Chalon /autour de Chalon
Francis Huster sans filtre et à cœur ouvert, ça donne ça…
Par Michel Poiriault
Publié le 22 Mars 2024 à 15h21
Une fois de plus les Théâtrales de Chalon-sur-Saône se mettront sur leur trente-et-un. Pour l’occasion, le dimanche 24 mars à 16h30, la comédie « Les Pigeons » de, et avec Michel Leeb, vaudra aussi par l’investissement de Francis Huster. Interview du second pour info-chalon.com
Comme il est de coutume dans ce contexte à l’Espace des Arts, la pièce se jouera à guichets fermés. Avec en particulier cet éminent membre du gotha des acteurs français qu’est Francis Huster, tout feu tout flamme, divisible par autant de rôles consommés, et qui n’a pas la langue dans sa poche, comment aurait-il pu en être autrement ? Le meilleur reste à venir pour vous cher lecteur, avec une verbalisation lui appartenant en propre, dont nous vous livrons ci-bas la teneur.
« Les Pigeons », ça vole haut ?
« Ca vole derrière les nuages, c’est une pièce surprenante, parce qu’en fait pendant la première partie de la pièce on croit qu’on assiste à une comédie avec deux acteurs, Michel Leeb et moi. Nous allons passer un casting, et tout d’un coup arrive une femme, LA femme. On passe de la comédie au trio, évidemment le mari, la femme et l’amant, puis finalement la pièce va exploser, et Les Pigeons apparaissent derrière les nuages. On s’aperçoit que ces deux mecs se sont fait flouer depuis le début, et débarque le quatrième personnage, interprété génialement par Philippe Vieux, un acteur à la Robert Hirsch qui a fait énormément de comédies, et qui va tout faire exploser. »
Quel est le rôle qui vous a été assigné ?
« En fait, Michel a voulu faire le pari que deux ringards du théâtre, de la télé et du cinéma interprètent des ringards, et c’était un pari très audacieux car il faut faire croire aux rôles. Donc ça veut dire que les comédiens qui rament toute leur vie et n’ont jamais réussi à avoir un premier rôle, physiquement la façon de parler, la façon tout d’un coup d’être soit très en colère, ou accablé, ou voulant se foutre en l’air, c’est très difficile à jouer. La clé c’est que Michel est, en réalité, d’origine italienne, et qu’il a voulu faire une comédie à l’italienne, c’est-à-dire une comédie où subitement tout explose, et on a l’impression que ces ringards sur lesquels le monde s’écroule, vont finir par s’en sortir. C’est très délicat à jouer, mais c’est un plaisir fou, parce que, je ne sais pas si je vous l’apprends, mais la tournée est un succès inouï. On a des salles de 1300, 1200 personnes, mais surtout, alors que l’on pensait que peut-être les gens auraient du mal à suivre une intrigue italienne biscornue, eh bien pas du tout. Ils sont complètement assommés ! Pour nous c’est un bonheur, mais fou ! »
A quoi ressemble le tandem formé ?
«Le tandem ressemble tout à fait au cirque, c’est-à-dire où il y a tout d’un coup il y a celui qui est sérieux, et celui qui déconne. Celui qui est sérieux c’est Michel, et celui qui déconne c’est moi ! C’est lui qui va se révéler pendant la pièce comme quelqu’un de tendre et généreux, comme il l’est d’ailleurs dans la vie. C’est quelqu’un qui a fait énormément de dons tellement anonymement, et ce tandem est exactement comme Gassman et Trintignant dans « Le Fanfaron », comme Alberto Sordi et De Sica. Ce sont les règles de la grande comédie à l’italienne, ce ne sont pas du tout celles de la comédie à la française. J’ai déjà joué, évidemment beaucoup de comédies, puisqu’à la Comédie-Française on alternait les grands rôles, tragiques, dramatiques et les comédies. C’est vrai que la comédie, et on le voit avec les plus grands acteurs comiques français à l’heure actuelle : Christian Clavier, Duléry, Auteuil, Dussollier , etc. on a ce rapport presque familial, on fait partie de la famille quand on fait de la comédie. Et quand on est dans le drame ou les polars, comme j’en ai fait beaucoup, alors là attention, c’est le héros qui arrive, on n’ose pas lui dire. Nous sommes plus proches, non pas de Clint Eastwood et Sean Connery, mais de Ryan Gosling parce qu’il a un côté comédie, comme DICaprio aussi.»
Etes-vous toujours mû par le feu sacré après toutes ces années consacrées à l’incarnation ?
«Oui, je suis même de plus en plus incendié ! Je continuerai à me battre bien sûr, et j’y arriverai pour l’entrée de Molière au Panthéon. Ca c’est sûr, ça se fera, parce que c’est la justice. Par exemple un sondage a été fait par « Le Figaro » : 77 000 votants, 75% pour. Il est normal que la figure la plus emblématique de la France se retrouve au Panthéon. Du point de vue des héros, qu’on les retrouve aux Invalides, il n’y a aucun problème, ils se sont sacrifiés pour la France, mais le Panthéon doit être le lieu sacré pour ceux qui, justement, ont réussi un parcours social, humain, de liberté, républicain. Et puis c’est vrai que le public a énormément évolué, et paradoxalement j’ai l’impression que le théâtre ressemble beaucoup au rugby. C’est-à-dire que le foot c’est plutôt le côté cinéma, le côté « la star », que ce soit Mbappé, Platini, Maradona, etc. C’est plutôt le héros, la star, alors que le rugby, même quand on est un joueur d’exception, c’est quand même un travail d’équipe. Et le théâtre c’est un travail d’équipe, ça c’est absolument obligatoire. Bien sûr il y a des têtes d’affiche, des stars au théâtre, mais tous les rôles, même les plus petits, sont traités comme des stars. »
Que vous a légué la Comédie-Française ?
« L’amour de ceux qui sont jeunes, veulent débuter et réussir dans ce métier. C’est un peu comme quand on est sélectionné dans l’équipe de France de foot, on a des responsabilités. Par exemple Thierry Henry, je l’admire beaucoup parce qu’il est en train de donner toute sa force à l’Equipe de France olympique pour qu’elle puisse briller. C’était pareil pour Aimé Jacquet, Henri Michel et évidemment pour Didier Deschamps actuellement. Le fait d’appartenir à la plus grande troupe du monde, on ne peut pas dire ça autrement, fait qu’on a des obligations morales, vraiment presque paternelles ou maternelles quand on est une actrice qui arrive après. Il faut leur passer le témoin. Il est justement extraordinaire ce témoin, car je pense que le bouleversement politique et social des femmes, qui tout d’un coup depuis des dizaines d’années sont tombées dans la caricature, parviennent enfin à occuper des postes avec des responsabilités artistiques, politiques, médicales…C’est formidable, eh bien le théâtre, grâce aux femmes, a aussi été bouleversé. Et je suis persuadé que la Comédie-Française, dans peu de temps, aura certainement une femme qui donnera une impulsion à la troupe, et la dirigera, de façon peut-être encore plus inouïe et inattendue. »
Avez-vous un faible pour la comédie, ou la tragédie tient-elle quoi qu’il en soit le haut du pavé ?
« Pour moi la tragédie est une élite théâtrale, tu ne peux pas échapper à la notion d’emploi. C’est-à-dire que tu es obligé quand tu es jeune premier, de ne pas jouer les valets, tu es vraiment catalogué. Exactement comme je le disais pour les stars hollywoodiennes au cinéma dans tous les films dramatiques. Mon feeling, c’est paradoxal de dire ça, mais est maintenant renversé vers la comédie, parce que je trouve que finalement la comédie a une double qualité. D’abord elle fait rire, comme la tragédie fait pleurer, mais surtout elle nous oblige à combattre dans la vie, alors que quand on a des drames ou des tragédies, on a l’impression que l’on n’est pas à la place des héros. Eux sont magnifiques, des stars inoubliables, alors que dans la comédie on se dit : moi aussi, alors que je passe comme ça dans la rue, personne ne me connaît, que j’ai plein de problèmes dans ma vie, je peux m’en tirer. Je trouve que la philosophie de la comédie est beaucoup plus moderne que celle de la tragédie ou du drame. »
Lorsque l’on est en plus metteur en scène, réalisateur et scénariste, ceci donne-t-il une mise en relief accrue au métier d’acteur ?
« Bien sûr, on comprend que la chose principale pour un acteur c’est d’être un clavier comme un piano. Lorsqu’un pianiste joue au piano, ce sont des touches blanches et des touches noires. Nous, aussi on a des touches, sur notre clavier d’âme, c’est pour ça qu’on entend : «Eh bien dis donc, qu’est-ce qu’il est touchant cet acteur maintenant ! » C’est pour ça qu’être un acteur, c’est être un virtuose quel que soit le rôle, on doit interpréter la partition qui est le texte, et on doit avoir un chef d’orchestre. C’est ça qui est magnifique, dans le sport comme dans notre métier d’acteur-d’actrice, c’est qu’on a besoin d’un chef d’orchestre. On a besoin de quelqu’un qui dirige, non pas les acteurs, qui bien souvent n’ont pas vraiment besoin d’être dirigés. Leur instinct fait qu’ils interprètent, le metteur en scène, le chef d’orchestre, dirigent la pièce. Ca signifie que telle scène, telle partition musicale de Mozart, telle partition théâtrale de Molière, doivent être jouées dans le rythme exact par tous les comédiens, par tous les musiciens pour la musique. Sinon, ce n’est pas possible, ça se plante. Le problème n’est pas d’avoir des acteurs qui jouent magnifiquement leur rôle, le problème c’est d’avoir des metteurs en scène qui mettent en scène magnifiquement la pièce. »
Théâtre, cinéma, télé, ces trois médias ont-ils la même portée pour vous ? Et s’il fallait déterminer un goût préférentiel ?
« La médaille de bronze à la télévision. Elle est magnifique, des millions de gens voient ce que tu fais et le découvrent. La médaille d’argent au cinéma, parce que le cinéma te donne une responsabilité de faire partie d’un clan. Il y a le clan Lelouch, le clan Godard, le clan Spielberg…A chaque fois tu fais partie d’un clan, d’une équipe, et tu tournes pendant quelques années. Et la médaille d’or c’est le théâtre, parce que c’est le seul des trois qui est en référence, c’est-à-dire exactement comme le sport, tu sais que d’autres ont déjà fait le Tour de France, d’autres ont fait la Coupe du monde de foot, d’autres ont fait le championnat. A toi maintenant de ramener quelque chose de plus. Au théâtre d’autres ont joué des rôles, d’autres les joueront après, c’est pour ça qu’on fait ce métier. Comme les cuisiniers. Vraiment il y a une passion théâtrale qui fait que quand les jeunes commencent, à 15, 16 ou 18 ans, ils peuvent aller jusqu’à 80-85 ans, et donner à chaque fois une progression à ce qu’ils font. »
Manque-t-il quelque chose à votre très riche carrière ?
« Oui, Je veux absolument remettre en scène un grand Shakespeare, un grand Molière. Je pense beaucoup pour Shakespeare à Jules César, Hamlet, et pour Molière évidemment à Dom Juan, au Misanthrope. Je voudrais totalement révolutionner l’image que l’on a de Shakespeare et de Molière. Et, peut-être, pourquoi pas, faire interpréter tous les rôles de la pièce par des femmes ? Je crois qu’on a encore une audace, une sorte d’explosion à redécouvrir Shakespeare et Molière, parce que tous les autres dépendent d’eux. Le fait que le football féminin ait révolutionné le football depuis quelque temps, voilà quelque chose d’exceptionnel comme le hand-ball par exemple. Le football féminin donne une leçon au football masculin, une leçon de loyauté entre les footballeuses. Les footballeurs sont tombés dans une espèce de mensonge, de faire croire qu’ils sont blessés, de tricher, de tirer le maillot, de cogner, ce n’est pas le football. Ce n’est pas le football. Jamais ça n’existe au rugby. Il arrive bien sûr parfois au rugby que certains dépassent la limite, mais c’est rarissime. Il y a un respect de l’équipe et de l’adversaire au rugby, au football c’est beaucoup plus délicat. Je pense que l’avenir c’est vraiment ce virage que les femmes vont donner à notre métier. D’ailleurs on le voit très bien avec ce film extraordinaire à la télé d’une chute. C’était une jeune metteure en scène, puisqu’on dit metteure en scène et pas metteuse, qui, je l’espère pour elle, va avoir l’Oscar, et qui a eu toutes les récompenses. Ca oblige à revoir la façon de considérer le cinéma. Ce sera la même chose pour le théâtre et la télévision. Il y a de plus en plus de metteurs en scène femmes qui triomphent au cinéma et à la télé, et qui vont aussi triompher au théâtre. »
Devenir un autre, le prenez-vous pour la plus belle profession du monde ?
« C’est une question extraordinaire, et je vous remercie de terminer avec celle-là, parce que c’est la plus importante. En fait, quand on écrit une pièce, un roman ou un livre, ce sont des personnages à l’intérieur. On les appelle personnages, parce que moi je suis une personne, alors je suis masculin, pourquoi ne dit-on pas : un personne ? Non, tous les rôles qui sont sur le théâtre sont des personnes avec un âge. C’est pour ça qu’on dit personnages, parce que ça peut être un bébé comme un vieux, une vieille, etc. Pour le théâtre on invente les rôles. Justement, on ne devient pas un autre, on interprète soi-même, on est vraiment soi-même dans le rôle. Il n’y a aucun rôle qui existe en dehors de l’interprétation unique que fait l’acteur. Il ne doit imiter personne d’autre, il doit se révéler lui-même dans le rôle. C’est pour ça que certains rôles –deux-trois dans une carrière, cinq-dix dans une autre, des fois un seul- ça colle tellement à la peau de l’acteur. Pourquoi ? Parce que c’est lui-même qui s’est découvert absolument ce qu’il pouvait être dans ce rôle. C’est une question magnifique, bien sûr la plus importante quand les jeunes veulent faire du théâtre. C’est leur expliquer qu’Ils ne doivent pas disparaître derrière le personnage, qu’ils ne doivent pas disparaître comme dans un scaphandre derrière le rôle. Ce sont eux qui doivent devenir le rôle, et pas le contraire. »
Crédit photo : DR Propos recueillis par Michel Poiriault
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