Faits divers

TRIBUNAL DE CHALON - A Châtenoy, une baby shower tourne à la marave générale

TRIBUNAL DE CHALON - A Châtenoy, une baby shower tourne à la marave générale

Le président Dufour ne savait pas, avant cette audience du jeudi 5 mai, ce qu'est une baby shower. Sait-il qu'en aucun cas ce n'est censé finir en coups et blessures ?

Mais si cette sorte de fête prénatale a pour objet, ... on ne sait pas exactement quoi, mais ça a à voir avec l'accueil d'un bébé à venir... ce n'est pas pour autant une fête sans alcool. C'est ainsi que le prévenu, le 17 avril dernier, dans un pavillon de Châtenoy, boit tant et plus, à s'en taper la tête contre les murs, dans une pièce qu'on imagine décorée de ballons roses et de ballons bleus, avec peut-être des guirlandes et, qui sait, des bavoirs. Une baby shower, somme toute, c’est une soirée à thème.

Deux jeunes majeurs

Il était avec sa compagne. Un couple "en reconstruction", c’est ce qu’il dit. Maître Leray s'arrêtera sur cette expression, saugrenue dans la bouche d'un jeune homme âgé de 21 ans, qui rencontre sa chérie, plus jeune que lui, sur Insta, en décembre... En moins de 5 mois, ces deux gosses ont eu le temps de faire couple, de défaire, de « reconstruire » ?!? On sent bien qu’il colle à un discours d’adulte, un truc passé dans les représentations communes (qui aiment les images de mécanique, de maçonnerie, adaptées aux relations humaines) mais dans une grande immaturité (sans jugement, car c’est la chose la plus répandue au monde, ndla).

Il boit comme un trou, parce qu’il voulait « s’amuser »

Revenons à la baby shower. Sa copine parle avec un autre. Il est jaloux. Il est ivre. « Pourquoi vous avez bu comme ça à cette soirée ? » lui demande une juge. Sa réponse est formidable : « Parce que je voulais m’amuser avec elle. » S’amuser, boire pour s’amuser. Bon. Ça nous évoque le truc des « mariages sans alcool ». Désormais ça se fait, et c’est très intéressant d’avoir des retours là-dessus : pas mal de gens s’y ennuient, y trouvent le temps long ! Parce que l’alcool sans doute, ça occupe, ça émèche un peu, ça met du liant. Les fonctions de l’alcool dans les réunions humaines, vaste sujet. En attendant, le prévenu recourt à un autre discours convenu, bidon mais socialement très bien intégré : on boit pour s’amuser, on boit pour se détendre, on boit pour se lâcher un peu.

La police débarque à la baby shower, à 3 heures du matin

Il est jaloux et ivre, il se jette sur elle, la fait tomber, se met sur elle. Une cousine et la sœur de la fille lui sautent dessus pour l’empêcher de la frapper, c’est la cousine qui prend un coup. La fille termine néanmoins ensanglantée. La rixe devient générale, c’est ainsi que la police intervient, à 3 heures du matin. Le jeune homme ne peut pas être placé en garde à vue, il est transporté à l’hôpital de Dijon (fracture du plancher orbital, dit-il). Il s’y réveillera, sans trop de souvenirs de la baby shower. Il appelle sa copine, il s’excuse. Elle dit aux enquêteurs : il est très gentil, il était ivre, c’est pour ça.

« Je ne suis pas violent. – Ce genre de discours, monsieur, a du mal à passer »

Le prévenu semble connaître un état émotionnel compliqué, il parle dans un souffle soit étreint, soit brisé. « Je veux la rendre heureuse. » Le président Dufour : « Oui, mais un témoin dit que vous avez étranglé une fois votre compagne ! Comment vous expliquez autant de violences ? » Au casier, des condamnations du tribunal pour enfant : violence, vol avec violence, violence aggravée, etc. « J’étais jeune. – Vous avez 21 ans, vous êtes toujours violent. – Je ne suis pas violent avec elle, monsieur. – Vous êtes avec elle depuis décembre ! De décembre à avril, on a au moins deux faits de violence. – Je ne suis pas violent. – Ce genre de discours, monsieur, a du mal à passer. Un coup mal placé, ça peut entraîner la mort. »

« Il faut identifier la cause et l’éliminer », « l’addiction est une maladie endogène »

L’avocate du prévenu plaide comme malgré lui : elle ne conteste pas les faits, « il a pété un câble, ça reste un délit », mais « ce sont deux jeunes majeurs », « il faut identifier la cause et l’éliminer ». La cause identifiable : l’alcool. Ce qui est plus complexe à débusquer : pourquoi il boit. A la suite de cette CI, nous sommes passé dans la salle des assises, pile quand l’expert psychiatre était entendu. Et justement, il en parlait. L’addiction à l’alcool et aux produits stupéfiants est une plaie qui sature les audiences et consume des existences. Le médecin expliquait : « « Il n’y a aucune raison rationnelle à la conduite addictive. L’addiction relève d’une problématique interne, on ne devient pas toxicomane ou alcoolique à cause d’un chagrin d’amour. C’est une maladie endogène qui concerne des gens mal structurés qui ont peur du risque d’un effondrement dépressif majeur. Alors ils recherchent la sédation ou l’excitation. En revanche, cela a un gros impact sur la vie et sur les autres, c’est une catastrophe à tous points de vue. »

On requiert 18 mois de prison

L’avocate s’interpose entre son client et la violence institutionnelle : « Je ne veux pas qu’on retourne les maladresses de son jeune âge contre lui. Quand il a une parole maladroite, on s’en saisit, quand il est sincère, on le retourne contre lui. » Mais pour le parquet, le tableau était simple : pas de prise de conscience, pas de démarche pour se sortir de l’addiction, ambivalence dans son rapport à l’alcool… on requiert une peine de 18 mois de prison dont 6 mois seraient assortis d’un sursis renforcé pendant 3 ans, et un mandat de dépôt pour la partie ferme. « Il a un logement, il a un travail, plaide Mathilde Leray. Et puis il a ce problème d’addiction, et rien n’a jamais été fait pour tenter de le régler. » Rien = ni de sa part, ni de celle de l’institution judiciaire qui ne lui a jamais imposé d’obligation de soins.

Peine mixte, mandat de dépôt

Le tribunal va mixer. Condamne le garçon à la peine de 18 mois de prison dont 12 mois sont assortis d’un sursis probatoire pendant 2 ans. Obligation de travailler, de soins (psycho et addicto), interdiction de contact avec la victime et d’aller chez elle, obligation d’intégrer le dispositif d’accompagnement individuel renforcé (AIR). Pour la partie ferme, le tribunal décerne mandat de dépôt, « à cause du risque de réitération et de l’échec des peines en milieu ouvert ».

« Un soin en addictologie est un suivi de psychiatrie spécialisée »

Le gamin est effondré. Refuse de signer les papiers qu’on lui tend. Veut voir un médecin à la prison. « Je vous en supplie, je vous en supplie, monsieur, je vous en supplie, j’ai besoin d’être aidé. – Vous avez 10 jours pour faire appel, monsieur. » Le garçon signe les papiers. Il sera aidé à sa sortie. Il n’empêche que la question de l’addiction à l’alcool est une plaie, et que si l’on écoute le médecin psychiatre lyonnais qui a consulté pendant 14 ans dans le service d’addictologie de l’hôpital Edouard Herriot, « un soin en addictologie est un suivi de psychiatrie spécialisée »*.

FSA

* On pense à la gosse condamnée lundi pour trafic de kétamine et usage de produits stupéfiants, qui disait rencontrer une éducatrice spécialisée une fois par mois puis une fois tous les deux mois, pour respecter l’obligation judiciaire de soins à laquelle elle était contrainte. Est-ce que tout ça est sérieux ? Quel rapport notre société entretient-elle avec l’addiction ? Celles qu’elle condamne, celles qu’elle promeut ? Comme disent les juges : ça interroge.