tribunal déclare le prévenu coupable, le condamne à la peine de 18 mois de prison dont 8 mois sont assortis d’un sursis probatoire avec obligation de soins (psycho, addiction cannabis), de se former/travailler, d’indemniser la victime. Interdiction de tout contact avec la victime ainsi que de paraître à son domicile, où qu’il soit. Pour la partie ferme, le tribunal décerne mandat de dépôt, et révoque les 3 mois d’un sursis antérieur, ordonne l’incarcération immédiate. Ça fait 13 mois de prison en tout. Les policiers s’avancent.

Le président explique : « Monsieur, le tribunal a retenu la gravité des faits et l’état de récidive légale (qui double la peine encourue, ndla). Le risque de réitération est réel, nous le pensons notamment en raison de votre attitude à l’audience. Vous allez être pris en charge par l’escorte qui va vous conduire au centre pénitentiaire de Varennes-le-Grand. » 

Haine et tragédie

Un mot encore sur l’interdiction de tout contact y compris par courrier, avec sa sœur, et monte le ton mauvais qu’on a entendu parfois au cours de l’audience, quand la voix du garçon tonnait : « Vous inquiétez pas, on ne va plus communiquer. Je ne vais plus communiquer, mon père ne va plus communiquer. Orpheline, maintenant ! T’iras te plaindre à ton mec, là. » 

FSA