Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - Loyers et charges à la barre

TRIBUNAL DE CHALON - Loyers et charges à la barre

« Monsieur le président, avez-vous un test Covid à votre dossier ? » Maître Littner plaisante, mais la partie adverse, un couple assigné par Habellis pour non-paiement de loyers et abandon de logement avec des encombrants, est absente, à l’audience civile de ce mardi 10 novembre.
Vu qu’au dossier précédent la défenderesse était absente également mais justifiant de son isolement en attendant le résultat du test de dépistage de la Covid, alors… Alors l’absence du couple n’étant pas justifiée, le président Laurent Brochard rendra sa décision en janvier.

« Le loyer de novembre a-t-il été payé ? – Oui, on peut dire ça comme ça »

« J’ai jamais arrêté de payer ! » La force de la voix de cette femme déchire l’ambiance paisible qui caractérise le plus souvent ces audiences. A la barre, un bailleur (enregistré comme marchand de biens immobiliers), face à lui, deux couples : celui qui occupe le logement et deux personnes engagées comme garants. Au 5 novembre, la dette locative se monte à 1 400 euros.
On remarque que seules les femmes sont venues à la barre (cela étant, avec les consignes de vigilance sanitaire, on évite, au tribunal comme ailleurs, que les gens soient rassemblés). Le bailleur expose rapidement l’historique des démarches qui finalement conduisent devant le juge des contentieux de la protection.
La locataire bout et s’indigne. « Madame, on fait en sorte que ça reste paisible. Vous aurez les moyens de vous exprimer », lui rappelle le président qui demande au bailleur : « Le loyer de novembre a-t-il été payé ? – Oui, on peut dire ça comme ça. »

«Madame, on n’est pas sur un ring»

Dans les saillies de la dame comme dans les réponses du bout des lèvres du bailleur, on lit une situation qui a tourné en méchant contentieux. La garante dit que depuis 8 ans, la locataire s’est toujours débrouillée pour payer ses loyers. Que se passe-t-il ? La locataire a des revenus très modestes.
« J’ai jamais manqué mes loyers, sauf quand la CAF a baissé de 100 euros (l’APL), quand mon fils a eu 20 ans. Donc à chaque fois il manquait 100 euros, mais sinon j’ai toujours payé mon loyer. – Oui, mais vous comprenez qu’un contrat vous engage, et que le bailleur n’a pas à … - Oui ! J’ai donné 500 euros, et puis 300 euros à l’huissier. On sait très bien que j’ai payé. – On ne serait pas là, sinon » murmure le bailleur et la dame s’emporte. « Madame, on n’est pas sur un ring », lui rappelle le président qui lui demande ses pièces, les documents qu’elle a apportés.

«Elle paie ses loyers mais quand elle a un rappel de charges, ça lui coûte un bras»

Elle dit qu’elle avait un autre chèque de 500 euros à verser, mais que l’ADIL lui aurait conseillé de ne pas le donner avant l’audience, sans que nul ne comprenne pourquoi. Son fils aîné est dans la salle, il est convié à la barre car il aide sa mère, celle-ci n’a que 523 euros de ressources mensuelles.
« Je vais à l’épicerie sociale, déjà ça m’aide. » Le fils explique les soucis liés à des installations défectueuses (fuite d’eau), ou coûteuses (eau chaude couplée à la chaudière, il faut mettre le chauffage en route, l’été, pour avoir de l’eau chaude, dit le fils), « donc elle paie ses loyers mais quand elle a un rappel de charges, ça lui coûte un bras ».
Le bailleur semble reconnaître à mi-voix n’avoir pas été « assez réactif », mais précise avoir « ravalé tout l’immeuble, changé les fenêtres, la porte d’entrée ». Bref, la joute se poursuit et le président rééquilibre en permanence les choses.

«On ne peut pas tout payer d’un coup !»

Le juge dit au bailleur que l’eau chaude couplée à la chaudière, « ça pèse sur le budget, vu le prix du gaz ». « Ce n’est pas une raison pour ne pas payer », répond le bailleur qui pense avoir été « suffisamment diligent » (la loi l’exige, ndla), et s’oppose à des délais de paiement. Derechef, la dame prend feu : « On ne peut pas tout payer d’un coup ! ça fait 3 mois qu’on vous donne de l’argent. » Le bailleur demande sa condamnation aux dépens, dont 642 euros de frais de procédure. La dame s’étrangle mais plus silencieusement. Le président recadre : il faut regarder quelle créance exactement est due, puis les moyens de payer de la locataire. Son fils l’aidera de 100 euros par mois, il s’y engage. Le juge va refaire les comptes, décision en janvier.

«C’est comique, ça»

 A la faveur de l’appel des causes (soit l’appel des dossiers), la dame s’était avancée pour communiquer ses pièces au juge qui s’en étonne : il devrait, en toute logique (logique qui coïncide avec les règles procédurales) les avoir avant l’audience, pour la préparer. « La greffière m’a dit de vous les donner en main propre, affirme madame. – Quelle greffière ? s’interroge le juge (dont la greffière est assise à côté de lui et n’a rien reçu). C’est comique, ça » conclut-il, alors que de larges sourires qui se dessinent dans les yeux plissés par-dessus les masques, illuminent les visages de tous les professionnels présents.

FSA