Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - « Monsieur le juge, est-ce que vous me rendez ma femme ? »

TRIBUNAL DE CHALON - « Monsieur le juge, est-ce que vous me rendez ma femme ? »

Ce lundi 3 février, le tribunal a retenu un dossier de comparution immédiate : fait extraordinaire, un psychiatre avait conclu à l’abolition du discernement du prévenu, coupable de violences habituelles sur sa femme, mais irresponsable pénalement.

Le 26 décembre dernier le tribunal a ordonné une expertise psychiatrique avant de juger cet algérien âgé de 66 ans qui semblait parti en orbite. Quatre jours auparavant la police l’arrêtait : il avait porté deux coups de couteaux à sa femme. Ce lundi 3 février on le voit à l’écran : il a été hospitalisé à l’UHSA* de Lyon, une visioconférence démarre. Le malheureux n’est que plaintes et gémissements.

Pas complètement avec nous

Pour mémoire il est en réalité poursuivi pour des violences habituelles sur son épouse depuis 2 ans, outre les faits du 26 décembre, assortis de menaces de mort. Sa femme avait eu 15 jours d’ITT. (On peut lire l’audience de renvoi ici : https://www.info-chalon.com/articles/faits-divers/2019/12/27/41882/tribunal-de-chalon-si-vous-sortez-de-prison-vous-irez-ou-chez-moi-chez-vous-il-y-a-votre-femme/). Naturellement le président Grandel a lu le rapport d’expertise avant l’audience. « Vous avez vu un expert psychiatre, monsieur. – Non, j’ai pas été. – C’est pas grave, dit comme en aparté, le magistrat. »

« Ça va bien se passer, monsieur, ça va bien se passer »

Le prévenu est posé sur une chaise, une table nue devant lui, un surveillant pénitentiaire se tient vers la porte. Ton plaintif : « J’ai jamais vu le tribunal. Jamais jamais jamais. » Gémissements. Le président : « On comprend, monsieur, la preuve en est que vous êtes hospitalisé. Ça va bien se passer, monsieur, ça va bien se passer. Votre avocat est là. »

Avocats en grève pour la 5ème semaine

En effet, maître Varlet est présent : « J’aurais aimé plaider ce dossier, plaider les conclusions sans appel du docteur Canterino qui conclut à l’abolition du discernement. J’aurais aimé plaider que monsieur est irresponsable pénalement, que sa place n’est pas en prison, mais la grève nationale est toujours en cours. Elle aurait dû prendre fin, mais le rendez-vous avec la garde des sceaux a été repoussé. Donc aujourd’hui je suis en grève. J’ai conscience que c’est un dossier particulier, et que c’est l’intérêt de monsieur que le tribunal statue sur son irresponsabilité pénale. Le tribunal n’a en réalité pas besoin de moi, mais je vous demande un renvoi. »

« Dangerosité psychiatrique »

Le tribunal, après avoir pris la position du parquet, retient le dossier. La victime est accompagnée d’une interprète qui transmet : « Elle est dans un état de panique. » Petit rire dément du prévenu. L’expert a conclu à une « démence présénile peut-être liée à une consommation massive d’alcool », « monsieur a un sentiment de persécution au détriment de sa victime ». Pas de dangerosité criminologique, mais une dangerosité psychiatrique. « J’ai jamais eu de problème avec l’alcool », intervient le prévenu. « Nécessité d’hospitalisation sous contrainte », écrit le docteur Canterino.

« Je demande qu’elle revient. » Il gémit

Le prévenu a tenu un bar, de 85 à 90 (croit-on comprendre). Il ne travaille plus depuis longtemps. Le couple s’est marié en Algérie en 2012, ils n’ont pas d’enfant. La veille des derniers faits, il avait beaucoup bu et elle était allée dormir chez sa belle-sœur. A peine revient-elle chez elle qu’il la prend à partie. Il tient un couteau, la frappe avec au niveau du bassin, elle le repousse, il atteint l’œil (sous l’œil, elle en porte encore la marque). La victime « ne demande pas le divorce ni la prison, mais une hospitalisation spécialisée », transmet l’interprète. Le prévenu intervient : « Je demande qu’elle revient. » Il gémit. Il mouline des propos incompréhensibles mais qui couvrent l’échange entre le président et la victime.

« Si vous voulez je verse une caution, pour qu’elle revienne. »

« Donc vous ne buvez pas d’alcool, c’est ça ? » Silence. « Quelque chose à dire sur les faits de décembre ? – Non, je demande rien. Qu’elle me revient. (Plainte gémissante) – Je pense, monsieur, que vous avez besoin d’être un peu soigné. – Je me mettrai à genoux devant elle. C’était un coup de colère, de ma part, et de sa part. – Là où vous êtes, ça se passe bien ? – Si vous voulez je verse une caution, pour qu’elle revienne. »

Que le tribunal prenne une mesure de sûreté

Christelle Diez, substitut du procureur, demande qu’il soit constaté que le prévenu a commis les faits qu’on lui reproche, ainsi que son irresponsabilité pénale. Elle demande que le tribunal prenne une mesure de sûreté et décide de son internement. Le prévenu apporte une précision : « Vous avez dit que je l’avais poursuivie dans les escaliers, je l’ai pas poursuivie. »

Il prie… pour qu’elle revienne et lui fasse à manger

Le tribunal se retire pour délibérer. La salle est calme et silencieuse, le petit rire dément de l’homme n’en retentit que plus fort. Il tient sa tête entre ses mains, puis s’essuie les yeux. Il baise le bout de ses doigts, les porte à ses yeux, puis à son front, et répète ces gestes en égrenant une litanie. Il prie. Des sourires éclairent les visages de ceux qui comprennent ce qu’il dit, on demande une traduction : il implore que sa femme revienne et qu’elle lui fasse à nouveau à manger. Il conclut en français, dans la logique de sa demande : « On va faire des courses ! On n’en parle plus de ce qui s’est passé. »

« Monsieur le juge, est-ce que vous me rendez ma femme ? »

Le tribunal dit qu’il a commis les faits qu’on lui reproche, le déclare irresponsable, ordonne son hospitalisation sous contrainte, « pour vous soigner ». « Oui, d’accord. » Puis : « Monsieur le juge, est-ce que vous me rendez ma femme ? »

Florence Saint-Arroman