Lux

TRIBUNAL DE CHALON - « Putain, j’ai fait de la merde. »

Par Florence Saint-Arroman

Publié le 10 Janvier 2022 à 20h07

TRIBUNAL DE CHALON - « Putain, j’ai fait de la merde. »

C’est par ces mots que cet homme âgé de 33 ans a clos une scène épouvantable qui s’est déroulée à son domicile, à Lux. Il est jugé ce lundi 10 janvier en comparution immédiate. Il vivait sous bracelet électronique. Pourquoi ?

A cause de violences habituelles sur conjoint et des menaces de mort sur son ex-compagne, pour lesquelles il fut condamné à Mâcon, en décembre 2020, à 3 ans de prison dont 18 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 3 ans. Il effectuait les 18 mois sous bracelet électronique, en détention à domicile. Il fréquentait alors déjà sa nouvelle compagne, depuis novembre. En janvier 2021, ils s’installent ensemble à Lux. Le 25 mai, l’administration pénitentiaire lui installe un bracelet à la cheville, sa fin de peine est prévue le 3 décembre 2022. Il travaille. Un enfant naît en septembre 2021. Quel calendrier !

« À chaque fois qu’il boit, il m’engueule, me rabaisse et m’insulte »

Quelle merde, aussi, pour reprendre le terme du prévenu, car c’est dans ce contexte que, le 9 janvier 2022, une n’ième scène de violence a surgi. Oh ! Elle n’a pas surgi de nulle part c’est sûr. Rien ne sort jamais de nulle part. D’après sa compagne (absente à l’audience, demande interdiction de contact, la séparation est effective), « à chaque fois qu’il boit, il m’engueule, me rabaisse et m’insulte. Il ne me frappe pas à chaque fois. » Pas à chaque fois = parfois. Des années qu’il doit se défaire de son addiction à l’alcool, mais il semble enfermé dans une logique infernale, et même si on le croit lorsqu’il dit ne boire plus que le week-end, force est de constater qu’il boit beaucoup trop dès qu’il s’y met.

2,2 grammes d’alcool par litre de sang, une catastrophe 

Le 8 janvier le couple avait invité des amis, un couple, pour dîner. L’hôte s’imprègne méthodiquement de Ricard-Coca (sic). Au fil des propos échangés entre eux il intime à sa compagne l’ordre de fermer sa g... . « Il a dû lui dire cent fois », témoignera l’invité, pour montrer à quel point c’était pesant. Au terme de ce tour de chauffe, au moment de « la dernière cigarette avant d’aller se coucher », et alors qu’il avait au moins 2,2 grammes d’alcool par litre de sang (alcoolémie mesurée à 2h40), il monte de plusieurs crans, « ta g..., grosse p... , tu fais la maline avec tes amis ». Il s’en prend à l’autre homme présent. Sa femme à lui essaie de le calmer, peine perdue il file dans la cuisine revient avec deux couteaux. Elle s’interpose pour le désarmer. Puis il retourne vers l’autre homme dont la compagne est en train d’appeler les gendarmes. L’homme prend un coup de poing.

Après une mandale et avant l’arrivée des gendarmes, un petit café, ça ne peut pas faire de mal

Le couple invité sort de la maison. La scène est impossible à restituer clairement, tout est allé vite et c’était le chaos. La femme, voyant que ça tournait vinaigre était allée enfermer leur American Staff dans le garage. Il n’aurait plus manqué que le chien croque l’un ou l’autre. Son compagnon ivre d’alcool et de rage était allé le chercher. Un Staff dans les cris et les coups, ça ajoute à l’ambiance.
On sait que la jeune maman ne voulait pas quitter le domicile : son bébé dormait à l’étage. Du coup, son compagnon s’en est pris physiquement à elle. Arcade sourcilière, mâchoire... L’agresseur comprend que les gendarmes sont en route. « Il se calme aussi vite qu’il s’était énervé », et l’urbanité reprend le dessus : il propose un café au monsieur qu’il vient de frapper. Mais oui. Nul n’est tout blanc ou tout noir : après une mandale et avant l’arrivée des forces de l’ordre, un petit café, ça ne peut pas faire de mal. C’est lunaire, mais il n’est plus à ça près.

« C’est pas magique, les soins » explique la présidente

« Vous êtes sous bracelet parce que vous étiez violent envers votre ex-compagne, vous savez que l’alcool chez vous est à risque, alors ? l’interroge la présidente Verger.  A cause de l’alcool, ça prend le dessus. – Votre compagne décrit un climat de violence quotidien. – C’était toujours par rapport à l’alcool. – Et les propos dégradants, vous ne vous souvenez pas ? – Pas toujours. » Pas toujours = parfois. Il a connu la violence dans son enfance, il l’a vue, et « il l’a subie » plaidera maître Moundounga Tsigou. Certes, relève la présidente, mais enfin avec les soins psychologiques imposés, pourquoi ne pas avoir la volonté de « vous détacher des comportements dont vous avez été témoin, pour avoir d’autres repères ? ». … La psychologue de l’association enquête et médiation (AEM) écrit que le prévenu « n’a pas investi les soins ». « C’est pas magique, les soins, explique la présidente au prévenu. Il faut du temps et de l’honnêteté pour faire bouger les lignes. » 15 fois condamné (dont des conduites sous l’empire de l’alcool), père de trois enfants, il voit les deux aînés en visite médiatisée une fois par mois, sauf depuis 4 mois (un changement d’éducatrice, et on n’a pas compris la suite). Il se trouve que le dernier a 4 mois, justement, et qu’il vivait avec, mais voilà.

Les réquisitions, les cabas, les paires d’yeux qui le fixent : son sort se dessine

Sa compagne demande une interdiction de contact. « Ça fait mal », dit le prévenu. Anne-Lise Peron, substitut du procureur, reprend toutes les peines prononcées, y ajoute les « dix verres de Ricard-Coca », « l’alcool est une circonstance aggravante », constate que le prévenu a du travail et un bébé, mais « la justice a tout essayé ». Elle requiert une peine de 24 mois de prison dont 6 mois sont assortis d’un sursis probatoire, et un mandat de dépôt. Un homme et une femme sont entrés dans la salle d’audience, avec deux cabas : quelques effets personnels pour la prison. Ils restent debout, regardent le prévenu. Celui-ci devient nerveux, ses bras tressautent. Il doit rapprocher ses deux mains, rapidement, comme ça, histoire d’évacuer un peu la tension. Entre les réquisitions, les cabas et les paires d’yeux qui le fixent, son sort se dessine. Son avocat se démène en faveur d’une nouvelle détention à domicile, chez sa mère. Mais qui peut y croire, vu l’état de récidive légale et le casier judiciaire de son client ?

18 mois de prison, mandat de dépôt

Le tribunal, après en avoir délibéré, déclare le jeune père coupable et le condamne à une peine de 18 mois de prison avec mandat de dépôt, et, en peine complémentaire, ordonne une interdiction de contact avec les deux victimes, ainsi que de paraître à leurs domiciles. 6 mois de prison à la clé, en cas de non-respect de cette interdiction. Son sursis probatoire reprendra à sa sortie. Les deux victimes sont reconnues parties civiles, elles ne demandent pas d’indemnités. 
Un bébé de quatre mois dort peut-être à cette heure, ignorant ce qui, des vies des adultes censés le protéger, vient grever son existence.

Florence Saint-Arroman