«La mise en examen d’Agnès Buzyn est une erreur majeure», juge Raphaël Gauvain
Par Laurent GUILLAUMÉ
Publié le 14 Septembre 2021 à 07h21
Communiqué
Renforcer le Parlement face au gouvernement des juges
La mise en examen d’Agnès Buzyn vendredi dernier est une erreur majeure. Aucun Ministre ne bénéficie aujourd’hui, et depuis fort longtemps, de la moindre immunité judiciaire pour les actes de la vie courante. S’il détourne de l’argent ou omet de déclarer ses impôts, un Ministre sera - comme tout un chacun - poursuivi. Il devra immédiatement démissionner, et sera sévèrement condamné par les juges.
Mais ce que ces mêmes juges reprochent à présent à madame Buzyn, ce n’est pas un acte de la vie courante. C’est un acte de gouvernement. La France était-elle préparée à faire face à l’épidémie ? Les réserves en masque ou en appareil respiratoire étaient-elles suffisantes ? Fallait-il annuler les élections municipales ? Ne fallait-il pas confiner dès janvier pour mieux protéger les Français ? En répondant à ces questions, les juges contrôlent l’opportunité de la décision politique. C’est une violation manifeste de notre constitution, au terme de laquelle il appartient au seul Parlement de contrôler l'action du Gouvernement.
Ce phénomène n’est pas nouveau. On assiste depuis une quinzaine d’années à l’affirmation d’un gouvernement des Juges au préjudice du Parlement. Quelles que soient les majorités, le législateur a été de plus en plus contraint dans sa fonction première de voter la loi. Les censures du juge constitutionnel se sont multipliées au motif d’un contrôle de la proportionnalité de la décision politique. Les juges, enfermés dans leurs raisonnements juridiques, ont alors bridé le pouvoir politique dans sa capacité d’agir. Les jurisprudences constitutionnelles en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme en sont les meilleures illustrations. Elles se sont construites ces dernières années contre la quasi-unanimité de la classe politique, et la volonté conjointe de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Les responsables de cette situation, ce ne sont pas les juges. Ce sont les parlementaires eux-mêmes. Il faut regarder la réalité en face. On légifère trop, et du coup souvent mal. On s’expose alors à la critique d’une loi trop bavarde, et finalement à la censure de juges qui se proclament Sages ou Gardiens de l’État de droit. Ensuite, le Parlement contrôle trop peu le gouvernement. Quand il le fait, c’est généralement de manière partisane. L’opposition instrumentalise systématiquement les commissions d’enquête. Elle fait peu de droit, et beaucoup de politique politicienne. La majorité, quant à elle, refuse généralement dans un réflexe pavlovien de s’affranchir de son devoir de loyauté envers le gouvernement. On préfère mettre la poussière sous le tapis que le dossier sur la table. Tout travail objectif de fond devient illusoire.
La nature ayant horreur du vide, les juges exercent désormais certaines des prérogatives du Parlement. Ils censurent exagérément la loi, l’interprètent contre la volonté du législateur et maintenant contrôlent l’activité politique du gouvernement. C’est une dérive inquiétante, dénoncée par beaucoup d’observateurs et d’acteurs politiques, un poison lent et un bouleversement à terme de nos équilibres institutionnels basés, depuis le siècle des Lumières, sur la séparation des pouvoirs. Il faut agir. Plus que jamais, face à l’émergence de ce gouvernement des juges, le rôle du Parlement doit être renforcé.
Il y a d’abord une réponse institutionnelle. Il faut passer outre l’opposition actuelle du Sénat, et conduire à son terme la double réforme de la baisse du nombre de parlementaires et d’instauration d’une dose de proportionnelle promise en 2017. Moins de parlementaires plus représentatifs des courants d’opinion en France, c’est à l’évidence des Députés et Sénateurs aux pouvoirs renforcés. Ces derniers doivent surtout prendre pleinement conscience de leur rôle individuel, et de leur force collective dans la réaffirmation du Parlement face au gouvernement des juges. Il leur faut pour cela gagner toujours plus en indépendance par rapport aux contraintes partisanes et à des logiques de carrière. On pourrait à cet égard utilement généraliser le mandat unique, et limiter strictement le mandat parlementaire dans le temps.
Députés et Sénateurs doivent également trouver un accord pour imposer leur volonté politique au juge constitutionnel. Il faut passer par un lit de justice. L’expression date de l’ancien régime, quand le Roi imposait sa volonté aux Juges. Il s’agit aujourd’hui de modifier la constitution, au terme de l’article 89, pour imposer la volonté du pouvoir constituant au juge constitutionnel. Il y a un précédent en France en 1993. La procédure existe également dans bon nombre de pays européens. Il faut le faire dans les matières régaliennes - sécurité, terrorisme et sans doute immigration - pour que le Parlement, au contact du terrain et de l’attente des Français, retrouve une marge d’action dans ces domaines.
Les Parlementaires sont élus au suffrage universel. Ils représentent la Nation, et incarnent la souveraineté nationale. Ils doivent rester fidèle au serment de leurs pères fondateurs au Jeu de paume de donner une constitution au pays basée sur la séparation des pouvoirs, et se rappeler que « partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale ».
Raphaël Gauvain
Député de Saône-et-Loire
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