Questions à
Renaud, « Putain d’expo » : David, son jumeau, nous plonge au cœur de cet événement
Par Nathalie DUNAND
Publié le 05 Septembre 2021 à 18h40
Renaud, « Putain d’expo » : l’exposition consacrée au chanteur est prolongée jusqu’au 7 novembre au Musée de la musique de la Philharmonie de Paris. Pour Info-chalon.com, David Séchan, son frère jumeau, retrace la genèse et le parcours de cet hommage au poète-militant-artiste.
Directeur de la société d’édition musicale Encore Merci, vice-président de la Sacem, photographe, David Séchan est – d’abord et avant tout – le frère jumeau de Renaud. À l’occasion de la prolongation de l’expo Renaud, putain d’expo jusqu’au 7 novembre, dont il est l’un des 3 commissaires avec Johanna Copans – spécialiste du chanteur – et Gérard Lo Monaco – scénographe qui a construit les décors de scène de Renaud, David évoque l’aventure comme un hommage à son frère artiste.
Comment a germé l’idée de cette expo ?
David Séchan : Elle est venue d’une amie à moi qui est directrice d’un département chez Universal et qui a eu entre les mains un des livres de photos de Renaud que j’avais publié1. Elle m’a appelé : « Ça ne t’intéresserait pas de faire une expo photo de Renaud ? » À la base, c’était ça. Puis on a rencontré le directeur du département Media & Content chez Universal, qui nous a proposé quelque chose de plus global « Renaud est déjà entré dans le Panthéon de la chanson. Faire une expo sur son œuvre, sa vie d’artiste, c’est le moment ». On s’est mis en quête d’un lieu et, par le hasard de rencontres, on a pensé à la Philharmonie de Paris. L’entrevue de son président, Laurent Bayle, avec Renaud n’allait pas de soi : deux univers musicaux différents, l’un classique, l’autre populaire… mais ça a pris, ils ont accroché à l’idée, même avec le titre que Renaud avait lui-même choisi : « Putain d’expo ». Voilà comment est né le projet de cette expo, une coproduction d’Universal et la Philharmonie. J’ai mis en place l’équipe. Je me suis adjoint l’aide de Johanna Copans, qui a fait sa thèse sur Renaud : c’est le côté intello de l’expo, elle s’est occupée des cartels, des références, de l’analyse fine de tous les documents. Et puis Gérard Lo Monaco nous a rejoints, il a réalisé la scénographie des espaces de l’expo. Il a beaucoup travaillé avec Renaud, a fait toutes les scénographies de ses spectacles, ses pochettes de disque. Moi, j’ai mis les mains dans le cambouis : je me suis chargé de rassembler les œuvres, les documents. L’équipe s’est constituée ainsi.
Renaud – dont on sait qu’il aime vivre caché – a-t-il hésité à donner son accord ?
David Séchan : Sa première réaction, quand je lui ai parlé du projet, ça a été : « Une expo ? Pourquoi ? J’suis pas mort. » Non, au début, franchement, il n’était pas enthousiaste. Ses « ouais, ouais » ponctuaient nos échanges.
On imagine qu’être son frère a beaucoup aidé pour obtenir des pièces, objets ou souvenir inédits. Quelle masse de travail représente la préparation d’une telle expo ?
David Séchan : Ça n’a pas été simple de rassembler les archives, Renaud n’était pas dans le mouvement. Quand enfin il m’a donné son feu vert, on va chez lui et il me désigne 1 m 50 linéaire d’archives, depuis ses débuts jusqu’aux disques d’or et de platine. ! J’emporte tout à la Philharmonie, et on s’est attaqué à l’analyse de cette montagne, de la première page à la dernière, tout est référencé. Ça nous a pris 6 mois. Mais c’était une étape importante : chaque document est référencé, les photos légendées, tout est mis en perspective dans la carrière de Renaud.
Finalement, entre le 1er rendez-vous chez Universal et l’ouverture de l’expo le 16 octobre 2020, il s’est écoulé 18 mois.
Quelles pièces rares ou étonnantes le public découvre-t-il ?
David Séchan : Il y en a tant ! Des lettres privées de Renaud à Coluche, un fax à la femme de Gainsbourg lors de son décès, des carnets de chansons, des bouts de chansons inachevées, ou inédites, il en écrivait aussi dans des cahiers d’écolier sur le papier à lettres de sa société d’édition « Encore merci », sur des nappes de restaurant… On a retrouvé le manuscrit annoté de la chanson "Morgane de toi", qu’il avait d’abord intitulé "Dans l’dos", ses dessins pour Charlie Hebdo… Au total, 380 m2 de surface sont consacrés à l’expo, mais il en aurait fallu le double si on avait tout exposé. Il a fallu faire des choix drastiques et, comme vous savez, choisir, c’est renoncer.
Justement, comment avez-vous opéré ce choix ?
David Séchan : C’est sans doute l’étape la plus difficile. Le point de départ a été cette question : quel sens veut-on donner à l’expo ? On ne voulait pas seulement une chronologie, on a choisi un parcours par grands thèmes définis par des espaces spécifiques.
Il y a Renaud et l’enfance et Mai 68, qui marque la naissance d’une conscience politique, la genèse de son œuvre finalement. Puis la fiction musicale, c’est-à-dire les personnages de ses chansons. Il y a aussi « Parlez-vous Renaud ? » qui explore sa langue bien spécifique ; Le bistrot des copains, un espace consacré à ses grandes références, ses amis. On y voit un grand portrait de Brassens, une très belle photo de Bob Dylan, et puis Bruce Springsteen, Boby Lapointe, Hugues Aufray, Coluche, bien sûr, et tant d’autres qui ont beaucoup compté pour lui. Et enfin l’engagement de l’artiste : un espace est dédié à Germinal, le film de Claude Berry dans lequel il a interprété le personnage de Lantier. C’est une expérience très importante dans sa vie, un hommage rendu à notre grand-père maternel, Oscar, qui était mineur à 13 ans. Il y a, dans notre famille, une sorte de dichotomie des origines : le côté maternel issu d’un milieu ouvrier du Nord et le côté paternel, famille d’intellectuels : notre grand-père était professeur de poésie grecque à la Sorbonne. Cet aspect a façonné Renaud : le double héritage social et culturel.
Et puis bien sûr Charlie Hebdo, son attachement à ce journal satirique. Il a financé sa renaissance en 92. Renaud est d’une discrétion absolue sur les dons qu’il fait, mais je peux vous dire qu’ils sont nombreux : il a par exemple dépensé des sommes folles pendant 2 ans pour monter des comités de soutien pour la libération d’Ingrid Betancourt, il a aussi financé la scolarité de ses enfants en Angleterre. Pour vous donner un exemple, lorsque l’Élysée a reçu Ingrid, elle a invité Renaud à la rejoindre, il a décliné. Comme il refuse qu’on mette une plaque sur une église parce qu’il a financé la réfection du toit. Sa rencontre avec Johnny Clegg et sa lutte pour la libération de Nelson Mandela, son soutien à Greenpeace… Son engagement est à la mesure de son humanisme : profond, généreux, indéfectible. Et la désillusion, aussi, qui va avec.
Comme toutes les manifestations grand public, vous avez pris de plein fouet la crise sanitaire avec le confinement et maintenant l’obligation du pass sanitaire. Comment voyez-vous l’impact de ces mesures sur cet événement ?
David Séchan : Quand l’expo a ouvert ses portes, en octobre 2020, ça a été la ruée. Et puis il y a eu une fermeture de 7 mois. La réouverture en mai 2021 a été compliquée, il a fallu refaire la promo, annoncer la prolongation jusqu’au 7 novembre 2021. C’était une catastrophe : une jauge imposée à 40 personnes à l’heure… À peine levée, cette restriction est remplacée par le pass sanitaire qui, évidemment, a entrainé une baisse des fréquentations. On a respiré aux vacances d’été, mais c’est tout le monde culturel qui est en souffrance. On observe un phénomène tout à fait nouveau : le no show. Les gens ont acheté leur billet, souvent 1 an à l’avance, et ils ne viennent pas, sans demande de remboursement parfois. Est-ce la peur ou sont-ils déshabitués aux sorties culturelles ? Le fait est que c’est dramatique pour la culture.
L’expo se termine le 7 novembre : avez-vous prévu un « après » ?
David Séchan : Oui, on appelle ça dans notre jargon l’itinérance. J’y travaille en ce moment. Je suis en pourparlers avec le musée des civilisations à Québec, un festival à Bruxelles, à Genève… C’est vrai que, même en version allégée, je souhaite que cette expo tourne.
La question (énervante ?) à laquelle vous devez souvent répondre : comment va Renaud ?
David Séchan : Plutôt bien physiquement : il ne boit plus une goutte d’alcool et a beaucoup diminué la cigarette : il vapote ! Il travaille actuellement en studio, il est dans une phase productive. Donc on peut dire qu’il va plutôt bien.
Vous l’avez accompagné récemment à l’expo, à travers cette déambulation de son œuvre : quelle a été sa réaction ?
David Séchan : Une fois qu’il a tout visité, il m’a pris à part et m’a dit : « Je ne m’attendais pas à ça ! » C’était drôle parce qu’on le tenait informé de tous les détails. Mais le résultat l’a surpris par le caractère complet de son œuvre. C’était une réaction tendre.
Un dernier mot ?
David Séchan : Pour moi, cette expo, c’est quelque chose de formidable. Parce que c’est mon frère jumeau – je suis né 10 min avant lui, on peut dire que j’ai fait sa 1re partie… J’ai été son premier auditeur puis son éditeur. Son œuvre est immense : poétique, tendre, engagée. Plus qu’un hommage au frère-artiste, c’est une déclaration d’amour à ce frère si pudique, si discret. Je ne peux pas lui dire ces mots. Et c’est très important, pour moi, qu’on ne l’oublie pas.
Propos recueillis par Nathalie DUNAND
[email protected]
Merci à David Séchan pour les photos, à Dim et à Bloodi !
1 : Tournée générale, par David Séchan et Stéphane Loisy, Éd. Gründ ; Dans l’intimité de Renaud, par David Séchan.
À propos de l’expo : Renaud « Putain d’expo » : https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/exposition/22596-renaud-putain-dexpo
Page Facebook : https://www.facebook.com/renaudsechanlepoete
Mais au fait, qu’en a pensé Mister Renard ?
« C’est pas un Olympia pour moi tout seul, mais une « putain d’expo ! » juste pour mézigue que vous allez zieuter… Et au Musée de la musique, s’il te plaît ! Moi qui connais trois accords de guitare je trouve ça zarbi, mais bon, j’dis rien. Ce s’rait une sorte de rétrospective de ma vie de chanteur, y paraîtrait. Un pote m’a dit que ça « sentait le sapin » mais j’m’en tape un peu, j’aime cette odeur qui me rappelle les doux Noëls de mon enfance. Une expo de son (mon) vivant – ou ce qu’il en reste – c’est franchement pas ordinaire, faut bien dire. C’est beaucoup d’honneur pour un chanteur énervant qu’a pas encore tout à fait calanché et qui compte bien ne jamais arriver à ce manque de savoir-vivre, comme disait ce bon Alphonse… « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard », déclarait le poète, et c’est un peu cet exercice agité, livré à ses enthousiasmes et à ses désenchantements, que mes gentils apologistes ont voulu mettre en avant dans cette exposition qui porte le nom du plus vieux métier du monde pour honorer le plus beau de tous : le mien ! » Renaud Séchan (extrait du site de la Philharmonie).
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